La conception dans les marchés publics globaux à l'aune du code de la commande publique. Par Thomas Sermot, Avocat.

La conception dans les marchés publics globaux à l’aune du code de la commande publique.

Par Thomas Sermot, Avocat.

5311 lectures 1re Parution: 4.81  /5

Explorer : # marchés publics # conception # maîtrise d'œuvre # code de la commande publique

La conception occupe une place singulière dans les marchés publics globaux. Elle ne s’y dilue pas et revêt une importance particulière.
Le droit des marchés publics repose sur un double principe d’allotissement et, en matière de travaux, de non-cumul des missions de conception et de construction.

-

Archétype de l’exception à ces deux principes, le marché global présente les traits d’un montage attractif, aux conditions de recours facilitées et synonyme, pour l’acheteur, d’une plus grande efficacité avec l’association de la conception et de la réalisation qu’il sous-tend. Sur ce point, le code de la commande publique (CCP) reprend la présentation de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et, avant elle, du code des marchés publics en considérant la conception comme une prestation susceptible d’être confiée au titulaire d’un marché global à l’instar de la construction, l’aménagement, l’exploitation ou bien la maintenance. Cette présentation ne doit pas, pour autant, occulter la place singulière que la conception y conserve et les enjeux attachés à sa présence.

Étape indispensable à la concrétisation de tout projet, la conception est une phase de « création et mise en forme d’un projet et de ses plans » . Elle fait intervenir, en matière de travaux, un maître d’œuvre chargé d’apporter, eu égard à sa compétence, une réponse « architecturale, technique et économique » au programme défini par le maître d’ouvrage.

La singularité de la conception n’est nullement remise en cause dans un marché global. Bien au contraire, elle y occupe une place à part qui témoigne de son importance mais qui nécessite des précautions.

Positionnement de la conception vis-à-vis du marché global.

La conception est une composante possible du marché global.

Disons-le d’emblée, aucune disposition, ni aucun principe général du CCP n’impose de confier la conception au titulaire d’un marché global. En d’autres termes, si le marché global constitue bien, par essence, une exception au principe d’allotissement , il ne l’est pas nécessairement au principe de non-cumul de la conception et de la construction. En réalité, l’attribution de la conception au titulaire d’un marché global résulte d’un double choix de l’acheteur tenant (i) au marché retenu et (ii) aux prestations confiées.

Un contrat global se caractérise « par l’étendue de la mission attribuée au cocontractant et par la rémunération qu’en contrepartie lui paie la collectivité » avec une summa divisio au travers des notions de maîtrise d’ouvrage et/ou de financement. Parmi les contrats globaux, les marchés publics occupent une place centrale à travers (i) les marchés textuellement qualifiés de globaux par l’article L2171-1 du CCP, et (ii) le marché de partenariat, qui bien que non expressément qualifié de marché global, satisfait toutes les caractéristiques de par la mission globale confiée à son titulaire.

Du point de vue de la conception, le choix du marché n’est pas neutre dans la mesure où une distinction peut être faite entre les marchés pour lesquels la conception est obligatoire et ceux pour lesquels elle n’est que facultative. Elle est obligatoire, comme son nom l’indique, dans les marchés de conception-réalisation qui permettent de confier une « mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux » et dans les marchés globaux sectoriels. Elle devient facultative dans les marchés globaux de performance à l’intérieur desquels l’exploitation ou la maintenance peuvent être associées à « la réalisation ou à la conception- réalisation » et dans les marchés de partenariat où la mission globale confiée au titulaire peut comprendre "tout ou partie de la conception des ouvrages, équipements ou biens immatériels".

Il n’y a donc pas de fatalité pour un acheteur à se dessaisir de la conception au seul motif de souhaiter passer un marché global. Il s’agit, au contraire, d’une faculté. Faculté somme toute logique dans la mesure où il n’est pas inconcevable de préférer, pour des raisons techniques, économiques, architecturales, isoler la conception des prestations confiées dans le cadre du marché global et de passer séparément un marché de maîtrise d’œuvre. On retombe ici dans le schéma classique faisant intervenir un maître d’ouvrage, un entrepreneur et un maître d’œuvre indépendant de ce dernier.

