L’Autorité des Marchés Financiers, qui a notamment pour objectif de veiller au bon fonctionnement des marchés financiers et à la protection de l’épargne investie, exerce une surveillance permanente des différents marchés financiers. A cet effet elle s’est dotée d’une Direction des données et de la surveillance des marchés qui effectue une analyse quotidienne de l’ensemble des transactions réalisées sur les titres cotés afin de détecter tout événement ou comportement anormal.
Cette surveillance active, une déclaration de soupçon effectuée par un établissement de crédit ou une entreprise d’investissement ou encore un signalement effectué par un informateur peuvent conduire l’autorité administrative à ouvrir une procédure d’enquête portant sur un ou plusieurs instruments financiers.
Une enquête de l’AMF vise principalement à rechercher l’existence d’abus de marché. La notion d’abus de marché, définie par le règlement européen MAR (Market Abuse Regulation) n°596/2014 du 16 avril 2014, regroupe plusieurs comportements illicites qui empêchent une transparence des marchés financiers : les opérations d’initié, la divulgation illicite d’informations privilégiées et les manipulations de marché (manipulation de cours ou diffusion d’informations fausses ou trompeuses).
Des comportements divers sont donc visés : acquisition ou vente d’instruments financiers sur la base d’une information privilégiée, recommandation ou incitation à effectuer une opération basée sur une information privilégiée, divulgation d’une information privilégiée, pump and dump, wash trades, layering, spoofing, manipulation du fixing, …
Ces comportements illicites, et donc les enquêtes de l’AMF, sont susceptibles d’aboutir à des sanctions particulièrement lourdes pour les mis en cause.
L’autorité peut tout d’abord prononcer des sanctions pécuniaires élevées à leur égard (jusqu’à 100 millions d’euros ou dix fois le montant de l’avantage retiré [1]), étant précisé que l’AMF affiche depuis maintenant plusieurs années la volonté d’aggraver le montant des sanctions infligées.
Par ailleurs les abus de marché ont la particularité de constituer non seulement des manquements administratifs susceptibles d’être sanctionnés par l’AMF mais également des délits susceptibles de poursuites pénales. Le délit d’initié peut par exemple être puni de cinq ans d’emprisonnement [2].
Au-delà, l’anonymisation des décisions de sanctions de l’AMF est très souvent refusée ce qui constitue également une punition sévère pour les mis en cause en raison de l’impact direct sur leur situation personnelle et professionnelle.
Au regard des lourdes conséquences potentielles d’une enquête de l’AMF pour les personnes soupçonnées, l’ouverture d’une telle procédure doit conduire à la définition d’une solide stratégie de défense qui s’exercera lors de l’enquête puis à l’issue de celle-ci lors de la phase de sanction.
L’exercice délicat d’une défense « aveugle » lors de la phase d’enquête.
Durant la phase d’enquête, qui vise au recueil d’éléments de preuve afin d’établir l’existence d’éventuels abus de marché, les enquêteurs de l’AMF disposent de larges pouvoirs d’investigation et peuvent notamment :
- Exiger la communication de tous documents, quel qu’en soit le support, auprès des personnes soupçonnées ou de tiers [3]. Ce droit de communication de l’AMF exclut évidemment les échanges entre l’avocat et son client qui sont couverts par le secret professionnel, et il est donc souvent nécessaire d’effectuer a posteriori un tri des éléments recueillis par les enquêteurs (notamment les boites de messagerie électroniques) afin d’écarter ceux protégés par une telle confidentialité.
- Procéder à des auditions. C’est le plus souvent à l’occasion d’une convocation pour une audition que la personne soupçonnée découvre l’existence d’une enquête en cours susceptible de l’impliquer. Ces auditions constituent un moment-clé de l’enquête permettant aux enquêteurs de confronter chaque personne aux éléments de preuve préalablement recueillis. Une audition peut être longue et « brutale » pour la personne soupçonnée, qui doit donc s’y rendre seulement après s’être minutieusement préparée avec l’aide de son avocat qui pourra par ailleurs l’accompagner devant les enquêteurs [4].
- Accéder à des locaux professionnels [5]. Une telle visite intervient le plus souvent de manière inopinée et permet aux enquêteurs d’appréhender de nombreux documents et fichiers informatiques. Les agents de l’AMF peuvent également, sous certaines conditions, recueillir les déclarations spontanées des personnes présentes qui peuvent alors se faire assister par un avocat.
- Réaliser des visites domiciliaires (assimilables à des perquisitions) [6]. Sur autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, les enquêteurs peuvent visiter le domicile de toute personne, étant précisé qu’une telle visite ne peut être commencée avant 6h ou après 21h et doit être réalisée en présence d’un officier de police judiciaire. Cette mesure coercitive et particulièrement intrusive constitue l’exemple le plus flagrant de l’importance des pouvoirs d’enquête confiés à l’AMF.
- Participer à une coopération internationale avec des régulateurs étrangers.
