Marché public : décompte général et définitif tacite et mémoire en réclamation.

Par Cyril Perriez, Avocat.

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Cet article explique la procédure et les conditions d'un marché public pour établir un décompte final et un décompte général tacite en cas de silence du maître d'ouvrage.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans une décision du 7 juin 2024, le Conseil d’Etat a précisé que lorsque le titulaire d’un marché public de travaux se prévaut d’un décompte général et définitif tacite dans les conditions fixées à l’article 13.4.4 du CCAG-Travaux, la procédure de réclamation prévue à l’article 50 du même cahier n’est pas applicable [1]. Cette décision permet de revenir sur cette stipulation contractuelle introduite en 2014 dans le CCAG-Travaux et qui permet aux entreprises, lorsque le maître de l’ouvrage ne leur a pas notifié le décompte général dans les délais contractuellement prévus, de rendre définitif leur demande de paiement finale.

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Rappel des faits et de la procédure.

Après la réception avec réserves des travaux, le titulaire d’un marché public de travaux ayant pour objet la construction d’ateliers artisanaux a adressé au maître d’ouvrage et au maître d’œuvre son projet de décompte final, puis un projet de décompte général. En l’absence de notification par le maître d’ouvrage du décompte général, l’entreprise a sollicité le règlement des sommes dues en exécution du marché, avant de demander au juge des référés du Tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l’article R541-1 du Code de justice administrative (référé provision), de condamner la commune à lui verser une provision de 317 635,83 euros TTC. Par une ordonnance du 14 avril 2023, le juge des référés a condamné la commune au versement d’une provision de 371 886,50 euros TTC. Par une ordonnance du 11 décembre 2023, le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris a annulé cette ordonnance et rejeté la demande présentée par l’entreprise. Par une décision du 7 juin 2024, le Conseil d’Etat a condamné la commune à verser à l’entreprise une provision de 317 635,83 euros TTC, augmentée des intérêts moratoires.

Jusqu’il y a encore quelques années, aucune disposition ne prévoyait une acceptation tacite du projet de décompte par le silence du maître de l’ouvrage. Le juge administratif a donc toujours refusé de reconnaître l’existence d’un décompte général et définitif tacite en cas de silence du maître d’ouvrage [2]. Lorsque le projet de décompte soumis au maître d’œuvre n’était pas arrêté par le maître d’ouvrage dans les conditions et délais fixés par l’article 13 du CCAG-Travaux, l’entreprise n’avait pas d’autre choix que de saisir le juge du contrat afin qu’il établisse judiciairement ce décompte et qu’il se prononce sur ses réclamations [3].

Le CCAG-Travaux de 2009 a été modifié par l’arrêté du 3 mars 2014 [4], lequel a inséré un article 13.4.4 permettant désormais aux entreprises de faire naître tacitement un décompte général et définitif en cas de silence du maître de l’ouvrage.

L’article 8 de l’arrêté prévoit que ces dispositions ne sont applicables que pour les marchés publics pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication à compter du 1ᵉʳ avril 2014.

Compte tenu des conséquences financières irréversibles que ce décompte emporte pour le maître de l’ouvrage, l’entreprise ne pourra se prévaloir de l’existence d’un décompte général et définitif tacite que si elle a respecté scrupuleusement la procédure d’établissement du décompte général jusqu’au silence du maître de l’ouvrage.

Du « projet de décompte final » au « décompte final ».

Après l’achèvement des travaux, l’entreprise doit établir son « projet de décompte final » concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d’exécution des prestations ou à la place de ce dernier. Ce projet de décompte final correspond à la demande de paiement finale de l’entreprise, établissant le montant total des sommes auquel elle prétend du fait de l’exécution du marché dans son ensemble.

L’entreprise étant liée par les indications figurant dans son projet de décompte final, elle doit prendre soin de bien détailler l’ensemble des postes pour lesquels elle demande une rémunération ou une indemnisation : quantités effectivement réalisées (rémunérés par des prix unitaires ou forfaitaires), actualisation des prix, rémunération des travaux supplémentaires non prévus au marché, indemnisation des difficultés qu’elle a rencontrées pendant l’exécution de son marché (retard, allongement de la durée du marché, désorganisation du chantier, ajournement ou interruption, etc.), intérêts moratoires pour le retard de paiement des acomptes mensuels, etc.

Le projet de décompte final doit être transmis simultanément au maître d’œuvre et au maître d’ouvrage, dans un délai de 30 jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux. Si la décision de réception des travaux n’est pas notifiée à l’entreprise dans un délai de 30 jours à compter de la date du procès-verbal des opérations préalables à la réception (OPR), le projet de décompte final doit être transmis à la fin de l’un des délais de 30 jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3 du CCAG-Travaux.

Par dérogation, lorsque la réception est prononcée sous réserve sur le fondement des dispositions de l’article 41.5 du CCAG-Travaux, décision qui peut être prise lorsqu’il apparaît que certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n’ont pas été exécutées, le projet de décompte final doit être notifié dans un délai de 30 jours à compter de l’établissement du procès-verbal constatant l’exécution des travaux.

