Covid-19, Risque biologique et Justice.

Par Stéphan Denoyes, Avocat.

2598 lectures 1re Parution: Modifié: 5  /5

Explorer : # risque biologique # covid-19 # droit du travail # obligations de l'employeur

Bien que non répertorié dans la liste des risques biologiques, le Sars-CoV2 n’en constitue pas moins un risque biologique qui oblige les employeurs à prendre des mesures adaptées sous peine d’engager leur responsabilité.

-

Par les différentes risques que l’employeur doit identifier, le risque biologique figure parmi les plus évoqués dans le contexte pandémique du Sars-Cov2.

Le contexte pandémique SARS-COV2.

Les autorités gouvernementales indiquent depuis plusieurs semaines que le contexte dans lesquelles elles sont amenées à prendre leurs décisions, à effectuer des recommandations, à les adapter voire les changer est un contexte inédit.
Ce contexte est au demeurant tout aussi inédit pour le chef d’entreprise et la société qu’il dirige.
Les rares décisions rendues en matière de droit du travail apportent à notre sens plusieurs enseignements au premier rang desquels le contexte.
Ainsi, il a été indiqué que dans le
« contexte épidémiologique particulièrement sévère (qu’)il importe aussi de prendre en considération du fait de la brusque survenance de ce virus totalement invasif et qui demeure toujours, du fait de sa nouveauté, sans traitement médical connu avec certitude ni connaissances scientifiques suffisamment avancées pour pallier sa dangerosité et ses impressionnants taux de contaminations avec ou sans symptômes, d’hospitalisations simples ou en réanimation et de létalité. »
(…)
« Il n’est effectivement pas contestable que cette situation de crise (voire, de catastrophe) sanitaire induite par cette pandémie sévissant désormais également en France est constitutive d’une obligation soudaine, nouvelle et impérieuse pour l’employeur, ayant immédiatement pour effet de modifier de manière complémentaire et exceptionnelle ses obligations générales d’appréhension des risques professionnels. »
S’agissant de services jugés essentiels la juridiction indique également
« qu’il en résulte une obligation distincte et additionnelle d’évaluation des risques tenant compte spécifiquement de l’épidémie de Covid-19 et visant autant que possible à l’anticipation et à l’exhaustivité, s’agissant également de la santé et de la sécurité des travailleurs. »
Il s’agit même d’une « obligation spécifique et conjoncturelle » pour laquelle :
« L’employeur ne peut dans ce domaine se borner à paraphraser les recommandations publiques et officielles du Gouvernement ou des autorités sanitaires compétentes (à titre d’exemple : sur les gestes barrières) ou à annoncer des calendriers de réunions, eu égard précisément à cet impératif de spécificité visant à faire adopter dans l’exercice même de son pouvoir de direction des mesures génériques et adaptées pouvant bien sûr être de portée générale mais sous réserve de pouvoir se décliner sans difficultés majeures ni contretemps inutiles dans toute la gamme des différents échelons locaux. ».

Dans sa décision « Amazon », le Tribunal Judiciaire de Nanterre expose
« Suite au passage au stade 3 de l’épidémie, il n’est pas discuté que les mesures nécessaires au sens de ces dispositions sus-rappelées sont celles préconisées puis rendues obligatoires par le gouvernement à savoir notamment s’assurer que les règles de distanciation et les gestes barrières sont effectivement respectés au sein de l’entreprise et que les réunions soient effectivement limitées au strict nécessaire comme doivent l’être les regroupements de salariés dans des espaces réduits et que l’organisation du travail doit être au maximum adaptée. ».

Dans l’arrêt qui s’ensuit de la CA de Versailles, la Cour a jugé
« La contagiosité spécifique du Covid-19 qui se transmet par les voies respiratoires, notamment par les postillons, et la complexité de la gestion des déplacements des salariés au sein d’un entrepôt qui accueille des activités de réception, de stockage puis d’expédition de marchandises, du fait notamment du nombre de salariés et de la multiplicité de leurs tâches, entraînent nécessairement, contrairement à ce que soutient l’appelante, une modification importante de l’organisation du travail. »
Enfin, une décision du Tribunal Judiciaire de Lille, il a été jugé que bien que l’activité de vente de détail de marchandises dans un hypermarché n’implique pas l’utilisation délibérée d’un agent biologique, la juridiction constate quand dans le cas de la crise sanitaire.

« L’exposition des salariés du magasin Carrefour de Lomme au covid-19 constitue (donc) bien une exposition à un risque spécifique au sens des dispositions précitées ».
Et qu’il appartient à l’employeur de prendre toutes mesures « susceptibles de supprimer ou réduire au minimum les risques résultant de l’exposition aux agents biologiques. ».

