La constitutionnalisation de la liberté de recourir à l’IVG et mise à jour de l’article 34 de la Constitution.

Par Laurent Thibault Montet, Docteur en Droit.

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La loi constitutionnelle du 8 mars 2024 modifie l'article 34 de la Constitution et consacre la liberté pour les femmes de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Cela confirme que la question de l'IVG relève du domaine de la loi. L'article aborde également les incidences de la constitutionnalisation de cette liberté.
Description rédigée par l'IA du Village

Le 9 mars 2024 est publiée au journal officiel de la République française la loi constitutionnelle n°2024-200 du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Cette loi constitutionnelle contient un article unique qui s’exprime en ses termes : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

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La loi constitutionnelle n°2024-200 du 8 mars 2024 procède donc à une mise à jour de l’article 34 de la Constitution. Ce dernier est relatif à la délimitation du domaine de la Loi. Cela est bien loin de l’élan initial qui aspirait à la création d’un article nouveau au sein de la Constitution. Mais est-ce à dire que c’est un acte manqué ?

Il y a deux procédures de révision de la Constitution celle de l’article 11 [1] et celle de l’article 89 [2].

L’utilisation de l’article 11 de la Constitution implique, sans solliciter l’accord du Parlement, de soumettre le projet à un référendum, ce qui rend le résultat un peu plus incertain surtout lorsque l’enjeu est social et touche à un domaine sollicitant les valeurs et croyances des électeurs. Sur vingt-cinq révisions constitutionnelles [3], il semble que cette option n’a été utilisée que deux fois, en 1962 afin de permettre l’élection du président de la République au suffrage universel direct ; puis en 1969 pour une réforme du Sénat et pour la régionalisation. La première a été fructueuse [4] alors que la seconde a abouti à un échec pour le Général De Gaulle.

S’agissant du processus de révision de la Constitution par la mise en œuvre des dispositions de l’article 89, le projet de révision (c’est-à-dire que l’initiative est prise par le président de la République sur proposition du 1ᵉʳ ministre) ou la proposition de révision (c’est-à-dire que l’initiative est parlementaire) est soumis aux deux chambres (Assemblée nationale et Sénat) qui doivent voter le texte en des termes identiques.

S’il s’agit d’une proposition de révision, à l’issue du vote du texte en termes identiques par les deux chambres, la proposition doit être approuvée par référendum. En revanche, s’il s’agit d’un projet de révision ; à l’issue du passage au vote auprès des deux chambres, le projet est approuvé soit par référendum, soit par la majorité des 3/5ᵉ des suffrages exprimés du Parlement réunie en Congrès. En l’espèce, c’est la procédure de l’article 89 de la Constitution qui a été mise en œuvre :

  • Le 24 novembre 2022 : L’Assemblée nationale adopte une proposition de loi constitutionnelle visant à la création d’un article 66-2 au sein de la Constitution
  • Le 1ᵉʳ février 2023 : Le Sénat adopte une proposition de loi optant pour une modification de l’article 34 de la Constitution
  • Le 8 mars 2023 : Le président de la République exprime son attachement à la constitutionnalisation de l’IVG
  • Le 12 décembre 2023 : Conseil des ministres au cours duquel le projet de révision est présenté au Président puis déposé au Parlement
  • Le 24 janvier 2024 : Discussion du projet par les députés
  • Le 30 janvier 2024 : Adoption du projet par les députés
  • Le 28 février 2024 : Discussion et adoption par les sénateurs
  • Le 29 février 2024 : Convocation du Congrès
  • Le 4 mars 2024 : Réunion et vote du Congrès soit 780 voix pour le projet et 72 voix contre
  • Le 8 mars 2024 : Promulgation de la loi constitutionnelle relative à la liberté de recourir à l’IVG
  • Le 9 mars 2024 : Publication de ladite loi au JORF.

