Dénonciation du harcèlement moral : protection renforcée du salarié.

Par M. Kebir, Avocat.

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Explorer : # harcèlement moral # protection des salariés # licenciement abusif # mauvaise foi

Revirement de jurisprudence en matière des protections reconnues au salarié, à l’origine de l’alerte. La Chambre sociale abandonne son exigence subordonnant la protection contre le licenciement tiré d’un grief de dénonciation de faits de harcèlement moral à la qualification expresse, par le salarié, des faits d’agissements de harcèlement.

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En effet, le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié ces faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation [1].

Substantiellement, le régime de la protection contre le harcèlement s’infère des dispositions de l’article L1152-2 du Code du travail, suivant lequel :

« Aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L1121-2 » [2].

A cet égard, le même article L1152-2 Code du travail accorde une protection équivalente à celle du lanceur d’alerte [3].

Plus généralement, nombre d’agissements attentatoires à la dignité, la santé et la carrière du salarié sont prohibés par la législation du travail (Voir notre publication Obligation de sécurité de l’employeur et harcèlement moral au travail) :

« Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés [4].

Dit autrement, une certaine immunité joue en termes de dénonciation du licenciement. En ce sens que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L1152-1 et L1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul » [5].

Sur ce ce point, la Cour de cassation rappelle, avec constance et rigueur, que la seule limite à la dénonciation de faits de harcèlement étant la mauvaise foi :

« La dénonciation de faits de harcèlement moral peut constituer une cause légitime de licenciement lorsque cette dénonciation intervient de mauvaise foi ; que la mauvaise foi est ainsi caractérisée lorsque le salarié a connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce ou lorsque le salarié invoque de manière mensongère des faits inexistants de harcèlement moral pour refuser d’accomplir correctement son travail ; qu’en l’espèce, elle faisait valoir dans ses conclusions que les accusations de harcèlement par le salarié présentaient un caractère systématique et concernaient toutes les demandes qui lui étaient adressées et n’avaient en définitive d’autre objet que de servir un comportement d’obstruction destiné à nuire à l’entreprise ; qu’en jugeant qu’un tel comportement n’était pas de nature à caractériser la mauvaise foi du salarié et en décidant que le licenciement de ce dernier était nul, la cour d’appel a violé par fausse application les articles L1152-2 et L1152-3 du Code du travail » [6].

Par ailleurs, depuis sa jurisprudence du 13 septembre 2017, la Cour régulatrice a également jugé que le salarié ne pouvait bénéficier de la protection légale contre le licenciement tiré d’un grief de dénonciation de faits de harcèlement moral que s’il avait lui-même qualifié les faits d’agissements de harcèlement moral [7].

En outre, l’employeur pouvait soulever devant le juge la mauvaise foi du salarié, même s’il n’en avait pas fait mention dans la lettre de licenciement :

« L’absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n’est pas exclusive de la mauvaise foi de l’intéressé, laquelle peut être alléguée par l’employeur devant le juge » [8].

La référence express aux faits de « harcèlement moral ».

Dans cette affaire susvisée, une salarié est recrutée à compter du 28 novembre 2002 en qualité de psychologue, affectée au sein d’un établissement accueillant des adolescents en difficulté.

Par lettre du 9 avril 2018, celle-ci a été licenciée pour faute grave. Antérieurement, elle adressa au directeur de l’association gestionnaire. Il lui a été reproché, notamment d’avoir, dans cet écrit, « gravement mis en cause l’attitude et les décisions prises par le directeur » et « porté des attaques graves à l’encontre de plusieurs de ses collègues, quant à leur comportement, leur travail, mais encore à l’encontre de la gouvernance de l’Association ».

Excipant avoir subi et dénoncé des agissements relevant du harcèlement moral, la salariée saisit la juridiction prud’homale de différentes demandes, visant à obtenir la nullité du licenciement. Outre le paiement de diverses sommes, au titre du harcèlement moral, de la violation de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur.

La Cour d’appel accueille la demande de la salariée et reconnaît l’existence d’un harcèlement moral, donnant ainsi droit à indemnisation. De même, le licenciement est jugée nul, au motif que :

« La lettre de licenciement reproche pour l’essentiel à Mme [L] l’envoi d’un courrier, le 26 février 2018, à des membres du conseil de l’administration pour dénoncer le comportement de M. [D], directeur du foyer en l’illustrant de plusieurs exemples qui ont entraîné selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé ».

Par suite, « le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation d’agissements de harcèlement moral par la salariée dont la mauvaise foi n’est pas démontrée emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement ». D’où il suit que la salariée avait été licenciée pour un grief « tiré de la relation d’agissements de harcèlement moral ».

Se pourvoyant en cassation, l’employeur soutient que la salariée ne pouvait bénéficier de la protection attachée aux salariés ayant dénoncé des faits de harcèlement moral, car elle n’avait pas qualifié expressément les faits comme caractérisant le harcèlement : « le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, le juge ne peut prononcer la nullité du licenciement qu’à la condition que le salarié ait qualifié les agissements visés de harcèlement moral ».

En définitive, il importe, selon le pourvoi, d’appliquer la jurisprudence constante de la Haute assemblée. D’autant plus que, ici, le licenciement pouvait être considéré comme nul, seulement si l’employeur reprochait explicitement au salarié d’avoir dénoncé l’existence de faits de « harcèlement moral ». Or, il ne résultait pas, aux yeux de l’employeur, des propres constatations de la cour d’appel que la salariée avait relaté dans le courrier du 26 février des faits qualifiés, par elle, de harcèlement moral.

