Ainsi, si l’entraide est une vertu à perpétuer au sein de la famille, le constat est malheureusement amer en ce qui concerne le prêt à usage immobilier dans la société congolaise. En effet, le commodat immobilier semble à la base de plusieurs conflits familiaux qui, parfois, connaissent une fin funeste. Ainsi, le commodat devient, par la force des choses, une source d’insécurité juridique, familiale voire sociale.
A travers cette réflexion, le but poursuivi est d’analyser les effets du prêt à usage portant sur un bien immobilier (foncier) dans le cadre d’un accord conclu entre membres d’une même famille en RDC. L’objectif est ainsi de s’intéresser à l’impact de ce type de contrat sur le tissu familial congolais d’une part, et d’autre part à proposer de pistes de solutions susceptibles d’offrir un équilibre entre la solidarité au sein de la famille et la sécurité juridique des parties.
I. Définition.
Aux termes des dispositions de l’article 448 du décret du 30 juillet 1888- Des contrats ou des obligations conventionnelles - Code civil congolais Livre III (CCCLIII) -, le prêt à usage ou le commodat est défini comme « un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge pour le preneur de la rendre après s’en être servi ». En d’autres termes, ce contrat met en évidence deux parties dont l’une s’engage à céder le fructus et l’usus de sa propriété et l’autre, à en bénéficier. Le propriétaire du bien garde ainsi l’autre élément constitutif de la propriété qu’est l’abusus. Cette cession des droits du propriétaire est une pratique récurrente dans la société congolaise. C’est le cas d’un Oncle qui cèderait les clés de son appartement à son neveu afin qu’il y habite avec sa famille. Ce neveu bénéficie ainsi de tous les attributs de la propriété sur cet appartement à l’exception toutefois de l’abus, c’est-à-dire du droit de disposer de celui-ci. Il est tenu de l’user en bon père de famille et devrait, normalement, le restituer en l’état à la fin du prêt. C’est ainsi qu’il ne s’agit ni d’un contrat de donation et encore moins d’un contrat de location mais d’un contrat de prêt à usage qui a ses propres caractéristiques.
II. Caractéristiques.
La principale caractéristique d’un commodat est qu’il est un contrat de prêt qui porte sur des choses dont on peut user sans les détruire (article 447 CCCLIII) et est essentiellement gratuit (article 449 CCCLIII).
Par ailleurs, si au départ seul le préteur et le bénéficiaire sont concernés, le commodat peut également avoir des effets au-delà des seules parties contractantes.
En effet, les engagements qui se forment par le commodat passent respectivement aux héritiers du préteur et du bénéficiaire au cas où le contrat ne serait conclu en intuitu personae, c’est-à-dire considération de l’emprunteur (article 452 CCCLIII).
Ceci suppose que cette clause soit reprise dans le contrat de prêt à usage. Par ailleurs, dans la pratique, le commodat au sein d’une famille congolaise se base sur un contrat verbal. Il n’est pas de coutume qu’un contrat par écrit soit conclu entre le membre qui livre une chose à l’autre pour s’en servir. Ce manque de document écrit est souvent à la base de sérieux problèmes. En effet, à défaut d’un contrat écrit, il serait difficile pour le préteur de prouver que le bien mis à la disposition ne l’était qu’en considération de l’emprunteur.
C’est le cas d’un X qui autoriserait son frère Y ainsi que sa famille d’habiter sa concession située sur l’avenue Mongata dans la commune de Lemba à Kinshasa. Dix ans durant, Y et sa famille y vécurent jusqu’à la disparition soudaine de Y. Deux ans plus tard, mourut également X à la suite d’un accident de circulation, laissant derrière lui trois enfants, la famille de son frère Y habitant toujours la concession de Lemba.
Quelques mois après la mort de X, sa veuve et ses enfants décidèrent de vendre cette concession de Lemba afin de subvenir aux besoins de la vie. En dépit d’une notification en bonne et due de leur intention de vente, la veuve et ses enfants se virent confrontés à une opposition catégorique des enfants de Y de quitter ladite concession, estimant qu’ils seraient en droit d’occuper indéfiniment cette concession et ne pourraient la quitter que de leur gré.
Cet exemple illustre suffisamment les différents problèmes que pourrait susciter un contrat de prêt à usage portant sur un bien immobilier au sein d’une famille congolaise. Mais avant d’aborder cette question, il est important de comprendre les obligations des parties à ce contrat.
II. Les obligations de l’emprunteur et du prêteur.
Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise et doivent être exécutées de bonne foi (article 33 CCCLIII). Ainsi, lorsque les parties se sont engagées l’une envers l’autre, le contrat ainsi conclu produit les mêmes effets qu’une loi. Cela signifie que si l’une des parties ne remplit pas ses engagements, elle pourra être sanctionnée. Ces principes basiques trouvent également application dans le cadre du commodat. Bien que le commodat soit considéré comme un contrat de bienfaisance dans lequel l’une des parties procure à l’autre un avantage purement gratuit (article 5 CCCLIII), il n’est pour autant pas dépourvu d’obligations contractuelles entre les parties. Ainsi, le prêteur et l’emprunteur sont soumis à des obligations qui peuvent être reprises dans un contrat de prêt à usage. Ce contrat peut être par écrit ou verbal.
