Loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : une avancée notable pour la défense des femmes et des mineurs ? Par Patrick Lingibé, Avocat.

Loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : une avancée notable pour la défense des femmes et des mineurs ?

Par Patrick Lingibé, Avocat.

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L’article suivant propose un commentaire de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a été publiée au Journal Officiel du dimanche 5 août 2018.

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Il convient de rappeler que ce texte est issu du projet de loi adopté lors du conseil des ministres du 21 mars 2018 et qui avait été présenté par la garde des sceaux, ministre de la justice, Nicole Belloubet et la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa.

Ce projet faisait suite à un long travail de concertation au sein de la société française, notamment de constats de terrains relayés par des rapports.

Comme le rappelait Madame Marie Mercier, sénatrice, dans son rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat : « Selon les enquêtes « Cadre de vie et sécurité »(CVS) réalisées entre 2008 et 2016, en moyenne chaque année, 1,7 millions de femmes de 18 à 75 ans se sont déclarées victimes d’au moins un « acte à caractère sexuel » au cours des deux années précédant l’enquête et plus de 2 millions au moins une fois de violences physiques ou menaces, 74 % des victimes d’un acte à caractère sexuel sont des femmes. Selon l’Observation national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), le taux de victimisation (sur deux ans) des femmes pour les actes à caractère sexuel est presque trois fois supérieur à celui des hommes.

Selon les enquêtes CVS, le nombre de victimes de violences sexuelles (hors ménage) en 2015-2016 est estimé à 466 000, soit 1 % des personnes âgées de 18 à 75 ans. 81 % des victimes sont des femmes. »

Par ailleurs, s’agissant particulièrement des violences subis par les mineurs, le rapporteur indiquait également :
« Selon les résultats de l’étude de l’Institut national des études démographiques (Ined) « Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes » (Virage), 38,3 % des actes de viol ou de tentative de viol déclarés par les femmes et 59,2 % de ceux déclarés par les hommes surviennent avant l’âge de 15 ans.
Plus d’un quart des femmes et un tiers des hommes interrogés déclarent que les faits de viol et de tentative de viol ont débuté avant l’âge de 11 ans. »

C’est notamment pour répondre à cette problématique que ce projet de loi a été pris.

Le texte de loi publié comporte 20 articles alors que le projet de loi déposé en procédure accélérée à l’Assemblée Nationale le 21 mars 2018 ne comportait initialement que 5 articles.

Cela traduit l’intensité des travaux parlementaires et des amendements intervenus, avec des débats parfois houleux, les dernières divergences entre les deux assemblées sur certaines dispositions du projet ayant été levées par la commission mixte paritaire.

Néanmoins, il est particulièrement regrettable et affligeant de constater que cette loi a fait l’objet de commentaires totalement faux au point de la dénaturer, notamment en indiquant que ce texte serait devenu plus permissif et légaliserait même la pédophilie, ce qui est totalement fallacieux.

Bien au contraire, cette loi améliore sensiblement la prévention des violences et l’accompagnement des victimes et renforce durement les sanctions pénales contre les agresseurs sexuels et protège les mineurs.

I. Une prescription rallongée.

Il convient de rappeler que depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, le délai de droit commun de prescription de l’action criminelle est passé de 10 ans à désormais 20 ans.

Suite à l’extension du délai de droit commun, il n’y avait plus de délai de prescription spécifique pour les infractions criminelles de nature sexuelle commises à l’encontre des mineurs (le délai de 20 ans, arrêté par la loi du 9 mars 2004, se trouvait en quelques sortes absorbé par le délai de droit commun, issu de la loi de 2017).

C’est pour combler ce vide, que l’article 1er de la loi du 3 août 2018 modifie l’article 7 du code de procédure pénale de la manière suivante : « L’action publique des crimes mentionnés à l’article 706-47 du présent code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers. ».

