I- Un préalable incontournable au SPASER : les Objectifs de Développement Durable.
Les ODD ont vocation à guider les États et leur population vers un avenir durable. Ils entendent ainsi répondre aux défis mondiaux auxquels nous sommes actuellement confrontés d’ici 2030.
L’idée d’élaborer des ODD est née à l’échelle internationale dans le cadre de la Conférence de Rio de 2012 dite « Rio + 20 ».
L’adoption des 17 ODD et des 169 sous-objectifs qui en découlent est intervenue au terme de trois années de négociations entre l’ensemble des parties prenantes le 25 septembre 2015.
La réalisation de ces objectifs peut notamment passer, pour certains d’entre eux, par la commande publique.
C’est ce qu’a notamment rappelé le Plan National des Achats Durables (PNAD) publié le 15 mars 2022 pour la période 2022-2025 [1], document juridiquement non contraignant, mais ayant vocation à formaliser la politique nationale en faveur de l’achat durable.
En revanche, notons que l’article L3-1 du Code de la commande publique, qui à l’inverse dispose d’une force contraignante, précise que :
« La commande publique participe à l’atteinte des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale, dans les conditions définies par le présent code ».
Il s’agit là d’une obligation de moyen, qui implique de la part des acheteurs publics de réaliser leurs meilleurs efforts dans la prise en compte de ces ODD dans le cadre de leurs marchés.
Rappelons par ailleurs que la commande publique est gouvernée par des principes cardinaux fixés par l’article L3 du Code de la commande publique, à savoir :
- L’égalité de traitement entre les candidats ;
- Le libre accès à la procédure ;
- La transparence dans la procédure.
La rigidité de ces principes peut limiter la marge de manœuvre des acheteurs publics dans l’intégration des ODD si cela revient à créer une distorsion de concurrence entre les entreprises.
Le Conseil d’État a d’ailleurs jugé que les ODD poursuivis par les critères de sélection des offres devaient être liés à l’objet du marché public ou à ses conditions d’exécution, mais qu’en aucun cas, il n’était possible de recourir à un critère relatif à la politique générale de l’entreprise en matière sociale qui serait dépourvu de lien avec l’objet ou les conditions d’exécution propres au marché en cause [2].
En outre, l’article L2111-1 du Code de la commande publique impose aux acheteurs publics l’obligation de définir la nature et l’étendue des besoins à satisfaire, avant le lancement de la consultation, en prenant en compte les objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. Il s’agit évidemment d’une obligation de moyen.
Afin de respecter cette obligation, un outil doit impérativement être privilégié, le SPASER. Ce schéma constitue une opportunité pour les acheteurs publics dont ils doivent se saisir afin d’intégrer correctement les aspects sociaux et écologiques au sein de leurs marchés publics.
II- Le SPASER : mais de quoi parle-t-on ?
Le SPASER (Schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables) est un document réglementaire établi par certains acheteurs, dont l’objet est de fixer des objectifs d’achat en matière sociale et écologique par le biais d’indicateurs précis.
Il a été créé par l’article 13 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire afin d’encourager les acheteurs publics à s’orienter dans la voie des achats responsables. Ce dispositif a été codifié à l’article L2111-3 du Code de la commande publique (modifié récemment par la loi « Industrie verte » n° 2023-973 du 23 octobre 2023).
Véritable outil de structuration de la démarche d’achat responsable de l’acheteur public, le SPASER fixe la feuille de route de l’entité pour les prochaines années à venir en faveur de la transition écologique et l’insertion professionnelle.
III- Les modifications apportées au SPASER par la "Loi Industrie verte".
L’article 29 de la loi n°2023-973 du 23 octobre 2023 dite « Loi Industrie verte » a apporté plusieurs modifications à cet outil afin d’encourager davantage son développement.
Tout d’abord, l’une des principales mesures de la loi consiste sans aucun doute en l’extension de l’obligation d’adopter un SPASER imposée à l’ensemble des acheteurs publics dont les dépenses achats annuelles sont supérieures à 50 millions d’euros HT.
Ensuite, la loi “Industrie verte” prévoit désormais la possibilité de mutualiser un même SPASER entre plusieurs acheteurs atteignant ou non le montant annuel de 50 millions d’euros achats HT. Cette mutualisation permet d’encourager les acheteurs à s’engager volontairement dans cette démarche, et de la simplifier en les autorisant à mettre en commun leurs analyses et indicateurs.
L’article L. 2111-3 modifié par la loi “Industrie verte” précise désormais que la politique achat doit viser la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la sobriété en matière de consommation d’eau, d’énergie et de matériaux. De plus, la loi “Industrie verte” ajoute qu’au-delà de contribuer à l’économie circulaire, le SPASER doit également contribuer à la sobriété numérique et à la durabilité des produits.
Enfin, si à l’origine, les marchés de travaux n’étaient pas visés expressément par le texte, la Direction des affaires juridiques de Bercy n’a pas manqué de rappeler qu’il ne s’agissait que d’un oubli [3] et que les acheteurs publics demeuraient tenus de prendre en compte leurs Objectifs de Développement Durable (ODD) dans le cadre de leurs marchés de travaux.
