En République Démocratique du Congo, la Cour Suprême de Justice a été éclatée en trois juridictions, à savoir la Cour de cassation, le Conseil d’Etat ainsi que la Cour Constitutionnelle. Toutes ces juridictions précitées ont respectivement la qualité de haute cour dans leurs différents ordres juridiques. Et ce, au regard des attributs qui leur sont reconnus par la constitution. D’où, aucune de ces juridictions ne peut prétendre être supérieure à l’autre, car la création, voire l’existence d’une juridiction extraordinaire dans le système judiciaire congolais est strictement interdite par la constitution.
Quant à la Cour Constitutionnelle, elle est la juridiction chargée principalement du contrôle de constitutionnalité des textes légaux et des actes ayant force de loi. Et ce, en dehors d’autres compétences subsidiaires qui lui sont reconnues par la constitution. Mais, au jour le jour, la cour constitutionnelle émet des arrêts mitigés qui nous poussent à nous interroger de plus belle sur le champ d’application de son contrôle de constitutionnalité. En matière de contrôle de constitutionnalité, la Cour Constitutionnelle joue-t-elle implicitement le rôle de la cour suprême de justice ? Nous allons analyser cette question dans la suite de notre contribution à travers d’autres interrogations ainsi que des cas prétoriens.
Quel est le champ d’application du contrôle de constitutionnalité de la Cour Constitutionnelle ?
Le champ d’application du contrôle de constitutionnalité de la Cour Constitutionnelle porte sur des traités et accords internationaux, des lois, des actes ayant force de loi, des édits, des Règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès et des institutions d’appui à la Démocratie ainsi que des actes règlementaires des autorités administratives [2].
Eu égard de ce qui précède, il y a lieu de conclure qu’en principe au-delà de ce champ d’application, la cour constitutionnelle ne peut point procéder au contrôle de constitutionnalité de quoi que ce soit. Et ce, dans la mesure où la compétence est d’attribution légale, ce qui revient à dire qu’en dehors des prescrits légaux, aucune juridiction ne peut s’attribuer une quelconque compétence. Mais, dans la pratique, nous constatons âprement que la cour constitutionnelle va parfois au-delà de ses compétences légales en matière de contrôle de constitutionnalité. À cet effet, nous allons évoquer quelques cas jurisprudentiels à travers la question suivante.
Les décisions de justice sont-elles susceptibles d’un contrôle de constitutionnalité ?
Au regard du champ d’application du contrôle de constitutionnalité tel que susmentionné, nous pouvons d’emblée répondre négativement à cette question car, aucune loi n’attribue à la cour constitutionnelle cette compétence. Toutefois, la Cour Constitutionnelle a eu à étendre sa compétence de contrôle de constitutionnalité à des décisions judiciaires. Cette extension de compétence relève désormais de la tradition jurisprudentielle de la Cour Constitutionnelle car, on dénombre plusieurs arrêts de cette dernière qui sont rendus en inconstitutionnalité de certaines décisions de justice.
A cet effet, nous allons évoquer deux arrêts de la Cour Constitutionnelle qui ont été rendus en inconstitutionnalité des décisions de justice. Tel est le cas de l’arrêt R. const. 1800 de la Cour Constitutionnelle du 22 juillet 2022, saisie en inconstitutionnalité de l’arrêt REA 183 du 27 mai 2022 du Conseil d’Etat. Cet arrêt de la cour constitutionnelle a été rendu en vue d’annuler l’arrêt du Conseil d’Etat portant élection du Gouverneur et du Vice-Gouverneur de la province de la Mongala. Et ce, pour raison d’inconstitutionnalité [3].
En sus, il sied d’évoquer l’arrêt R. const 2259 de la cour constitutionnelle du 31 mai 2024 qui a anéanti l’arrêt REA. 421 du Conseil d’Etat du 24 mai portant annulation de l’élection du Gouverneur et Vice-Gouverneur de la province du Kongo Central. Et ce, parce que cet arrêt du Conseil d’Etat a été jugé non conforme à la constitution. Cette compétence jurisprudentielle de la Cour Constitutionnelle a été justifiée dans le dispositif de l’arrêt R. const 1800 du 22 juillet 2022 en ces termes :
« le fait que cette compétence ne soit pas explicitement prévue par la constitution ne laisse aucunement carte blanche aux juridictions de franchir le Rubicon de l’inconstitutionnalité. En effet, la Cour rappelle que dans sa tradition jurisprudentielle, elle a étendu sa compétence aux actes d’assemblée chaque fois que l’État de droit était menacé. C’est notamment la négation des droits de la personne humaine fondamentalisés et constitutionnalisés par le constituant du 18 février 2006 et en l’absence de toute autre juridiction à même de les rétablir. A ce jour, elle s’appuie aussi sur les législations et la jurisprudence constitutionnelle comparées, en ce qu’elles reconnaissent au juge constitutionnel la compétence de protéger l’État de droit incarné par la constitution, la volonté du peuple, seul détenteur de la souveraineté, même en l’absence de texte » [4].
Ainsi donc, la Cour Constitutionnelle justifie sa compétence jurisprudentielle au nom de la sauvegarde de l’État de droit garanti fondamentalement par la constitution.
D’où, aucune décision ou mesure contraire à la constitution ne peut s’appliquer dans un État de droit. Cette situation nous pousse de plus belle à nous poser la question principale de notre recherche à savoir : la Cour Constitutionnelle joue-t-elle implicitement le rôle de la Cour Suprême de Justice ?
Nous allons répondre à cette question en nous focalisant sur les deux cas jurisprudentiels susmentionnés. Il sied de préciser que les contentieux électoraux des députés provinciaux et Gouverneurs et Vice-Gouverneurs sont du ressort des juridictions de l’ordre administratif [5]. En revanche, la Cour Constitutionnelle connait des contentieux des élections présidentielles, législatives nationales ainsi que du référendum [6]. Faudrait-il encore signifier que les décisions de justice ne sont susceptibles que des recours dans les conditions prévues par la loi.
Elles ne peuvent même pas faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
Par conséquent, en procédant au contrôle de constitutionnalité et en annulant des arrêts du Conseil d’Etat qui est la juridiction suprême de l’ordre administratif, la Cour Constitutionnelle nous donne toutes les raisons de croire qu’elle joue implicitement le rôle de la Cour Suprême de Justice.
Dans un pays où le président de la République n’a pas hésité à qualifier publiquement la justice nationale de "malade". D’où, il est impérieux que le législateur congolais harmonise cette situation incongrue à travers des réformes légales car, celle-ci peut mener aux abus.
Et surtout que la Cour Constitutionnelle congolaise commence à devenir au jour le jour moins crédible.