À l’ère du sensationnel, du scandale et de l’information percutante, on pourrait brandir le drapeau de la « Breaking News » et scander le nom de « l’Affaire KNC ». Un récit long de sept ans, ayant pris racine devant le Tribunal de grande instance de La Rochelle, en passant par les Cours d’appel de Poitiers et Bordeaux, pour finalement s’achever, une nouvelle fois, devant la Haute juridiction parisienne. Haletant ! Sauf que… Au risque de décevoir l’assidu de la série Netflix, cette « Affaire » s’apparente plus à une saga sur l’amour des juristes à se triturer sur des notions abstraites et ambigües, qu’à un scénario d’action hollywoodien. En effet, « l’Affaire KNC », du nom de la société plaignante, est la narration de l’évolution normative quant à l’appréciation de la notion de lot transitoire en copropriété. Une péripétie judiciaire qui a accompagné l’évolution législative en la matière et a corroboré l’art particulier de ne rien faire tout en faisant !
Les faits sont donc les suivants. Sur les rivages de l’Île de Ré est édifié en 1992 un immeuble affecté d’un Règlement de copropriété divisant la propriété en deux lots, dénommés de manière très originale : lot n°1 et lot n°2. Le lot n°1 est composé d’une maison d’habitation et d’une cour comportant un hangar, d’une superficie d’environ 275 m², comprenant 802/1000ème des parties communes. Quant au lot n° 2, le Règlement de copropriété l’a décrit comme « un sous-sol à construire situé sous le hangar du lot n°1, d’une superficie d’environ 275m2 » et de 198/1000ème des parties communes.
Évidemment, et c’est là où l’affaire prend racine, les deux lots ne sont pas détenus par le même propriétaire. Le lot n°1 a été acquis par Mme et M. X, particuliers qui ont fait construire une piscine au lieu du hangar, et le lot n°2 est la propriété originelle de la société KNC qui projette, depuis longtemps, la construction d’un parking sous-terrain. Problème ! La piscine du lot n°1 étant enterrée, elle empiète sur le droit de construire du lot n°2.
C’est ainsi que démarre la saga judiciaire. D’un côté, Mme et M. X soutiennent que le lot n°2, correspondant à un lot transitoire, n’est pas défini selon les nouvelles normes imposées par la Loi Elan (Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018) qui enjoignent de décrire la consistance du lot et précisément les constructions projetées. Tandis que la société KNC se prévaut de l’application de la loi dans le temps et de l’absence de telles contraintes légales au moment de la rédaction du Règlement de copropriété, en 1992. Qui a raison ? Eh bien lorsque cette affaire passe pour la première fois devant la Cour de cassation, en 2021, ce sont les consorts X qui semblent tenir la victoire, à une précision près que les trois ans de délais pour mettre en conformité les Règlements de copropriété ne sont pas encore écoulés à l’époque [1]. L’affaire est donc renvoyée. Or, entre temps, la Loi 3DS (Loi n°2022-217, du 21 février 2022) a été promulguée et le délai de trois ans supprimé. Aussi, le lot n°2, aussi imprécis puisse-t-il être, est désormais valable ! C’est finalement la société KNC qui obtient gain de cause [2]. Que retenir de cette décision ?
I. Le lot transitoire : une transition vers l’affinement de sa définition.
En une seule phrase : le lot transitoire est une abstraction pour caractériser l’existence d’une autre abstraction. Voilà, c’est à-peu-près la compréhension que peut avoir le tout-venant de cette notion. Il convient évidemment de la détailler. Tout d’abord, l’origine de sa définition est très récente car c’est justement la Loi Elan qui a affirmé son existence. Cette réforme de 2018 avait justement pour but de mettre fin, dans les copropriétés, aux situations de fait qui n’étaient définies que par le prisme de la jurisprudence, par nature fluctuante et casuistique. Aussi, grâce aux nouvelles définitions légales, le jardin commun dont l’accès était réservé exclusivement à Monsieur DUPON, est devenu une partie commune à jouissance privative. De même que les WC, communs seulement aux deux appartements du dernier étage, sont devenus des parties communes spéciales. Enfin, d’une manière identique, le droit de Madame MACHIN de surélever son appartement, est devenu un lot transitoire astreint à une définition précise. L’objectif du législateur, en 2018, était donc d’harmoniser et de sécuriser les situations factuelles pour éviter les contentieux à venir.
À cet effet, il a donc fallu se pencher sur ce qu’est un lot transitoire. Historiquement, la jurisprudence le définissait en s’inspirant majoritairement de la technique de construction par tranche qui consiste à procéder par ensembles cohérents de travaux, chaque ensemble constituant un tout du point de vue fonctionnel. De manière concrète, le lot transitoire visait donc à permettre à un copropriétaire de privatiser un droit de construire. Il s’agissait dès lors d’une technique d’appropriation d’un droit, par nature accessoire à une partie commune, qui permet « de surélever […] d’édifier […] d’affouiller… » (Article 3, Loi du 10 juillet 1965). Quant à la transcription littérale au sein du Règlement de copropriété, la Cour de cassation considérait comme suffisant la simple mention que ce lot octroyait un droit de construire (peu importe lequel) en contrepartie une quote-part de partie commune. C’est cette transcription que la Loi Elan est venue raffermir.