Cette disposition a été adoptée dans l’optique de donner aux victimes, particulièrement traumatisées, le temps nécessaire pour avoir le courage et la volonté de dénoncer, sans culpabilisation, les faits de crime sexuels dont ils ont été victimes. En effet, elle prend en compte les mécanismes de la mémoire traumatique mis en exergue dans les différentes études réalisées sur les victimes d’infractions sexuelles, laquelle peut aboutir pendant un certain temps à une amnésie et à une dénégation du traumatisme sexuel subi.

Cette disposition permettra dorénavant aux victimes mineures de porter plainte jusqu’à l’âge de 48 ans, soit trente ans après leur majorité.

II. Renforcement de la protection des mineurs de 15 ans.

Pour la première fois, le législateur définit dans cette loi ce qu’est une contrainte et non pas contrairement à ce qui a été écrit çà et là le consentement.
Le consentement fait intervenir en effet une notion de discernement. Le rapporteur sénatorial indique à cet effet « selon M. Philippe Duverger, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, chef du service au CHU d’Anger, le discernement, la maturité sexuelle, ou la capacité à consentir à un acte sexuel et à en comprendre les conséquences varient énormément d’un enfant à l’autre. »

La loi Belloubet-Schiappa n’a pas légalisé la pédophilie et encore moins assoupli les règles du consentement.

Un petit rappel de ce qui existait antérieurement s’impose afin de comprendre l’apport de la loi du 3 août 2018 à ce niveau. Il faut savoir que l’ancien article 227-25 du code pénal réprimait par une peine d’emprisonnement de 5 ans et de 75.000 euros d’amende sous l’incrimination d’atteinte sexuelle le fait par un majeur « d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de 15 ans ».
Pour que la qualification criminelle de viol soit retenue, il fallait que soit apportée la preuve que le rapport sexuel résultait de faits de « violence, contrainte, menace ou surprise » sur la personne victime, y compris le mineur de moins de 15 ans. On voit bien qu’avant la loi du 3 août 2018, il n’y avait pas disposition juridique retenant automatiquement le crime de viol pour des faits commis sur un mineur de 15 ans. La présomption de non-consentement n’a jamais existé et n’existait pas et la loi Belloubet-Schiappa n’a rien modifié sur ce qui existait déjà.

Souhaitant répondre à l’émoi suscité au sein de l’opinion publique par deux affaires pénales médiatisées impliquant des mineurs victimes (l’une concernant l’acquittement par la cour d’assises de Seine-et-Marne d’un accusé poursuivi pour des faits de viol sur un mineur de 11 ans ; l’autre se rapportant à une requalification par le parquet de Pontoise d’une plainte de viol sur un mineur de 11 ans en infraction d’atteinte sexuelle), le Gouvernement avait annoncé l’instauration d’une présomption irréfragable non-consentement attachée à un seuil d’âge au-dessous duquel un tel consentement n’existerait pas par définition. Dans son communiqué de presse du 21 mars 2018, le secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, énonçait trois axes rappelés lors lancement de la Grande Cause Nationale du Quinquennat le 25 novembre 2017, par le Président de la République, dont celui de fixer à 15 ans le seuil d’âge en-dessous duquel un mineur ne saurait être considéré comme consentant à un rapport sexuel avec une personne majeure.

Cependant, la création d’une telle présomption irréfragable de non-consentement heurtait très clairement nos principes de droit constitutionnel et notre État de Droit.

Dans son avis rendu le 15 mars 2018, le Conseil d’État a attiré à bon droit l’attention du Gouvernement sur l’inconstitutionnalité de la disposition du projet de loi tendant à instaurer initialement la création d’une présomption irréfragable de non-consentement attachée à un seuil d’âge pour les mineurs, en l’espèce 15 ans, cela dans l’optique de limiter la subjectivité judiciaire et éviter ainsi des décisions différentes de juridictions qui ont pu heurter l’opinion publique, étant précisé néanmoins que dans les deux affaires médiatisées, les décisions critiquées pouvaient s’expliquer parfaitement sur le plan juridique.