La conception ne se dilue pas au sein du marché global lorsqu’il l’intègre.

L’intégration de la conception dans le marché global n’a pas pour effet de diluer cette prestation parmi les prestations confiées au titulaire. Par deux fois, le Législateur a entendu flécher l’exercice de la maîtrise d’œuvre qu’implique l’intégration de la conception dans les marchés globaux en rendant obligatoire l’identification d’une équipe de maîtrise d’œuvre.

Pour les marchés globaux au sens de l’article L2171-1 du CCP, cette obligation, introduite par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, est inscrite à l’article L.2171-7 du CCP qui vise les marchés globaux comportant des prestations de conception, corrigeant ainsi l’ancienne rédaction de l’article 35 bis de l’Ordonnance Marchés qui visaient tous les marchés globaux.

Pour le marché de partenariat, cette obligation, introduite par la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, est désormais inscrite à l’article L.2213-3 du CCP.

Réparations de fortunes pour certains, succès en demi-teinte pour d’autres , cette identification a néanmoins le mérite de confirmer le statut à part de la maîtrise d’œuvre dans les marchés globaux et l’importance qui lui est conférée.

Pour autant, il convient de relever que le CCP ne reprend pas le principe d’une identification de l’équipe de maîtrise d’œuvre dès le stade de la candidature comme le prévoyait le décret n° 2017-842 du 5 mai 2017 portant adaptation des missions de maîtrise d’œuvre aux marchés publics globaux. En pratique, l’acheteur aura intérêt à maintenir, dans les documents de la consultation, cette identification le plus en amont de la procédure et si possible dès le dossier de candidature.

Par ailleurs, lorsque le marché global comporte la conception il est recommandé de préciser les modalités d’analyse du volet conception dans le cadre des propositions. Concernant le marché de partenariat, le CCP prévoit expressément que lorsque le marché confie la conception au titulaire, les offres doivent comporter, pour les bâtiments, un projet architectural et que l’acheteur doit, dès lors que le marché comporte la conception, tenir compte, parmi les critères d’attribution, de la qualité globale des ouvrages, équipements ou biens immatériels.

Il n’existe pas de disposition comparable pour les marchés globaux au sens de l’article L2171-1 du CCP. Si l’intervention d’un jury dans certains cas peut expliquer cette absence, une démarche identique est recommandée avec une remise de prestations par les soumissionnaires et une analyse des propositions (candidatures ou offres) reposant notamment sur celles-ci. Si la remise de prestations ouvre la voie au versement d’une prime, cette contrepartie apparait indispensable pour éclairer au mieux l’acheteur et identifier l’offre économiquement la plus avantageuse.

La procédure de passation est intimement liée à la présence ou non de la conception.

L’identification de la procédure à mettre en œuvre pour la passation d’un marché global fait intervenir un jeu relativement complexe de paramètres tenant à la fois à la qualité de l’acheteur, au type de marché, à la nature des prestations confiées, à la valeur estimée du marché et au champ d’application du livre IV du code de la commande publique qui codifie les dispositions de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée (loi MOP).

Sans être exhaustif, il y a lieu de retenir que pour les marchés globaux, l’article R.2171-15 du CCP pose le principe de la mise en œuvre d’une procédure formalisée (appel d’offres, procédure avec négociation, dialogue compétitif) sous réserve de la désignation et de l’intervention d’un jury pour tous les marchés (i) passés par des acheteurs soumis au livre IV du CCP et (ii) dont la valeur estimée du besoin est égale ou supérieure aux seuils de procédure formalisée.