A. Les obligations de l’emprunteur.
La première obligation de l’emprunteur est de veiller, en bon père de famille, à la garde et à la conservation de la chose prêtée (article 453 CCCLIII). Cette obligation signifie que l’emprunteur doit prendre soin du bien mis à sa disposition comme il aurait fait si ce bien était sien. Il est de l’intérêt de l’emprunteur de veiller à la bonne conservation de la chose prêtée. En effet, en cas de péril de la chose prêtée, l’emprunteur engage sa responsabilité, particulièrement s’il n’a pas pris des dispositions pour éviter cet incident (article 455 CCCLIII). En outre, il est tenu d’user de ce bien dans les limites de l’usage pour lequel il a été mis à sa disposition (article 454 CCCLIII).
Par ailleurs, il convient de noter que bien que la loi soit plus précise sur les obligations de l’emprunteur, leur mise en application est plus difficile. En effet, le bénéficiaire d’un prêt à usage immobilier dans le contexte familial congolais a plus tendance à se comporter comme s’il en serait le propriétaire. Non seulement que l’objet du prêt se voit utilisé pour d’autres fins, mais fasse même objet de vente. Et la situation devient davantage complexe lorsque survient la mort du préteur.
B. Les obligations du préteur.
D’entrée de jeu, il convient de signifier que les obligations du préteur semblent tellement confuses, qu’elles sont susceptibles de faire objet de multiples interprétations. Ces dernières peuvent par conséquent être à la base d’insécurité dans les rapports entre le préteur et l’emprunteur, spécialement lorsque le contrat de prêt à usage est oral et porte sur l’immobilier. Ainsi, pour un prêteur qui mettrait sa concession au service de l’emprunteur, membre de sa famille, afin que celui-ci et sa famille y habitent, il deviendrait difficile au prêteur d’évoquer les dispositions de l’article 461 CCCLIII pour retirer la concession prêtée. En effet, l’article 461 CCCLIII du Code civil congolais Livre III reconnait au prêteur le droit de récupérer la chose prêtée qu’après le terme convenu ou à défaut de convention, qu’après qu’elle a servi à l’usage pour lequel elle a été empruntée. Dans une société où on ne couche quasiment jamais les engagements par un document écrit, l’oral ayant primauté et ce, spécialement entre les membres d’une même famille, il se poserait une question de preuve en cas de conflits.
Certes, le contrat verbal lie les parties contractantes et plus encore lorsqu’il y a eu de témoins oculaires. Mais dans le contexte familial congolais, cette forme de preuve ne semble pas en soi une garantie pour résoudre un conflit immobilier. En outre, même si les dispositions de l’article 462 CCCLIII octroient au prêteur le droit de saisir le juge en cas d’un besoin pressant et imprévu de sa chose, afin de récupérer la chose prêtée, c’est au seul juge d’évaluer le caractère pressant et imprévu dudit besoin. La complexité de cette requête serait encore plus grande en cas de situation de droits successoraux. En effet, en RDC, les clivages intra et interfamiliaux s’illustrent par les récurrents problèmes d’héritage. Ainsi, faute de testaments écrits, de leur mauvaise interprétation ou encore de la malhonnêteté des uns et des autres naissent des conflits fonciers au sein de familles à telle enseigne qu’ils constitueraient l’une de causes majeures de déchirement de familles congolaises.
Fort de toutes ces réalités, le prêt à usage portant sur un immobilier semble plus poser de problèmes que consolider la solidarité familiale. Ainsi, pour essayer tant soit peu de trouver un équilibre entre la solidarité au sein d’une famille, qui est une vertu de premier rang, et le protecteur des droits des parties contractantes, de précautions s’imposent avant toute cession des droits (usus-fructus) sur un bien immobilier.
C. Commodat immobilier, solidarité et sécurité juridique.
La notion de « solidarité familiale » est d’usage courant voire récurrent dans les rapports quotidiens sociaux. En Afrique, la solidarité familiale se manifeste au quotidien par l’entraide, les visites, la mobilisation de tous les membres lors des événements heureux (mariage, naissance, etc.) ou malheureux (décès, maladies, etc.). Elle se traduit aussi par des transferts, en espèces ou en nature, entre les membres de la parentèle. C’est dans cette optique qu’un membre d’une famille accepte de prêter une maison, un appartement voire toute une parcelle à un autre membre de sa famille afin de lui venir en aide. Ceci arrive souvent soit par ce que le membre bénéficiaire n’est plus à même d’offrir un logement décent aux siens, soit par ce qu’il a perdu son emploi, soit encore par simple acte de fraternité du préteur.