Compte tenu de l’avis du Conseil d’État et de la proposition alternative formulée par ce dernier, le Gouvernement a dû abandonner par son projet d’instaurer une présomption irréfragable. Il s’est donc orienté vers une solution plus sage sur le plan juridique visant à définir la notion de contrainte morale de surprise lorsqu’une atteinte est commise sur un mineur de quinze ans, étant rappelé le consentement, élément très variable, même constitué, n’est pas toujours la preuve d’une véritable et libre volonté du mineur qui la donne. Le consentement suppose que l’on comprenne ce que l’on fait ou que l’on dit de faire et de pouvoir mesurer très clairement les conséquences qui en résultent pour la personne qui la donne. Ce qui est loin d’être d’une évidence chez les personnes majeures qui s’engagent dans les actes juridiques qu’ils souscrivent au quotidien…

Le droit considère qu’un mineur ne peut librement donner son consentement à un acte sexuel qu’à partir de 15 ans, étant précisé qu’il s’agit d’une présomption simple susceptible d’être combattue par la preuve contraire par l’auteur présumé de l’infraction. Il n’y a donc aucune infraction pénale si un majeur a des relations sexuelles consenties avec un mineur de plus de 15 ans.

III. Il ne faut pas confondre les agressions sexuelles avec les atteintes sexuelles.

Pour ce qui est des atteintes sexuelles, le mineur est consentant, mais le droit estime que ce consentement n’est pas valable. Soit parce qu’il s’agit d’un mineur de moins de 15 ans, soit parce l’auteur de l’atteinte est un ascendant ou une personne ayant une autorité de droit ou de fait sur un mineur de plus de 15 ans.

Si un majeur a des relations sexuelles non consenties avec un mineur de moins de 15 ans, il ne s’agit pas d’une atteinte sexuelle, mais d’une agression sexuelle ou d’un viol aggravé du fait de l’âge de la victime.
Comme pour les majeurs, ces infractions doivent être commises avec violence, contrainte, menace ou surprise. Ce sont ces éléments qui permettent de caractériser l’absence de consentement de la victime, mais en pratique ce n’est pas sans poser des difficultés : si le caractère forcé de la relation sexuelle ne peut être établi avec certitude, le doute profite à l’accusé « In dubio pro reo ».

Il est à noter que la définition du viol a été revue et couvre aujourd’hui tout acte de pénétration, que celui-ci soit commis sur la personne de la victime ou sur l’auteur lui-même (par exemple une fellation forcée peut constituer un viol de la part de celui qui impose la fellation, ou de la part de celui qui la réalise). Il en ressort que le viol résulte donc d’un acte de pénétration de toute nature commis sur ou avec la personne d’autrui.

Pour renforcer la protection des mineurs de 15 ans contre les actes sexuels non consentis et en faciliter la répression, la loi du 3 aout 2018 prévoit que la différence d’âge entre l’auteur et la victime ou l’absence de maturité du mineur, peuvent suffire à caractériser la contrainte ou la surprise. Ces éléments sont laissés à l’appréciation souveraine des juges du fond.

A noter aussi que la loi a étendu la qualification d’inceste à l’ensemble des victimes, alors que cette "surqualification" ne concernait auparavant que les mineurs (article 222-31-1 nouveau du code pénal) ; cette extension répond à une critique de la doctrine, notamment de Monsieur le Professeur Philippe Bonfils, Professeur des Universités à Aix-Marseille et spécialiste reconnu en droit des mineurs.

Il est à relever que la nouvelle rédaction de l’article 222-22-1 du code pénal sur la définition de la contrainte s’applique immédiatement et également aux faits antérieurs, le Conseil d’État ayant indiqué dans son avis du 15 mars 2018 dans son considérant n° 27 qu’ « une telle rédaction, en désignant certaines circonstances de fait sur lesquelles la juridiction peut se fonder pour caractériser la contrainte ou la surprise sans modifier les éléments constitutifs de l’infraction, s’appliquerait de manière immédiate, y compris aux faits antérieurs, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation, s’agissant des termes de l’article 222-22-1, dans un arrêt du 15 avril 2015 ».

Texte de l’article 222-22-1 du code pénal modifié par l’article 2 de la loi n° 2018 sur la définition de la contrainte :

« La contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale.
Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l’article 222-22 peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur.
Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. »

La question subsidiaire sur la qualification d’atteinte sexuelle devient un impératif en cas de poursuites pour viol sur mineur.