Ce principe est toutefois immédiatement tempéré par l’article R.2171-16 du CCP qui supprime le jury, sans d’ailleurs préciser si les acheteurs disposent d’une marge d’appréciation sur ce point, dans deux hypothèses. Premièrement, pour les marchés globaux passés par des entités adjudicatrices selon la procédure de dialogue compétitif ou selon la procédure avec négociation. Deuxièmement, pour les marchés globaux passés par des pouvoirs adjudicateurs (i) lorsque le marché est relatif à la réutilisation ou à la réhabilitation d’ouvrages existants ou à la réalisation d’un projet urbain ou paysager ou (ii) lorsque le marché est relatif à des ouvrages réalisés à titre de recherche, d’essai ou d’expérimentation.

Lorsqu’il est requis, le jury est notamment chargé de dresser un procès-verbal d’examen des candidatures, de formuler un avis motivé sur la liste des candidats à retenir, de se prononcer, après les avoir entendus, sur les prestations des candidats et de formuler un avis motivé.

Pour le marché de partenariat, les règles sont celles applicables aux marchés publics avec la faculté de recourir à la procédure avec négociation ou à la procédure de dialogue compétitif lorsque le marché comporte des prestations de conception .

En définitive, pour les marchés globaux au sens de l’article L2171-1 du CCP la présence de la conception au sein du marché fait intervenir, sauf exception, un jury, et pour le marché de partenariat, elle ouvre la voie, aux procédures de dialogue compétitif ou de négociation.

Pilotage de la conception en cours d’exécution du marché global.

Conception et maîtrise d’ouvrage publique.

Le schéma d’une maîtrise d’ouvrage publique correspond aux marchés globaux au sens de l’article L2171-1 du CCP dans lesquels la conception est intégrée ou non dans le marché.

Lorsque le marché global ne comporte pas la conception, le pilotage de la conception ne pose pas de difficultés particulières. Il s’agit de l’hypothèse du marché public global de performance dans sa formule sans conception, c’est-à-dire Réalisation – Exploitation ou Maintenance.

Le caractère global du marché n’intègre pas la mission de conception et la maîtrise d’œuvre est donc dissociée. Le maître d’œuvre remplit sa fonction « traditionnelle » vis-à-vis du maître d’ouvrage. Il appartient à l’acheteur, maître d’ouvrage, de conclure un marché de maîtrise d’œuvre portant à la fois sur la conception des travaux et le suivi de leur exécution conformément aux dispositions des articles L.2410-1 et suivants du CCP.

Lorsque le marché global comporte la conception, celle-ci doit être assurée par une « équipe » de maîtrise d’œuvre – ce qui ne préjuge en rien des modalités d’intervention - identifiée au sein du titulaire. Cette équipe est chargée de la conception de l’ouvrage et du suivi de sa réalisation.

Pour les ouvrages de bâtiment, les articles D2171-4 et suivants du CCP, qui codifient le décret précité du 5 mai 2017, définissent le contenu d’une mission de base qui s’applique à tous les marchés globaux comportant de la conception, et cela quelle que soit la valeur estimée du marché. Cette mission de base comporte les études d’avant-projet définitif , les études de projet , les études d’exécution , le suivi de la réalisation des travaux et l’assistance au maître d’ouvrage aux opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement . Elle peut comprendre, en outre, les études d’esquisse et les études d’avant-projet sommaire .

Ce cadre légal, s’il a le mérite d’exister, ne parait pas suffisant pour appréhender et sécuriser l’exécution du marché global. Une attention particulière devra être portée sur trois enjeux principaux.

En premier lieu, il est recommandé pour les parties, et au premier rang pour l’acheteur, de préciser et délimiter l’étendue de la mission du maître d’œuvre et ses obligations vis-à-vis du maître d’ouvrage. L’acheteur pourra notamment détailler et renforcer les obligations d’information et de conseil incombant à l’équipe de maîtrise d’œuvre notamment dans le suivi des travaux et dans la phase de réception en rappelant, en tant que de besoin, son devoir de conseil vis-à-vis du maître d’ouvrage. Sans risquer la schizophrénie qu’une telle situation pourrait amener , il s’agit de rappeler qu’indépendamment de son association contractuelle avec l’entrepreneur, le maître d’œuvre a des obligations particulières vis-à-vis du maître d’ouvrage. Il s’agit d’une précaution pour l’acheteur.