En effet, en novembre 2018, le législateur est venu compléter la définition prétorienne du lot transitoire et d’indiquer, à l’alinéa 3 de l’article 1 de la Loi du 10 juillet 1965 :
« Ce lot peut être un lot transitoire. Il est alors formé d’une partie privative constituée d’un droit de construire précisément défini quant aux constructions qu’il permet de réaliser et d’une quote-part de parties communes correspondante ».
Dorénavant le lot transitoire devra répondre à trois exigences :
- Il doit être constitué d’une partie privative constituée d’un droit de construire et ce droit de construire doit être précisément défini quant aux constructions qu’il permet de réaliser ;
- Il doit être assorti d’une quote-part de partie commune correspondante ;
- La création et la consistance de ce lot doivent être stipulées dans le règlement de copropriété.
De telle sorte que le lot transitoire doit désormais indiquer, dans sa rédaction, la nature exacte et précise du projet de construction envisagé et envisageable. Le titulaire de ce lot n’a plus mains libres pour réaliser, à sa guise, des travaux de construction.
En reprenant l’espèce mentionnée en introduction, il était justement reproché à la société KNC de détenir un lot sans aucune précision quant à sa consistance : « le lot n’est défini que de manière horizontale mais non de manière verticale, aucune cote NGF ni aucune cote altimétrique ne permettant de déterminer le niveau du sous-sol par rapport au sol et son volume » [3]. Pourtant, comme indiqué en supra, c’est la société KNC qui a eu gain de cause.
II. Le lot transitoire : une définition à l’épreuve de la transition législative.
C’est que la vérité judiciaire n’est pas tout le temps la vérité législative. Et, si la Loi de 2018 avait donné raison aux plaignants, c’est en définitive la société KNC qui est sortie gagnante de la procédure. En réalité, la situation est plus complexe. Reprenons depuis le début. Lors de la Loi Elan, le législateur souhaitait imposer une unification des Règlements de copropriété pour mettre un terme aux situations, très et trop nombreuses, de flou juridique.
Le célèbre dicton : « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » peut malheureusement s’imposer à bon nombre d’immeubles, notamment dans les milieux très urbanisés.
Pour ce faire, le législateur a donc prévu, dans un article 206, que : « Les syndicats des copropriétaires disposent d’un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi pour mettre, le cas échéant, leur règlement de copropriété en conformité avec les dispositions relatives au lot transitoire de l’article 1er de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ». Dont acte !
La problématique est qu’aucune sanction n’a été assortie en cas de non-respect du délai de trois ans. Ainsi, en voulant palier un flou, le législateur en a créé un autre. De telle manière que les acteurs, dont notamment les syndics professionnels, se sont retrouvés dans une situation de tension pour rationnaliser au plus vite leurs Règlements de copropriété. De l’autre côté, la doctrine a quant à elle été partagée entre les partisans de la mise en œuvre d’une sanction consistant à déclarer le lot transitoire imprécis comme non-écrit, et l’autre prônant l’absence de conséquence. L’insécurité juridique a donc muté, mais n’a pas disparu.
À tel point que le 21 février 2022, le législateur a reviré de bord et modifié l’article 206, dorénavant rédigé comme suit :
« Les dispositions relatives au lot transitoire de l’article 1er de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ne sont applicables qu’aux immeubles dont la mise en copropriété est postérieure au 1er juillet 2022.
Pour les immeubles dont la mise en copropriété est antérieure au 1er juillet 2022, quand le règlement de copropriété ne mentionne pas la consistance des lots transitoires existants, le syndicat des copropriétaires inscrit à l’ordre du jour de chaque assemblée générale des copropriétaires la question de cette mention dans le règlement de copropriété. Cette décision est prise à la majorité des voix exprimées des copropriétaires présentés, représentés ou ayant voté par correspondance. L’absence de mention de la consistance du lot transitoire dans le règlement de copropriété est sans conséquence sur l’existence de ce lot ».
Pour résumer, le législateur a opté pour la théorie des droits acquis. Les situations antérieures à juillet 2022 ne pourront dès lors être remises en cause. Seule l’obligation de proposer la correction du lot transitoire à chaque assemblée générale annuelle est inscrite, sans contrainte de délai dans le temps. De ce fait, on comprend qu’en 2024 la société KNC n’ait plus été menacée par la suppression de son lot transitoire, en dépit d’une rédaction imprécise. Par cette mesure, les parlementaires ont consacré ce qui a été appelée longtemps la « clause du grand-père » qui permet de bénéficier d’une situation inscrite dans le temps. On peut alors se demander l’intérêt d’une loi qui ne concerne que les copropriétés nouvelles, sans obligation d’harmonisation pour les autres bâtiments. Ainsi, les situations de flou persistent et l’interprétation des lots transitoire d’avant 2022 restent alors l’apanage de la jurisprudence mais également de certains professionnels de l’immobilier.
III. Le lot transitoire : une transition de la définition au profit d’expert de l’immobilier.
Il faut comprendre que la Loi 3DS de 2022, en ôtant la contrainte de mise à jour des Règlements de copropriété, octroie une gratification à l’inaction des Syndicats des copropriétaires. Ainsi, les lots transitoires, inscrits avant juillet 2022, ne se verront pas frappés d’inexistence s’ils ne remplissent pas les conditions de rédaction imposées par la nouvelle législation. Très bien ! Mais cela ne résout en rien les situations de flou. L’absence d’inexistence ne rend pas une clause mal écrite plus valide. La fragilité demeure parfaitement. Et, le recours à la jurisprudence devient alors un moyen de référence pour jauger de la viabilité du lot transitoire. Or, si la jurisprudence est outil fort pratique pour trancher une situation de droit, elle n’est en rien un instrument technique au service de l’immobilier. Car, derrière la terminologie de lot transitoire, se cache une situation évidemment concrète qui nécessite une expertise spécifique.
C’est ainsi qu’intervient l’expert en immobilier. Certainement, depuis la loi Elan et la volonté de normer le lot transitoire, il peut être observé une tendance des copropriétés (mais également des copropriétaires à titre individuel), à clarifier des situations de fait fragiles et mal établies. Ainsi, il n’est pas rare d’être consulté par un propriétaire titulaire d’un lot « transitoire », mais dont la rédaction est douteuse. Et, d’observer que la compétence juridique de l’avocat, qui se fonde principalement sur la loi et La jurisprudence, n’est finalement pas la plus adaptée pour apporter une réponse concrète. En réalité, deux acteurs principaux émergent dans l’interprétation et la rationalisation de ces lots : le Géomètre et l’Expert immobilier.
Le Géomètre-expert est naturellement le plus à même pour se prononcer sur des questions de bornage et de délimitation de la propriété foncière. Il dispose par ailleurs d’un monopole exclusif (Loi n°46-942 du 7 mai 1946). Ainsi, le Géomètre devra s’interroger sur les problématiques d’emprise et de représentation périmétrique du lot transitoire. Il devra s’intéresser à la création de la consistance du droit de construire si elle n’est pas définie ou incorrectement. Pour calculer les quotes-parts acquises de parties communes, le Géomètre procède a des calculs tenant compte de l’homogénéité de l’immeuble, de la situation du bien, de la présence d’équipements communs (ascenseur…)… pour appliquer des ratio, des minorations et des coefficients. Nul doute que ni l’avocat, ni même le notaire ou la jurisprudence ne soient en mesure d’opérer de telles analyses.
Le second acteur qui doit également être considéré dans la clarification du lot transitoire est l’Expert en immobilier. Il s’agit d’un sachant (pas un agent immobilier classique), titulaire d’un diplôme spécifique qui lui permet de maîtriser tant les techniques de construction que les connaissances en urbanisme et en bâtiment. Il doit être vu comme un complément du Géomètre en ce qu’il n’intervient pas sur la rédaction du lot transitoire et l’établissement des quotes-parts, mais sur l’évaluation des droits de construire. En effet, le lot transitoire permet une privatisation de ces derniers. Or, comme pour toute appropriation, une mutation doit être opérée entre le Syndicat des copropriétaires, vendeur, et le propriétaire, acquéreur. Se pose alors la question du coût du droit de construire. Depuis plusieurs années, les commissions d’Expert en immobilier tentent de parvenir à une méthode de calcul uniforme.
À ce jour, trois méthodes sont utilisées.
L’une se fonde par rapport à un pourcentage de la valeur d’un m² à bâtir.
La deuxième est beaucoup plus proche de la réalité économique. On raisonne selon le bilan promoteur en réalisant un décompte à rebours.
Enfin, la troisième consiste en la vérification du poids de la charge foncière sur des programmes récemment construits dans le secteur. Ces trois méthodes permettent donc, par un calcul complexe, de valoriser les droits de construire inclus dans le lot transitoire.
À nouveau, ni la loi, ni la jurisprudence, ne permettent de trancher ces questions. Tout au mieux, elles les avalisent en cas de contentieux.
En tout état de cause, l’existence du lot transitoire en copropriété reste et demeure une question complexe, en dépit de la tentative de clarification opérée par le législateur. L’intervention des experts en immobiliers semblent, encore à ce jour, totalement à propos et surtout primordiale pour dénouer des situations parfois très alambiquées dans certains immeubles. La définition du lot transitoire a encore de beaux jours devant elle !