L’article 351 du code de procédure pénale dispose en son premier alinéa que « S’il résulte des débats que le fait comporte une qualification légale autre que celle donnée par la décision de mise en accusation, le président pose une ou plusieurs questions subsidiaires. »

L’article 2 de la loi du 3 août 2018 a ajouté à cet article 351 le deuxième alinéa suivant :

« Lorsque l’accusé majeur est mis en accusation du chef de viol aggravé par la minorité de quinze ans de la victime, le président pose la question subsidiaire de la qualification d’atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans si l’existence de violences ou d’une contrainte, menace ou surprise a été contestée au cours des débats. »

Cette disposition a été adoptée pour éviter que les certaines victimes d’infractions sexuelles particulièrement graves se retrouvent désarçonnées par des acquittements pour des crimes de viol alors qu’en réalité leur intégrité physique et morale a été atteinte.

Elle impose désormais donc au président de la cour d’assises lorsque l’accusé majeur est poursuivi pour des faits de viol aggravé sur une victime mineur de 15 ans, pose obligatoirement la question subsidiaire portant sur la qualification d’atteinte sexuelle sur la personne de ce mineur, dans le cas où l’existence de violences ou d’une contrainte, menace ou surprise a été contestée par l’accusé au cours des débats.

Cette nouvelle disposition permettra ainsi à la cour d’assises de condamner le cas échéant l’auteur sous la qualification d’atteinte sexuelle si elle estime que les éléments du vil n’étaient pas réunis dans les circonstances de l’espèce.

IV. Harcèlement de rue : création d’une contravention d’outrage sexiste.

Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi, la définition de la nouvelle infraction d’outrage sexiste s’inspire directement de la définition donnée du délit de harcèlement sexuel en supprimant toutefois la condition de répétition des faits poursuivis. Il s’en suivait que faute de répétition, certains faits isolés ne pouvaient être poursuivis sur l’incrimination de harcèlement sexuel alors qu’ils portaient de manière évidente notamment à la dignité de la personne qui en était victime.

Le rapport sénatorial précité donne des informations très pertinentes sur ces faits nouvellement incriminés :

« Selon l’enquête « CVS de 2016, 2,6 % des personnes interrogées déclarent avoir été victimes d’injures jugées sexistes, au cours de l’année précédente. 49 % des injures sexistes ont lieu dans la rue et 8 % dans les transports en commun.

(…)

Les injures sexistes de rue ont tendance à viser l’apparence physique (43 % d’entre elles, contre 35 % pour les injures sexistes ayant lieu hors de la voie publique), à être le fait d’un ou plusieurs hommes (90 %) et à se dérouler de nuit ou le week-end. »

Cette nouvelle infraction vise donc à sanctionner divers comportements se caractérisant de différentes manières dans l’espace public : sifflements, propos sur l’habillement ou l’apparence physique de la ou des personnes visées, propos et verbes désignant des actes sexuels. Dans cette incrimination, entrent également dans ces comportements sanctionnés ceux relevant de compliments dits astreignants et faussement élogieux (tels les termes de bel, bonne, canon) et qui soumettent la victime à une obligation de répondre, par exemple par un remerciement, un geste, un sourire. L’objectif pour les personnes qui y sont à l’origine est avant tout de placer les victimes dans une situation embarrassante, voire dénigrante, pour elles.

Ce type de propos doit être distingué de ce relèverait de ce que l’on dénomme la « drague », celle-ci ou toute forme qui s’y rapprocherait supporte préalablement un échange mutuellement accepté entre deux personnes.

L’infraction d’ outrage sexiste sert dorénavant à réprimer ce type de harcèlement dit de rue.