Raisonnement aux antipodes des prescriptions des articles L1152-2 du Code du travail, L1152-3 et L1232-6 Code du travail, conclue, en l’espèce le pourvoi.

Revirement dans la lignée des dernières évolutions jurisprudentielles.

Par sa décision du 19 avril 2023, la Chambre sociale procède à un changement de paradigme inhérent à la protection de l’alerte exercée par le salarié.

Au visa des articles L1152-2 du Code du travail [9] et L1152-3 du même code, en vertu du principe de l’égalité des armes, les Hauts juges rappellent d’abord la prohibition du harcèlement et sa jurisprudence antérieure [10].

Les principes rappelés sont :

  • d’une part, la faculté pour l’employeur d’invoquer devant le juge, sans qu’il soit tenu d’en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral,
  • d’autre part, la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression, dont le licenciement est nul pour ce seul motif à l’instar du licenciement du salarié licencié pour avoir relaté, de bonne foi, des agissements de harcèlement.

Avant de juger désormais que :

« Le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce » [11].

Concrètement, dans la présente affaire, les faits relatés par la salariée devaient être rapprochés au harcèlement :

« ayant constaté, hors toute dénaturation, que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir adressé à des membres du conseil d’administration de l’association, le 26 février 2018, une lettre pour dénoncer le comportement du directeur du foyer du en l’illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la cour d’appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral ».

Sur ce point, il convient de souligner que l’employeur peut « invoquer devant le juge, sans qu’il soit tenu d’en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral » et la protection dont bénéficie le salarié licencié pour un motif lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression, qui rend nul le licenciement [12].

Egalité des armes.

En somme, il en résulte qu’il ne peut désormais plus être opposé au salarié de ne pas avoir expressément utilisé les termes de « harcèlement moral » dès lors que l’employeur ne pouvait ignorer, nonobstant le défaut de qualification comme tel, que le salarié dénonçait un harcèlement moral.

Attendue, cette décision s’inscrit, au fond, dans le sillage des dernières évolutions relativement au harcèlement [13], sous l’angle des protections et le régime de la preuve (Pour aller plus loin Harcèlement moral au travail : preuve et moyens d’action).

En effet, eu égard au lien de subordination et les sanctions disciplinaires afférentes, il est à penser que le salarié, victime de harcèlement moral, se résigne à qualifier les agissements subis de « harcèlement ».

Alors que, les agissements dénoncés, sous couvert des précautions langagières, pouvaient constituer l’infraction de harcèlement moral.

En guise de rappel, telle évolution dans le raisonnement des hauts juges, complète les moyens d’action dont dispose l’employeur. En ce que la mauvaise foi du salarié être alléguée par l’employeur devant le juge [14].

Sur un autre registre, il est loisible à l’employeur d’agir sur le terrain de la diffamation.

Néanmoins, la dénonciation de faits de harcèlement moral par un salarié à son employeur ainsi qu’auprès d’organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail n’est pas susceptible de poursuites en diffamation [15].

C’est ainsi qu’un référé et appréciation de la mauvaise foi est ouvert à l’employeur.

Lorsqu’il est saisi d’une demande visant à faire constater la nullité du licenciement pour dénonciation de faits de harcèlement, le juge des référés peut se prononcer sur la bonne foi du salarié et le cas échéant, ordonner sa réintégration dans l’entreprise [16].

En conclusion, la loyauté et la bonne foi dans l’exécution du contrat de travail s’accompagnent de l’obligation de prévention des risques professionnels. La protection des victimes, sauf abus, en fait partie.

Me. Kebir
Avocat à la Cour - Barreau de Paris
Médiateur agréé, certifié CNMA
Cabinet Kebir Avocat
E-mail : contact chez kebir-avocat-paris.fr
Site internet : www.kebir-avocat-paris.fr
LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

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Notes de l'article:

[1Cass.Soc., 19 avr. 2023, n° 21-21.053, Publié au bulletin.

[2Article L1152-2 Code du travail.

[3Article 10-1 et 12 à 13-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.

[4Article L1132-1 Code du travail.

[5Article L1152-3 du même code.

[6Cass. Soc., 7 février 2012, n° 10-18.035 ; Cass. Soc., 10 juin 2015, n° 13-25.554.

[7Cass. Soc., 13 septembre 2017, n° 15-23.045.

[8Cass. Soc, 16 septembre 2020 n°18-26.696.

[9Rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022.

[10Cass. Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.035, Bull. 2012, V, n° 55 ; Soc., 10 juin 2015, pourvoi n° 13-25.554, Bull. V, n° 115, Soc., 13 septembre 2017, pourvoi n° 15-23.045, Bull. 2017, V, n° 134, Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-17.871, publié.

[11Cass. Soc., 19 avr. 2023, n° 21-21.053, Publié au bulletin.

[12Soc., 16 février 2022, n° 19-17.871.

[13Cass. Soc, 29 mars 2023, n° T 21-20.915.

[14Cass. Soc. 16-9-2020, n° 18-26.696.

[15Cass. Civ. 1re, 28 sept. 2016, no 15-21.823.

[16Cass. Soc. 25 nov. 2015, no 14-17.551.

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