Lorsque la réception est prononcée avec réserves sur le fondement de l’article 41.6 du CCAG-Travaux, le point de départ pour notifier le projet décompte final reste inchangé, autrement dit la date de notification de la décision de réception des travaux et non pas la date de levée des réserves.

Compte tenu de l’obligation de transmettre simultanément le projet de décompte final à la fois au maître d’œuvre et au maître d’ouvrage, le délai de 30 jours imparti au maître d’ouvrage pour notifier à l’entreprise le décompte général ne peut pas courir lorsque le projet de décompte final n’a pas été transmis au maître d’œuvre, ce qui fait obstacle à la naissance d’un décompte général et définitif tacite [5].

Le maître d’œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte final établi par l’entreprise. Le projet accepté ou rectifié devient le « décompte final ».

« Décompte final », « projet de décompte général » et « décompte général ».

Le maître d’œuvre établit ensuite le « projet de décompte général », qui comprend (i) le décompte final, (ii) l’état du solde et (iii) la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. Le montant du projet de décompte général est égal au résultat de cette dernière récapitulation.

Le projet de décompte général est ensuite transmis par le maître d’œuvre au maître d’ouvrage.

Une fois signé par le maître d’ouvrage, le projet de décompte général devient le « décompte général ».

Le décompte général doit être notifié à l’entreprise dans un délai de 30 jours commençant à courir à compter de la plus tardive des dates de réception, par le maître d’œuvre ou le maître d’ouvrage, de la demande de paiement finale transmise par l’entreprise.

Le « décompte général et définitif tacite ».

Si le maître d’ouvrage ne notifie pas à l’entreprise le décompte général dans ces délais, cette dernière peut lui notifier, avec copie au maître d’œuvre, un projet de décompte général signé.

Ce décompte général doit obligatoirement être composé :

  • du projet de décompte final ;
  • du projet d’état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l’article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ;
  • du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive.

L’entreprise ne pourra pas se prévaloir d’un décompte général et définitif tacite si elle ne notifie pas également une copie de son projet de décompte général au maître d’œuvre.

Le maître d’ouvrage dispose d’un délai de 10 jours à compter de la réception de ces documents pour notifier le décompte général à l’entreprise. Compte tenu de la rédaction de cet article, il y a lieu de considérer que le délai de 10 jours commence à courir à compter de la réception de l’ensemble des documents par le maître d’ouvrage, et non celle de leur copie par le maître d’œuvre. Les parties pouvant librement déroger à ces stipulations (ou plutôt le maître d’ouvrage pouvant librement l’imposer aux candidats lors de la rédaction des documents contractuels), il est possible de prévoir que le délai de 10 jours (qui peut d’ailleurs lui-même être allongé) ne commencera à courir qu’à compter de la date, si elle est plus tardive, de réception des documents par le maître d’œuvre.

Si le maître d’ouvrage n’a pas notifié le décompte général dans le délai de 10 jours, le projet de décompte général transmis par l’entreprise devient le décompte général et définitif.

En revanche, la notification d’un décompte général dans ce délai, même irrégulier, fait obstacle à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite à l’initiative du titulaire [6]. Le Conseil d’Etat a précisé que le simple rejet du projet de décompte établi par l’entreprise ne saurait être assimilé à la notification d’un décompte général à l’entreprise, seule à même de faire obstacle à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l’article 13.4.4 du CCAG-Travaux [7]. Le Maître de l’ouvrage ne peut donc pas se contenter d’écrire pour rejeter le projet de décompte établi par l’entreprise, mais doit obligatoirement lui notifier, dans le délai de 10 jours à compter de la réception du projet de décompte général, un décompte général même irrégulier.

Le décompte définitif ayant un caractère intangible [8] et ayant notamment pour effet d’interdire aux parties toute contestation ultérieure sur les éléments de ce décompte [9], les conséquences financières peuvent être très importantes pour le maître d’ouvrage.

Dans la décision commentée, après avoir constaté que le maître d’ouvrage n’avait pas transmis de décompte général dans le délai de 10 jours suivant la réception du projet de décompte général transmis par l’entreprise, le Conseil d’Etat constate l’existence d’un décompte général et définitif tacite. La créance dont se prévaut l’entreprise n’est donc pas sérieusement contestable et le maître d’ouvrage est condamné à lui payer une provision de 317 635,83 euros TTC.

Cyril Perriez
Avocat au barreau de Paris
https://cyrilperriez-avocat.fr

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Notes de l'article:

[1CE, 7 juin 2024, Société Entreprise Construction Bâtiment (ECB), n° 490468.

[2CE, 27 mai 1998, SA Nicoletti, n° 128094.

[3CE, 23 sept. 1992, Société Générale d’Entreprises (SGE), n° 43752.

[4Arrêté du 3 mars 2014 modifiant l’arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux.

[5CE, 25 juin 2018, Société Merceron Travaux Publics (TP), n° 417738.

[6CE, 9 nov. 2023, Société Transport tertiaire industrie, n° 469673.

[7CE, 7 juin 2024, Société Ateliers Bois, n° 490385.

[8CE, 23 oct. 1991, Ville d’Annecy, n° 84583.

[9CE, 22 fév. 2002, Société Générales travaux Publics Bâtiments (SGTPB), n° 212808.

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