Cet acte de cession des droits sur un bien est le plus souvent verbal et à l’abri du tiers. En effet, ce genre d’accord entre membres d’une même famille se basent sur la confiance et aucun document écrit n’est par conséquent établi. Du point de vue juridique, ledit accord demeure donc légal et lie les parties contractantes. Par ailleurs, la difficulté d’un tel accord verbal, également en cas de conflits entre le prêteur et l’emprunteur, repose non seulement sur la preuve de la durée du prêt et de l’étendue de potentiels bénéficiaires (articles 448 et 452 CCCL III) mais également de la crédibilité d’éventuels témoins oculaires de l’accord verbal. Cette difficulté deviendrait encore plus grande en cas de disparition soit du prêteur soit du bénéficiaire. En cas de la mort du prêteur, il reviendrait à ses ayant-droits de prouver et de réclamer leur bien. La plupart de cas, une fin de non-recevoir leur est souvent réservée par l’emprunteur. Pour justifier sa position, ce dernier soutiendrait que le bien lui aurait été accordé définitivement par le De cujus ou encore il aurait été mis à sa disposition aussi longtemps qu’il serait en vie. Par conséquent, en l’absence du prêteur, il reviendrait ainsi aux ayant-droits qui prétendent le contraire et ce, avec d’en apporter les preuves.
L’autre scenario serait la mort de l’emprunteur qui laisserait sa progéniture dans la concession prêtée. Une fois de plus, il reviendrait au prêteur, à défaut d’un contrat écrit, de prouver que le bien immobilier n’aurait été prêté qu’en considération de l’emprunteur, et à lui personnellement et par conséquent, ses héritiers ne pourraient continuer de jouir de la chose prêtée (article 452 CCCL III). Ainsi, on se retrouverait en face d’un conflit opposant le prêteur et les héritiers de l’emprunteur qui pourraient prétendre au droit de jouir r indéfiniment de la chosée prêtée du fait de droits accordés à l’emprunteur (article 452 CCCL III). Par ailleurs, bien que l’article 462 accorde au prêteur le droit de réclamer son bien en cas de besoin pressant et imprévu de sa chose, la réacquisition du bien prêté n’est pas d’office. En effet, le même article soumet ce droit au libre arbitre du juge qui devrait examiner le caractère pressant et imprévu de la requête du prêteur. Si cette précaution vise à protéger l’emprunteur d’éventuels abus de pouvoir du prêteur, elle pourrait être à la base d’importants conflits. Quelle serait ainsi la réaction du prêteur dont la requête serait rejetée par le juge, au motif que le besoin, par lui évoqué, serait dénué de tout caractère pressant et imprévu ? Est-ce une telle décision du juge serait de nature à consolider l’unité de la famille ? En outre, au cas où il accéderait à la requête du prêteur, le déguerpissement des héritiers de l’emprunteur serait-il exempt de tout conflit au sein de la famille ?
Au regard de toutes ces hypothèses, un seul constat se dégage : le commodat sur l’immobilier basé sur un accord oral est une véritable source d’instabilité et d’insécurité au sein des familles congolaises ayant un impact significatif sur les droits successoraux. Si l’entraide est une vertu qui devrait se perpétuer, il est une nécessité de prendre en compte le danger des accords passés à l’oral et de recourir à ceux passés à l’écrit, ce dernier étant la preuve littérale par excellence, susceptible de lever tout équivoque en cas de litige. En effet, dans une société en perpétuelle mutation, si pauvre et soumise aux influences extérieures, le respect de la parole donnée ne suffit plus, même entre frères et sœurs d’une même famille. Ainsi, afin de garantir un équilibre familial et de perpétuer la solidarité au sein de la famille d’une part, et d’autre de protéger les droits des uns et des autres, il serait judicieux que dorénavant, pour tout prêt à usage portant sur l’immobilier entre les membres d’une même famille, soit couché sur un document écrit. Certes, une telle pratique ne relève pas des habitudes dans une famille congolaise et pourrait même faire objet de toutes les interprétations. Cependant, au vu du nombre de conflits opposant de familles entières et parfois jusqu’à la dislocation de celles-ci, l’établissement d’un contrat écrit pour un prêt à usage immobilier s’avère salutaire voire d’utilité publique. Ainsi, pour éviter toute confusion dans l’interprétation dudit contrat, celui-ci devrait mentionner clairement non seulement sa durée mais également énoncer si la chose ainsi prêtée est liée à la personne de l’emprunteur ou ses héritiers pourraient également en bénéficier. Ce contrat, signé en deux exemplaires dont chacune des parties garderait une copie, devrait être légalisé auprès des services compétents de l’Etat. Ceci dans le but de mieux protéger les deux parties contractantes et barrer ainsi le chemin à tout usage et à toute interprétation abusifs.
D. Conclusion.
Le contrat de prêt à usage portant sur l’immobilier est dans la base de plusieurs différends devant les cours et tribunaux en République démocratique du Congo. Si au départ les parties sont de bonne foi, il arrive toutefois que le bénéficiaire du bien immobilier ne se comporte pas en bon père de famille. Le manque de respect de ses engagements provoque de tensions qui finissent généralement devant les instances judiciaires. il incombe au législateur d’encadrer spécifiquement ce secteur de la vie sociale qui trouble régulièrement l’ordre public et est à la base de la scission du tissu familial.