La pandémie et les caractéristiques du virus crées une sorte de parenthèse contextuelle inédite.

Qu’est-ce que le risque biologique ?

Aux termes de l’article R. 4421-1 du code du travail peuvent être considérés comme exposés au risque biologique :
-  les professionnels systématiquement exposés au risque de contamination du virus du fait de la nature de leur activité habituelle (ex : professionnels de santé et de secours).
-  mais également les travailleurs dont les fonctions les exposent à un risque spécifique quand bien même l’activité de leur entreprise n’impliquerait pas normalement l’utilisation délibérée d’un agent biologique.

Aux termes de l’article R. 4421-3 du code de travail :
« Les agents biologiques sont classés en quatre groupes en fonction de l’importance du risque d’infection qu’ils présentent :
1° Le groupe 1 comprend les agents biologiques non susceptibles de provoquer une maladie chez l’homme ;
2° Le groupe 2 comprend les agents biologiques pouvant provoquer une maladie chez l’homme et constituer un danger pour les travailleurs. Leur propagation dans la collectivité est peu probable et il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficaces ;
3° Le groupe 3 comprend les agents biologiques pouvant provoquer une maladie grave chez l’homme et constituer un danger sérieux pour les travailleurs. Leur propagation dans la collectivité est possible, mais il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficaces ;
4° Le groupe 4 comprend les agents biologiques qui provoquent des maladies graves chez l’homme et constituent un danger sérieux pour les travailleurs. Le risque de leur propagation dans la collectivité est élevé. Il n’existe généralement ni prophylaxie ni traitement efficace
. »

Au titre de l’arrêté du 18 juillet 1994 fixant la liste des agents biologiques pathogènes, il semble que le covid-19 doit être considéré comme un agent biologique pathogène de groupe III.
Coronavirus responsable du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) 3
Coronavirus responsable du Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV, ou SARS-CoV, en anglais) 3
Autres Coronavidae 2
Toutefois, à ce stade des informations diffusées, il nous semble que le SARS-Cov2 – Covid-19 réponde à la définition d’un agent de catégorie 4 tel que défini par l’article R. 4421-3 précité.

Qu’en disent les juridictions ?

Une nouvelle décision du Tribunal Judiciaire de Lille du 5 mai 2020 relative à la règlementation sur la prévention des risques biologiques [1].
En principe cette réglementation ne s’applique que lorsque l’activité n’implique pas normalement l’utilisation délibérée d’un agent biologique et que l’évaluation des risques ne met pas en évidence de risque spécifique.

Dans une nouvelle décision, le juge des référés indique que bien que le SRAS-CoV2 ne soit pas visé dans l’arrêté du 18 juillet 1994 qui fixe la liste des agents biologiques considérés comme pathogènes, conformément à l’article R.4421-4 du code du travail,
« Quand bien même cette nouvelle forme de virus n’a pas été intégrée dans cet arrêté, elle peut à tout le moins être rattachée à la classe 2 comme le sont les autres coronavidae, bien que ce nouveau virus s’apparente en réalité, en raison de la gravité de la maladie qu’il provoque (au vu de son caractère létal avéré) et de l’absence en l’état de traitement efficace, aux virus de classe 3 ou 4 tels que le Mers-Cov ou le SRAS-Cov ainsi répertoriés, étant précisé que le Haut Conseil de la Santé publique a, dans son avis du 5 mars 2020, considéré »que le SRAS-CoV-2 était proche du SRAS-CoV sur le plan virologique. »

Il procède ensuite à l’analyse du texte :
« S’il est constant que l’activité de commerce de la société CSF n’implique pas normalement l’utilisation d’un agent biologique, il y a en revanche lieu de s’interroger sur la deuxième condition, contestée par la société qui considère que le risque engendré par l’épidémie est généralisé.

Force est de constater que la société a elle-même visé un risque spécifique en raison de la pandémie de COVID 19 dans son document unique d’évaluation des risques établi le 23 mars 2020 et que, ce faisant, elle s’est soumise à la réglementation relative à la prévention des risques biologiques.