L’élan initial de constitutionnalisation de l’accès à l’IVG qui visait la création d’un nouvel article 66-2 au sein de la Constitution souhaitait l’exprimer en ses termes :

« Il ne peut être porté atteinte aux droits à l’IVG et à la contraception. La loi garantit l’accès libre et effectif à ces droits ».

A l’issue de 18 mois de débats politiques, la loi constitutionnelle n°2024-200 du 8 mars 2024, relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, composée d’un article unique, consacre le fait que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». S’agit-il là d’une constitutionnalisation du droit d’accès à l’IVG ?

En tout état de cause, il est manifeste que la Loi constitutionnelle du 8 mars 2024 procède à une mise à jour de la liste de l’article 34 de la Constitution [5].

Dès lors, il a consacré la position promue par le Sénat qui le 1ᵉʳ février 2024, à contrecourant de la posture de l’Assemblée nationale [6], préférait une intervention plus modérée. Pour bref rappel, l’article 34 de la Constitution, délimite le domaine de loi ce qui signifie que les domaines listés dans cette disposition ne peuvent faire l’objet que d’une intervention législative. Ainsi, sauf mise en œuvre de l’article 38 [7] de la Constitution, le gouvernement ne peut par un décret prendre des mesures dans le domaine de compétence de la loi [8] et vice-versa.

C’est en ce sens que la loi constitutionnelle du 8 mars 2024 a au moins cinq mérites et au moins un bémol :

  • Mérite n°1 : Introduction au sein de la Constitution de la locution « interruption volontaire de grossesse ».
  • Mérite n°2 : Consacre comme « liberté garantie à la femme » la faculté d’avoir recours à l’IVG.
  • Mérite n°3 : Consécration d’une pratique du Législateur Républicain qui consiste à intervenir sur ladite question de l’IVG uniquement (sauf mise en œuvre de l’article 38) par voie législative. En effet, sous la Vᵉ République, la question de l’IVG a été essentiellement traitée par voie législative. 6 lois ordinaires ont été construites pas à pas le droit d’accès à l’IVG et à la contraception [9]. Dès lors, la loi constitutionnelle constitutionnalise le fait que la question de l’IVG est un domaine de la loi.
  • Mérite n°4 : La loi constitutionnelle du 8 mars 2024 complète la liste de l’article 34 de la Constitution dans le prolongement et en cohérence avec le §3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Désormais, il est clairement précisé que parmi les droits garantis à la femme par la loi, compte les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à l’IVG.
  • Mérite n°5 : Met à la charge du Législateur (responsabilité qu’il assume déjà en pratique du fait des 6 lois produites sur la question) la détermination des conditions d’exercice de la liberté garantie à la femme. Ainsi, d’une certaine manière est consacré du même coup un objectif de valeur constitutionnelle : la détermination des conditions d’accès à l’IVG. En effet : « Les objectifs de valeur constitutionnelle ne sont pas des droits mais des buts assignés par la Constitution au législateur, qui constituent des conditions objectives d’effectivité des droits fondamentaux constitutionnels. Ils découlent des droits et libertés et servent à en déterminer la portée exacte. Ils servent moins à les limiter qu’à les protéger. La « clef d’interprétation » des objectifs réside ainsi dans l’effectivité des droits et libertés » [10].
  • Bémol n°1 : la loi est modifiable voire abrogeable par une autre loi selon la sensibilité politique majoritaire au Parlement. Mais pour l’heure, en France, les courants opposés à l’IVG sont minoritaires.
  • Bémol n°2 : En pratique, il y a des inégalités territoriales qui rendent cette liberté garantie à la femme plus ou moins difficile d’accès (voire inaccessible) selon où l’intéressée se trouve sur le territoire national et selon son niveau social.

En tout état de cause, un première ligne de garde de cette liberté, outre la vigilance de chaque citoyen, c’est le Juge constitutionnel qui veillait déjà (bien avant ladite loi constitutionnelle) a priori sur cette liberté et, avec la QPC, pourra y veiller a posteriori. Les autorités juridictionnelles qu’elles soient constitutionnelles (juge constitutionnel), judiciaires (juge judiciaire) ou administratives (juge administratif) sont au final gardiennes de la liberté individuelle et assure le respect de ce principe.

