I. Le fréquent cumul de l’agression sexuelle et du viol.
À titre liminaire, nous rappellerons que le viol est défini par l’article 222-23 du Code pénal comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise.
Il est puni, lorsqu’il n’est aggravé par aucune circonstance particulière, de quinze ans de prison.
L’agression sexuelle est, selon l’article 222-22 du Code pénal, constituée quant à elle par toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur.
Elle est punie de 5 ans de prison lorsqu’elle n’est aggravée par aucune circonstance particulière.
La loi distingue donc le viol de l’agression sexuelle, tout comme la jurisprudence retient que les délits d’agressions sexuelles, exempts d’acte de pénétration sexuelle, sont distincts des crimes de viols [1].
Cependant, la Cour de cassation (plus haute juridiction française) n’hésite pas à cumuler les qualifications d’agression sexuelle et de tentative de viol pour des actes qui sont, pourtant, effectués dans un même trait de temps sur une même personne, par exemple, lorsqu’un auteur, après avoir caressé les seins de la victime, met un préservatif sur son sexe [2].
La mise en place du préservatif est retenue au titre du commencement d’exécution du viol, la caresse des seins étant qualifiée de manière autonome d’atteinte sexuelle [3].
C’est, en pratique, ce qu’a jugé la Cour d’assises de Paris, le 24 novembre 2023, dans un dossier où elle a estimé que la pose de la main de la victime sur le sexe de l’auteur, précédant une tentative de viol, était une agression sexuelle.
Or, ce cumul nous semble contraire à la notion de concours de qualification.
II. Un cumul critiquable en droit.
Lorsqu’une personne, par son comportement, enfreint plusieurs dispositions pénales, le juge ne retient que la qualification la plus grave : c’est le principe du concours de qualifications.
En effet, la jurisprudence retient d’abord le critère de l’intention unique de l’auteur.
Par exemple, s’agissant d’un meurtre, la double qualification de violences volontaires ayant précédé la mort et de meurtre ne sera pas retenue, la première infraction étant englobée dans la seconde.
Il en va de même s’agissant des infractions sexuelles, on ne cumulera pas l’infraction d’exhibition sexuelle et de viol alors même que les éléments matériels de l’une et de l’autre infraction sont réunis.
Ainsi, en cas de concours, le cumul de qualifications ne peut en principe être retenu que lorsque les faits ont porté atteinte à des valeurs sociales distinctes ou lorsque les victimes sont différentes.
Cet usage se justifie notamment en vertu du principe de non bis in idem [4] qui garantit à une personne de ne pas être condamnée deux fois pour les mêmes faits. La Cour de cassation estime, en effet, que :
« des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même accusé, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes » [5].
Ainsi, la notion de concours de qualification et le principe du non bis in idem nous semblent proscrire le cumul d’une agression sexuelle et d’un viol pour des faits commis lors d’une scène unique à l’égard d’une même personne.
Cela, d’autant plus, que le viol est, dans le Code pénal, situé dans la catégorie des agressions sexuelles.
Cependant, l’application du principe de non bis in idem n’a pas donné lieu à une jurisprudence constante.
Ainsi, l’agression sexuelle particulière qu’est le viol et les « autres agressions sexuelles », qui englobent une multitude de comportements (attouchement, exhibition, harcèlement), peuvent être cumulés alors qu’ils sont commis sur la même victime, de manière simultanée, et que l’intention de l’auteur, à savoir celle d’imposer un comportement sexuel à une personne sans son consentement, est unique et ne porte atteinte qu’à une valeur sociale, l’intégrité sexuelle de la victime.
Non seulement cela est critiquable en droit, pour les raisons ci-dessus exposées, mais c’est également inopportun en fait.
III. Un cumul inopportun en fait.
Dans les faits, l’ajout de la qualification d’agression sexuelle ne semble pas apporter une reconnaissance ou une réparation supplémentaire au préjudice de la victime d’une agression sexuelle et d’un viol réalisés dans un même trait de temps.
Pour l’auteur, la double qualification ne nous semble pas plus pertinente.
Il sera inscrit au fichier des auteurs d’infractions sexuelles, qu’il ait été reconnu coupable de l’une, de l’autre ou des deux infractions [6].
Seule la peine la plus lourde sera retenue à son encontre, en vertu du concours réel d’infraction [7].
La justification de la Cour de cassation selon laquelle « un prévenu est sans intérêt à reprocher à une cour d’appel de l’avoir déclaré coupable des mêmes faits sous plusieurs qualifications, dès lors qu’une seule peine a été prononcée » nous semble, une fois de plus, problématique [8].
Le fait qu’une seule peine soit prononcée ne suffit pas à justifier un cumul de qualifications redondantes dès lors que les gestes répréhensibles résultent d’un mouvement et d’une intention commune.
Enfin, en termes de récidive, le cumul du délit d’agression sexuelle avec le crime de viol n’a pas de conséquence sur la peine dès lors que la qualification criminelle, la plus grave, est retenue [9].
En conséquence, condamner un accusé pour agression sexuelle et viol alors même que les faits sont commis dans un même trait de temps à l’encontre d’une seule personne ne nous paraît ni rigoureux juridiquement ni pertinent factuellement et nous paraît, bien plus, répondre à des enjeux politiques.
Discussions en cours :
De manière assez étonnante, le viol n’est puni que de réclusion, alors que l’agression sexuelle - autre que le viol - est passible d’emprisonnement ET d’amende.
Il s’ensuit une situation paradoxale dans laquelle un même auteur s’en tire à meilleur compte, quitte à commettre plusieurs infractions, en ne commettant que des viols, plutôt qu’un viol et une agression sexuelle.
Ceci peut éventuellement justifier de cumuler les deux qualifications "en opportunité".
Mais, en l’occurrence, vous indiquez que l’auteur n’a été condamné qu’à une peine de réclusion, de sorte que, effectivement, le cumul n’est in fine que symbolique.
Une analyse différente peut être effectuée lorsqu’il est envisagé de poursuivre et de juger une personne pour agression sexuelle et viol.
Pour que l’analyse faite dans l’article ci-dessus puisse être retenue, il faut établir une parfaite simultanéité entre les agressions sexuelles et le viol, qui alors répondent à un intention exclusive de toute autre et à un mode opératoire ayant pour objectif la seule réalisation de cette intention. Dans la réalité, cette situation est possible mais rarement établie.
Mais en sens contraire, l’examen de nombre de procédures démontre que, dans un temps précédant la pénétration sexuelle ou lui succédant, l’auteur a eu l’intention de commettre des agressions sexuelles et ce quelqu’en soit le mobile ou la raison : satisfaire ses pulsions sexuelles, humilier la victime, se préparer psychologiquement ou physiquement à l’acte de pénétration, poursuivre les abus sexuels alors qu’il ne peut réitérer l’acte de pénétration...
L’acte de pénétration, même s’il s’inscrit dans une étroite proximité temporelle avec les agressions sexuelles répond à une intention distincte.
Il en de même en cas d’homicide. Selon la dynamique des faits, il peut être possible de poursuivre tout à la fois des actes de violences (qui n’ont pas de rôle causal dans le processus létal et un meurtre), dès lors que les investigations démontrent que cette succession d’actes matériels résulte d’intentions différentes.