Au surplus, il apparaît que ses salariés sont exposés à un risque spécifique au sens de l’article R.4421-1 dès lors qu’ils sont amenés à travailler chaque jour au contact du public dans le cadre de l’activité de commerce de l’entreprise qui les emploie, et ce de façon dérogatoire au principe général posé par le gouvernement qui a ordonné la fermeture de la quasi totalité des magasins à l’exception de ceux proposant à la vente des produits de première nécessité tels que les produits alimentaires. »

De fait, cette décision fait peser sur l’employeur le risque de l’identification et de ses conséquences :
-  Si le Document Unique d’Évaluation des Risques identifie le risque biologique, il s’ensuit que l’employeur doit prendre toutes les mesures adaptées.
-  Si le Document Unique d’Évaluation des Risques ne l’identifie pas, une lecture a contrario de la décision implique que l’employeur n’a pas à se soumettre aux dispositions relatives à ce risque.

Est-ce à dire que le fait de ne pas mentionner le risque biologique exonèrerait l’employeur s’il n’indiquait pas volontairement ce risque dans son document unique, rien n’est moins sûr.

De plus, le juge des référés souligne également que le risque ne résulte pas de l’activité même du salarié mais du simple fait qu’ils exercent leur activité durant la crise sanitaire. Dès lors tous les salariés intervenant sur le site, quelque soit leur poste sont soumis à ce risque.
Enfin, le Tribunal Judiciaire de Lille effectue une distinction entre les articles du code du travail relatifs aux risques biologiques qui s’appliquent spécifiquement à certaines entreprises comme les laboratoires et qui donc ne sont pas applicables à tous les commerces ou sociétés et les autres.

L’employeur est ainsi condamné parmi les nombreuses mesures à :

  • associer les membres du CSE et représentants de proximité aux mesures prises pour réduire le risque ;
  • procéder à l’information individuelle et à la formation des salariés sur le port des EPI ainsi qu’à la formation à la sécurité relative au risque biologique, et répéter cette formation chaque fois que nécessaire ;
  • tenir à la disposition du CSE et des salariés les informations requises à l’article R. 4425-4 du Code du travail :
    • activités au cours desquelles les salariés sont exposés, procédures, méthodes de travail, mesures et moyens de protection et de prévention correspondants ;
    • nombre de travailleurs exposés ;
    • coordonnées du médecin du travail ;
    • coordonnées de la personne qui est chargée par l’employeur d’assurer sous sa responsabilité et en cette matière la sécurité sur le lieu de travail ;
    • un plan d’urgence pour la protection des travailleurs contre l’exposition aux agents biologiques des groupes 3 ou 4 en cas de défaillance du confinement physique.

Cette décision fait suite à deux autres ordonnances allant dans le même sens.
Dans une première ordonnance du 14 avril 2020, le juge des référés de Lille [2] avait estimé que la société en cause était « tenue de respecter les règles de prévention des risques biologiques prévus au code du travail et qu’il lui appartient de justifier qu’elle a pris toutes les mesures susceptibles de supprimer ou réduire au minimum les risques résultant de l’exposition aux agents biologiques. » [3]
soulignant « la perception positive par la médecine du travail des mesures mises en place par l’employeur, si elle contribue à brosser le contexte dans lequel s’inscrit la présente instance, ne peut à elle seule établir que ce dernier a pris toutes les mesures susceptibles de supprimer ou réduire les risques résultant de l’exposition aux agents biologiques. ».

Dans une autre décision, toujours du juge des référés du Tribunal Judiciaire de Lille [4], il a été indiqué que bien que l’activité de vente de détail de marchandises dans un hypermarché n’implique pas l’utilisation délibérée d’un agent biologique, la juridiction constate quand dans le cas de la crise sanitaire :
« L’exposition des salariés du magasin Carrefour de Lomme au covid-19 constitue (donc) bien une exposition à un risque spécifique au sens des dispositions précitées ».

Ce risque biologique a bien été identifié dans le DUER mais il appartient à l’employeur de prendre toutes mesures « susceptibles de supprimer ou réduire au minimum les risques résultant de l’exposition aux agents biologiques. ».

Dans ces conditions, l’employeur serait bien inspiré d’éviter les modèles "prêt à remplir" des DUER, et de bâtir un document spécifique, adapté à son activité et à son organisation en analyse précisément les conséquences juridiques des prescriptions de ce document unique.

Stéphan DENOYES
Avocat
54, rue de Varenne – 75007 PARIS
Email : stephan chez denoyes-avocat.fr
Site : www.denoyes.lega

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Notes de l'article:

[1Tribunal Judiciaire Lille, °RG n° 20/00399, 5 mai 2020

[2Tribunal Judiciaire Lille, n°RG 20/00386 du 14 avril 2020

[3toutes souligné dans le texte

[4Tribunal judiciaire de Lille, n°RG 20/00395, 24 avril 2020

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