En deuxième lieu, l’acheteur devra définir avec précision le rôle et les responsabilités des différents intervenants au sein du groupement titulaire afin de disposer à chaque moment de l’interlocuteur adéquat. Les questions de représentation du titulaire du marché lors des différentes phases du marché et celle du mandat devront être traitées par les pièces du marché.

En troisième et dernier lieu, une attention toute particulière devra être portée à l’identification et à la rédaction des pièces contractuelles. A ce titre, la question de l’application ou non d’un cahier des clauses administratives générales (CCAG) est cruciale. Plusieurs solutions s’offrent : n’appliquer aucun CCAG ce qui suppose de considérablement renforcer les documents particuliers du marché, appliquer le CCAG le plus adapté au marché, appliquer plusieurs CCAG en dérogeant expressément aux préambules des CCAG qui excluent cette application combinée de plusieurs cahiers. Gage de sécurité indéniable pour les parties par la récurrence des concepts et des procédés qu’il établit, l’application d’un CCAG sans adaptation est fortement déconseillée, de même que l’utilisation de documents non spécifiquement dédiés à l’opération en cause.

Conception et maîtrise d’ouvrage privée.

La maîtrise d’ouvrage privée correspond à l’hypothèse du marché de partenariat. Le schéma est plus complexe dès lors qu’une conception partagée est rendue possible, rompant de facto avec l’unicité préservée dans les schémas reposant sur une maîtrise d’ouvrage publique.

A titre liminaire, il convient de rappeler que le marché de partenariat, comme avant lui le contrat de partenariat , autorise trois formules s’agissant de la conception des ouvrages à réaliser dans le cadre dudit marché.

1ère option : le marché de partenariat ne comporte pas de conception, celle-ci est conservée par l’acheteur. L’unicité de la mission de maîtrise d’œuvre est maintenue mais ce schéma rompt le lien entre le maître d’ouvrage (titulaire du marché) et le maître d’œuvre (cocontractant de l’acheteur) ce qui n’est déjà pas rien.

2ème option : le marché de partenariat comporte de la conception. Contrairement aux marchés globaux reposant sur une maîtrise d’ouvrage publique, aucun texte ne définit le contenu de la mission de l’équipe de maîtrise d’œuvre. Les rapports au sein du groupement titulaire sont régis par un accord contractuel ad hoc, le plus souvent une convention de groupement. L’acheteur aura intérêt à préciser dans le marché de partenariat la place qu’il entend voire confier à l’équipe de maîtrise d’œuvre et son rôle de contrôle, vérification et validation durant le marché.

3ème option : le marché de partenariat comporte une mission de conception partagée entre l’acheteur et le titulaire. L’article L2213-3 al. 2 du CCP prévoit ainsi que « Lorsque l’acheteur ne confie au titulaire qu’une partie de la conception de l’ouvrage, il peut lui-même, par dérogation à l’obligation prévue à l’article L. 2431-3, faire appel à une équipe de maîtrise d’œuvre pour la partie de la conception qu’il assume. »

En d’autres termes, non seulement le recours au marché de partenariat n’est pas incompatible avec un maître d’œuvre désigné par l’acheteur, mais il ne l’est pas non plus avec la présence de deux maîtres d’œuvre l’un désigné par l’acheteur pour la partie de la conception qu’il a entendu assumer, l’autre par le titulaire pour la partie - résiduelle - de la conception qu’il assume et le suivi de la réalisation. Dans un tel schéma, la position de retrait de l’acheteur qu’implique nécessairement le transfert de la maîtrise d’ouvrage au titulaire du marché s’en trouve réduite et s’ouvre indéniablement des incertitudes quant aux interfaces, aux responsabilités et aux garanties offertes. La vigilance s’impose.

En définitive, la conception revêt une importance particulière, et même plus encore, dans les marchés globaux.

Thomas Sermot, Avocat à la Cour
ts chez sermotavocat.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

26 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27852 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.

• L'IA dans les facultés de Droit : la révolution est en marche.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs