La compétence territoriale dans le litige avec une personne morale à établissements multiples : le cas de Pôle Emploi.

Par Charles Edouard Poncet, Avocat.

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Explorer : # compétence territoriale # litige # pôle emploi # tribunaux

Pôle Emploi est un établissement public avec près de 896 agences de proximité et points relais et 18 directions régionales.
Les litiges entre les demandeurs d’emplois, s’agissant des prestations d’assurance chômage, hors prestations de solidarité et action de formation, relèvent des tribunaux judiciaires de droit commun (chambre de proximité en cas de litiges de moins de 10 000 euros) et non (comme certains greffes de tribunaux judiciaires font encore la confusion) du Pôle social des tribunaux judiciaires (ex TASS) avec échevinage et procédure orale. Les autres litiges (Allocation spécifique de Solidarité, radiation, sanction) relèvent du tribunal administratif.
La question peut se poser de la compétence territoriale du tribunal compétent, que ce soit dans l’ordre judiciaire ou administratif.

-

La compétence territoriale des tribunaux judiciaires.

Quand Pôle Emploi prend l’initiative dans le litige, il utilise une injonction de payer spécifique, nommée contrainte qu’il a la possibilité d’émettre sans contrôle préalable du juge (à la différence de l’injonction de payer de droit commun). Il s’agit généralement d’obtenir le paiement de prestations servies à tort.

Article L5426-8-2 Code du travail :

« Pour le remboursement des allocations, aides, ainsi que de toute autre prestation indûment versées par l’institution prévue à l’article L. 5312-1, pour son propre compte, pour le compte de l’Etat, du fonds de solidarité prévu à l’article L5423-24 ou des employeurs mentionnés à l’article L5424-1, le directeur général de l’institution prévue à l’article L5312-1 ou la personne qu’il désigne en son sein peut, dans les délais et selon les conditions fixés par voie réglementaire, et après mise en demeure, délivrer une contrainte qui, à défaut d’opposition du débiteur devant la juridiction compétente, comporte tous les effets d’un jugement et confère le bénéfice de l’hypothèque judiciaire ».

Dans ce cas l’article R5426-22 du Code du travail indique que l’allocataire débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié. Le domicile de l’allocataire permet donc de déduire le tribunal compétent.

En pratique la désignation explicite du tribunal judiciaire et son adresse postale est notée sur la contrainte pour faciliter l’opposition du débiteur.

Article R5426-22 Code du travail :

« Le débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la notification. L’opposition est motivée. Une copie de la contrainte contestée y est jointe.
Cette opposition suspend la mise en œuvre de la contrainte. La décision du tribunal, statuant sur opposition, est exécutoire de droit à titre provisoire
 ».

L’article 1406 alinéa 2 du Code de procédure civile qui vise la compétence territoriale pour obtenir le tribunal compétent pour autoriser la mise en œuvre de l’injonction de payer pose la même règle « Le juge territorialement compétent est celui du lieu où demeure le ou l’un des débiteurs poursuivis ».

Il existe un cas particulier, visé à l’article 42 alinéa 3 du Code de procédure civile, soit le cas où le défendeur n’a ni domicile ni résidence connus ; pour mémoire, dans une opposition à contrainte, la position procédurale de l’allocataire est celle du défendeur et celle de Pôle Emploi celle du demandeur.

Les textes prévoient que préalablement à l’émission de la contrainte, Pôle Emploi doit envoyer une mise en demeure par courrier recommandé avec accusé de réception.

Dans l’hypothèse où le courrier est restitué à Pôle Emploi au motif que le destinataire est inconnu à l’adresse indiquée, Pôle Emploi, demandeur a libre choix, aux termes de l’alinéa précité « Si le défendeur n’a ni domicile ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où il demeure ou celle de son choix s’il demeure à l’étranger ».

Mais la cour de cassation a réduit ce choix « La faculté accordée par l’art. 42, al. 3, à un demandeur de saisir la juridiction du lieu où il demeure ne permet pas à une personne morale ayant son siège social en France d’assigner le défendeur devant une juridiction autre que celle du lieu où se trouve ce siège » (Civ. 2e, 29 janv. 1992, N° 90-18258 P ; dans ce cas Pôle Emploi 1-5 Rue du docteur Gley, 75020 Paris, devrait indiquer que l’opposition doit être envoyée au Tribunal judiciaire de Paris).

En pratique, Pôle Emploi se contente d’émettre la contrainte en indiquant sur celle-ci le tribunal judiciaire ad hoc en regard de la dernière adresse connue. L’opposition ne pouvant pas être formée par le débiteur, non informé, celui-ci pourra faire valoir, au moment de l’exécution forcée, devant le juge de l’exécution que la contrainte doit être anéantie, au motif que Pôle Emploi, avisé par le retour postal que le défendeur était sans adresse connue, aurait dû mentionner le Tribunal judiciaire de Paris comme tribunal compétent sur la contrainte.

Quand c’est le demandeur d’emploi qui agit en premier, pour contester le trop-perçu ou obtenir le paiement des prestations après un refus, celui-ci dispose d’un choix, celui d’assigner au siège national de Pôle Emploi, ou au siège du tribunal judiciaire dans le ressort duquel il est domicilié.

Cette possibilité de choix repose sur :
- le premier alinéa de l’article 42 du Code de procédure civile « La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur » ;
- la jurisprudence dite des « gares principales » relative au contentieux ferroviaire au XIXème siècle a permis au demandeur de déroger à la règle de l’assignation au lieu du siège social.

Ce serait le mettre en inconfort procédural d’obliger le demandeur d’emploi d’assigner systématiquement au siège parisien. Il faut éviter les difficultés de l’éloignement pour l’allocataire de province, la nécessité coûteuse d’un avocat postulant ou a contrario un monopole de fait des avocats de la région parisienne.

Pour autant, ce sera toujours Pôle Emploi, personne morale unique, qui sera assignée, quel que soit le tribunal choisi et le Code du travail a organisé la représentation de cette personne morale selon des modalités précises.

Une personne morale ne peut exercer son droit d’agir que par l’intermédiaire de ses représentants. Dès lors, la vérification de la qualité d’organe représentatif de la personne morale et de l’étendue de ses pouvoirs doit se faire selon les règles du droit dont relève cette personne morale.

Les règles de droit qui organisent la représentation de Pôle Emploi en justice sont :
- l’article R5312-19 du Code du travail pour le directeur général :

« Le directeur général prépare les délibérations du conseil d’administration et en assure l’exécution. Il prend toutes les décisions autres que celles qui relèvent de la compétence de ce conseil. Il représente Pôle emploi en justice et dans les actes de la vie civile, sous réserve des dispositions des articles R5312-23 et R5312-26.
Il a autorité sur l’ensemble du personnel de Pôle emploi. Il nomme les directeurs régionaux ainsi que les directeurs des établissements créés sur le fondement du 7° de l’article R5312-6.
Il peut déléguer sa signature aux personnels placés sous son autorité. Il peut déléguer ses pouvoirs dans le cadre fixé par une délibération du conseil d’administration
 ».

- l’article R5312-26 alinéa 1er du Code du travail pour les directeurs régionaux :

« Le directeur régional représente Pôle emploi dans ses relations avec, les usagers, les agents et les tiers et dans les actions en justice et les actes de la vie civile intéressant la région, en particulier ceux relatifs aux acquisitions, échanges et aliénations de biens immobiliers conformément au programme des implantations territoriales voté par le conseil d’administration et mis en œuvre par le directeur général. Il prend l’ensemble des décisions en matière de gestion de la liste des demandeurs d’emploi, notamment les décisions mentionnées aux articles R5411-18, R5412-1 et R5412-8. Il décide de la suppression du revenu de remplacement et du prononcé de la pénalité administrative dans les conditions prévues aux sections 2 et 3 du chapitre VI du titre II du livre IV de la présente partie ».

La réserve de l’article R5312-26 du Code du travail :
- autorise le directeur régional à représenter Pôle Emploi en justice mais ne vise pas à priver le directeur général de façon absolue de sa capacité de représentation, y compris dans les litiges avec les usagers,
- ne pose pas de limite territoriale à la capacité de représentation de Pôle Emploi par le directeur régional qui peut intervenir devant tout tribunal judiciaire dans le cas où le litige concerne un dossier traité par ses services.

Ainsi, le directeur régional de Pôle Emploi Bretagne pourra représenter l’établissement public devant le tribunal judiciaire de Paris si le demandeur géré par l’agence de Brest a fait le choix d’y assigner Pôle Emploi.

Ces modalités internes à Pôle Emploi de représentation en justice n’impliquent aucune obligation pour le demandeur à l’action contre Pôle Emploi. Il reste libre d’assigner au siège parisien de la personne morale, ou d’assigner devant le tribunal du dans le ressort duquel il est domicilié et non au siège de la direction régionale qui a traité son dossier.

La compétence territoriale des tribunaux administratifs.

Les tribunaux administratifs sont compétents dans les litiges entre un allocataire et Pôle Emploi quand le litige porte sur des allocations attribuées au titre de la solidarité, comme l’allocation spécifique de solidarité [1], et plus généralement quand Pôle Emploi agit comme service public de l’emploi (formation, sanction du non-respect des règles régissant les droits et obligations du demandeur d’emploi).

Pôle Emploi prend l’initiative quand des allocations de solidarité ont été versées à tort, ou pour recouvrer une pénalité administrative.

Pôle Emploi utilise lors la contrainte, précitée.

L’opposition doit alors être portée devant le tribunal administratif territorialement compétent, soit aux termes de l’article R312-1 du Code de justice administrative :

« Lorsqu’il n’en est pas disposé autrement par les dispositions de la section 2 du présent chapitre ou par un texte spécial, le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a légalement son siège l’autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée (…), celui dans le ressort duquel a légalement son siège l’autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée ».

Mais l’article R312-1 du Code de la justice administrative, prévoit que cette règle peut être écartée par un texte spécial, soit ici l’article R5426-22 Code du travail, précité, qui désigne le tribunal compétent dans le ressort duquel le débiteur est domicilié.

Quand le demandeur d’emploi qui est en demande, il pourra présenter sa requête devant le tribunal compétent dans le ressort duquel l’autorité dont il conteste la décision a son siège, soit comme en matière judiciaire, le siège national, soit le Tribunal administratif de Paris, soit le siège de la direction régionale de Pôle Emploi.

Mais, souplesse de la justice administrative, si le tribunal saisit ne s’estime pas compétent, il transmettra la requête au tribunal qu’il estime compétent, sous réserve d’un éventuel arbitrage du président de la section du contentieux, sans plus de conséquence pour le demandeur.

Charles Edouard Poncet, avocat au barreau des Hauts de Seine

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Notes de l'article:

[1Article L5423-1 du Code du travail.

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