Toute la phase d’enquête se caractérise par l’absence de contradictoire : les personnes soupçonnées d’abus de marché n’ont pas accès aux éléments réunis par les enquêteurs à leur encontre et doivent donc faire preuve de prudence.
Lorsqu’une visite domiciliaire a été réalisée, l’ordonnance autorisant la mesure contient de précieuses informations sur les faits reprochés et les éléments de preuve déjà rassemblés par les enquêteurs. En dehors de cette hypothèse, seuls les ordres de mission des enquêteurs sont communiqués et permettent de connaitre l’objet (les instruments cotés en cause) et la période visée par l’enquête en cours, mais le périmètre de l’enquête peut ensuite être élargi.
Le comportement à adopter au cours de l’enquête par les personnes soupçonnées est donc délicat à définir. Elles devront prendre soin de ne pas apporter des éléments en leur défaveur tout en évitant de faire obstacle aux investigations de l’AMF, puisque l’entrave opposée dans le cadre d’une enquête est susceptible de sanction administrative ou pénale [7].
Avant la clôture de l’enquête, les personnes visées reçoivent une lettre circonstanciée adressée par l’AMF qui précise les éléments de fait et de droit recueillis par les enquêteurs et communique les principales pièces considérées par eux comme essentielles [8].
Les destinataires d’une lettre circonstanciée disposent d’un délai d’un mois pour y répondre, mais leurs observations devront être formulées bien qu’ils n’aient toujours pas eu accès à l’intégralité des pièces du dossier d’enquête.
Aiguillage de la procédure à l’issue de l’enquête.
L’enquête se conclut par un rapport rédigé par les enquêteurs et présenté au Collège de l’AMF afin qu’il puisse décider des suites à y donner [9]. Plusieurs voies sont envisageables à l’issue d’une enquête en fonction notamment de la gravité des faits et de leur caractère éventuellement inédit :
- Classement sans suite administrative du dossier.
- Envoi d’une notification de griefs assortie d’une proposition de composition administrative. Les principaux avantages de cette voie ouverte aux abus de marché depuis 2016 [10] sont l’absence de reconnaissance des faits ou de culpabilité (ce qui peut être essentiel pour les personnes morales souhaitant candidater à des appels d’offres) et, a priori, une sanction moindre que celle qui pourrait être décidée ultérieurement par la Commission des sanctions. Un tel accord intervient néanmoins à un stade préliminaire de la procédure de sanction où la personne mise en cause n’a pas encore eu l’occasion d’exercer contradictoirement sa défense. L’acceptation éventuelle d’une proposition de composition administrative doit donc faire l’objet d’une mûre réflexion au regard notamment du rapport bénéfice/risque propre à chacun.
- Ouverture d’une procédure de sanction par l’envoi d’une notification de griefs et la saisine de la Commission des sanctions de l’AMF. La notification de griefs peut être comparée à une mise en examen lors d’une procédure pénale, puisque la personne soupçonnée est officiellement mise en cause à compter de ce moment.
- Transmission du dossier au Procureur de la République afin que des poursuites pénales soient engagées. Cette orientation éventuelle s’explique par la double nature administrative et pénale des abus de marché.
Une défense contradictoire lors de la procédure de sanction.
A compter de l’ouverture de la procédure de sanction, un rapporteur est désigné parmi les membres de la Commission et chargé d’instruire le dossier. Il va apprécier le rapport d’enquête et effectuer des actes d’investigation complémentaires dans le but d’acquérir une conviction et de proposer à la Commission de retenir ou d’écarter les griefs formulés à l’encontre de chacun des mis en cause.
La différence majeure entre la phase d’enquête et la procédure de sanction réside dans le caractère contradictoire de cette dernière : la personne qui est désormais officiellement mise en cause a accès aux mêmes éléments que le rapporteur et la Commission (rapport d’enquête comprenant l’intégralité de ses annexes et éléments liés aux investigations complémentaires du rapporteur).
Tous les actes d’investigation réalisés par les enquêteurs ne sont néanmoins pas joints au rapport d’enquête puisque ces derniers peuvent effectuer une sélection des éléments communiqués. Cette sélection est toutefois encadrée par un principe de loyauté : les éléments de preuve utiles, à charge comme à décharge, doivent être communiqués par les enquêteurs.
La défense de la personne mise en cause lors de la procédure de sanction s’exercera donc au travers d’une analyse approfondie des éléments figurant au dossier, et se manifestera lors des principales échéances :
- réponse à la notification de griefs dans un délai de deux mois éventuellement prorogeable
- audition par le rapporteur
- observations auprès du rapporteur et/ou en réponse à son rapport
- séance publique (comparable à une audience) devant la Commission des sanctions.
La décision de la Commission pourra ensuite faire l’objet d’un recours devant la Cour d’appel de Paris ou devant le Conseil d’Etat en fonction de la qualité de professionnel ou de non professionnel de la personne sanctionnée [11].