Laurent Thibault Montet
Docteur en droit

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Notes de l'article:

[1Article 11 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Le président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions […] ».

[2Article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement. Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale. Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.
La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision
 ».

[31. Loi constitutionnelle n° 60-525 du 4 juin 1960 sur l’État de la communauté ; 2. Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 sur l’Élection du président de la République au suffrage universel ; 3. Loi constitutionnelle n° 63-1327 du 30 décembre 1963 sur la Session parlementaire ; 4. Loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre 1974 sur la Possibilité pour 60 députés ou 60 sénateurs de déférer une loi au Conseil constitutionnel ; 5. Loi constitutionnelle n° 76-527 du 18 juin 1976 sur l’Intérim de la Présidence de la République ; 6. Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 sur les Dispositions permettant de ratifier le traité de Maastricht - langue française - les lois organiques relatives aux TOM - les résolutions parlementaires sur les actes communautaires ; 7. Loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993 sur la Cour de justice de la République ; 8. Loi constitutionnelle n° 93-1256 du 25 novembre 1993 sur le Droit d’asile ; 9. Loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 sur la Session parlementaire unique (du premier jour ouvrable d’octobre au dernier jour ouvrable de juin) - l’aménagement des « immunités » parlementaires et élargissement des possibilités de recours au référendum ; 10. Loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 sur la Loi de financement de la Sécurité sociale ; 11. Loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 sur l’Avenir de la Nouvelle-Calédonie ; 12. Loi constitutionnelle n° 99-49 du 25 janvier 1999 sur le Traité d’Amsterdam ; 13. Loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999 sur la Cour Pénale Internationale ; 14. Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 sur l’Égalité entre les femmes et les hommes ; 15. Loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 sur la Durée du mandat du président de la République ; 16. Loi constitutionnelle n° 2003-267 du 25 mars 2003 sur le Mandat d’arrêt européen ; 17. Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 sur l’Organisation décentralisée de la République ; 18. Loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1ᵉʳ mars 2005 sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe ; 19. Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1ᵉʳ mars 2005 sur la Charte de l’environnement ; 20. Loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007 sur le Corps électoral de la Nouvelle-Calédonie ; 21. Loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 sur la Responsabilité du président de la République ; 22. Loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 sur l’Interdiction de la peine de mort ; 23. Loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution sur le Traité de Lisbonne ; 24. Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vᵉ République sur la Modernisation des institutions de la Vᵉ République, dont QPC ; 25. Loi constitutionnelle n° 2024-200 du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

[4Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 - (Élection du président de la République au suffrage universel).

[5Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La loi fixe les règles concernant : -les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ; -la nationalité, l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ; -la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l’amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ; -l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d’émission de la monnaie. La loi fixe également les règles concernant : -le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ; -la création de catégories d’établissements publics ; -les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat ; -les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé. La loi détermine les principes fondamentaux : -de l’organisation générale de la Défense nationale ; -de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ; -de l’enseignement ; -de la préservation de l’environnement ; -du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; -du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale. La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Les lois de financement de la Sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État […] ».

[6Création d’un nouvel article 66-2.

[7Habilitation du gouvernement par le Parlement de prendre par ordonnance des mesures qui sont du domaine de la loi.

[8Art. 37 de la Constitution : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire […] ».

[9Loi n°75-17 du 17 janvier 1975 ; loi n° 79-1204 du 31 décembre 1979 ; loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 ; loi n° 2014-873 du 4 août 2014 ; loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 ; loi n°2022-295 du 2 mars 2022.

[10Pierre de Montalivet, Les objectifs de valeur constitutionnelle, Cahiers du Conseil constitutionnel N° 20 - Juin 2006.

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

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