La loi prévoit, en outre, que les acheteurs publient leur SPASER sur leur site internet, lorsqu’il existe. Ils publient également tous les deux ans, le résultat des indicateurs contenus dans le schéma, exprimé de façon précise et chiffrée. En cas de SPASER conjoint, ces indicateurs sont établis indépendamment pour chaque acheteur.
IV- Prendre en compte les ODD dans le SPASER.
Avant toute chose, il est important de noter que l’élaboration du SPASER est un travail laborieux qui nécessite la mise en place d’une démarche collaborative entre services, ce document impactant directement la politique d’achat de l’acheteur public.
Pour cela, il convient de définir une équipe projet pluridisciplinaire intégrant des membres de la direction achat/commande publique, des élus et des membres de différents services directement concernés par le schéma (direction de l’immobilier, moyens généraux etc...).
L’équipe projet peut alors identifier les ODD pertinents en lien avec les compétences de l’acheteur public.
Ainsi, si l’on reprend les trois piliers qui fondent le principe même du SPASER, il est possible de dégager les ODD qui peuvent être mis en œuvre à travers le schéma et les déclinaisons opérationnelles qui en découlent.
S’agissant tout d’abord de l’axe environnemental, les ODD pertinents pour le SPASER sont :
- ODD n°3 : Bonne santé et bien-être ;
- ODD n°12 : Consommation et production responsables ;
- ODD n°13 : Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques ;
- ODD n°14 : Vie aquatique ;
- ODD n°15 : Vie terrestre.
S’agissant ensuite de l’axe social :
- ODD n°1 : Pas de pauvreté ;
- ODD n°5 : Egalité entre les sexes ;
- ODD n°10 : Inégalités réduites.
S’agissant enfin de l’axe économique :
ODD n°8 : Travail décent et croissance économique.
Après avoir identifié l’ensemble des objectifs que souhaite atteindre l’acheteur public, il lui est nécessaire de définir des engagements.
V- Définir et mettre en œuvre des engagements.
Pour ce faire, l’équipe projet établit un état des lieux de l’existant, à travers plusieurs questions non-exhaustives :
- Quels sont les outils déjà mis en place pour promouvoir les achats responsables ?
- Si des mesures ont été prises, quel bilan en tirer (nombre d’heures d’insertion réalisées, part des TPE/PME parmi les fournisseurs, etc…) ?
- Quelles clauses sociales et environnementales ont été insérées dans les documents des marchés ? Pour quels types de contrats ?
- Des mesures pour sensibiliser les agents aux enjeux environnementaux et sociaux ont-elles été mises en place ?
Les réponses à ces différentes questions vont permettre de définir des actions à mener et des objectifs à atteindre, déterminés par des "indicateurs précis, exprimés en nombre de contrats ou en valeur".
Autrement dit, des engagements concrets.
C’est ce qu’a notamment réalisé la Région Grand Est dans son SPASER, adopté en octobre 2022 [4], dans lequel elle fixe ses engagements (1), précise les indicateurs pour les respecter (2) et désigne les ODD auxquels ils répondent (3).
Le document mentionne enfin les moyens de suivi des engagements : comité de suivi du schéma, mise en œuvre des engagements et publication des résultats.
Le SPASER est donc un document complet qui comprend les objectifs, les engagements et les moyens de suivi de ces engagements.
Lorsque le SPASER est adopté, il doit alors être mis en œuvre.
VI- La valeur et la possible émergence d’un « contentieux SPASER »
Rappelons que le législateur n’a pas défini la valeur du SPASER.
Il n’a pas, non plus, défini des sanctions en cas d’absence d’adoption ou de publication du document. Cela n’a, d’ailleurs, pas été modifié par la loi "Industrie Verte".
Néanmoins, contrairement au PNAD qui n’est pas « juridiquement contraignant », le SPASER définit des engagements précis et chiffrés dont les résultats doivent être publiés, tous les deux ans, par l’acheteur public.
En ce sens, le SPASER a une valeur obligatoire. Les engagements devront donc être tenus et les résultats devront être publiés.
En revanche, il n’existe pas, à ce jour, de "contentieux SPASER". Aucune décision du juge administratif, sanctionnant l’absence de mise en œuvre du document ou sanctionnant les éventuelles illégalités du schéma, n’a été adoptée.
Un tel contentieux pourrait, pourtant, apparaître.
En effet, avec l’émergence du contentieux des actes du droit souple, consacrée notamment par les arrêts Fairvesta [5], Numericable [6] et GISTI [7], le juge est venu ouvrir les possibilités de recours pour excès de pouvoir contre « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques […] lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif […] ».
Ainsi, si le SPASER a des effets notables sur les droits ou la situation de personnes, il est susceptible de recours.
Il est, évidemment, de même pour toute décision prise en appui du SPASER.
Enfin, on rappellera que dans le cadre de ses missions de contrôle, la Cour des comptes est chargée de s’assurer du bon emploi des fonds publics et peut, à ce titre, apprécier l’adoption ou non du SPASER par l’acheteur public et son contenu.