L’article 15 de la loi du 3 aout 2018 créé un article 621-1 du code pénal, lequel apporte une définition claire puisqu’il s’agit d’ « imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui, soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

L’infraction d’outrage sexiste est punie de l’amende prévue pour les contraventions de 4ème (de 90 € à 750 €) et 5ème classe (jusqu’à 1.500 € ou 3.000 €) s’il y a des circonstances aggravantes (dans les transports en commun, en raison d’une orientation sexuelle, sur un mineur de moins de 15 ans, sur une personne vulnérable, en groupe, par une personne qui abuse de l’autorité conférée par ses fonctions).

Par ailleurs, les personnes coupables de ces contraventions ont l’obligation d’accomplir à leurs frais :
- un stage de lutte contre le sexiste et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes,
- un stage de citoyenneté,
- un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels,
- un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein d’un couple et les violences sexistes,
- ou un travail d’intérêt général pour une durée de 20 à 120 heures.

Il est à noter que le législateur est intervenu dans un champ matériel qui ne relève pas de sa compétence constitutionnelle, à savoir du domaine de la loi défini par l’article 34 de la Constitution. Dans le considérant n° 34 de son avis adopté en assemblée générale le 15 mars 2018, le Conseil d’État a pourtant très clairement rappelé au Gouvernement que « la détermination des contraventions ainsi que des peines qui leur sont applicables relève, en application des articles 34 et 37 de la Constitution, de la compétence du pouvoir règlementaire. » Cependant, nonobstant cet avis fondé et les réserves sur ce point de la commission des lois du Sénat, le Gouvernement a maintenu l’adoption dans la loi d’une disposition contraventionnelle, au risque d’ouvrir une brèche contentieuse fondée sur l’incompétence de l’auteur de l’incrimination nouvelle.

L’outrage sexiste risque de poser des problèmes d’application dans certaines situations où il sera difficile pour le juge contraventionnel de déterminer la nature réelle des propositions ou comportements et l’objectif réellement poursuivi par le ou les prévenus.

Texte de l’article 621-1 du code pénal De l’outrage sexiste créé par l’article 15 de la loi n° 2018-703 du 3 aout 2018 :

« I.-Constitue un outrage sexiste le fait, hors les cas prévus aux articles 222-13,222-32,222-33 et 222-33-2-2, d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
II.-L’outrage sexiste est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe. Cette contravention peut faire l’objet des dispositions du code de procédure pénale relatives à l’amende forfaitaire, y compris celles concernant l’amende forfaitaire minorée.
III.-L’outrage sexiste est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe lorsqu’il est commis :
1° Par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
2° Sur un mineur de quinze ans ;
3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ;
4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur ;
5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ;
6° Dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou dans un lieu destiné à l’accès à un moyen de transport collectif de voyageurs ;
7° En raison de l’orientation sexuelle, vraie ou supposée, de la victime.
La récidive de la contravention prévue au présent III est réprimée conformément au premier alinéa de l’article 132-11.
IV.-Les personnes coupables des contraventions prévues aux II et III du présent article encourent également les peines complémentaires suivantes :
1° L’obligation d’accomplir, le cas échéant à leurs frais, un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes ;
2° L’obligation d’accomplir, le cas échéant à leurs frais, un stage de citoyenneté ;
3° L’obligation d’accomplir, le cas échéant à leurs frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ;
4° L’obligation d’accomplir, le cas échéant à leurs frais, un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et les violences sexistes ;
5° Dans le cas prévu au III, un travail d’intérêt général pour une durée de vingt à cent vingt heures. »

V. Lutte contre les nouvelles formes d’agression issues de l’Internet et des réseaux sociaux.

La loi du 3 aout 2018 met en place un dispositif répressif pour lutter contre de nouvelles formes de violences sur Internet et les réseaux sociaux dont les conséquences peuvent être particulièrement dramatiques pour les victimes.

Un nouveau délit de captation, d’enregistrement et de transmission d’images impudiques commis à l’insu ou sans le consentement de la personne est dorénavant créé et passible d’une peine d’emprisonnement de 1 an ainsi qu’une amende de 15.000 €.

Désormais tous les participants à un acte de cyberharcèlement peuvent être condamnés pour quelques mails ou tweets, quelques statuts Facebook, quelques messages sur des groupes ou des forums. L’auteur principal peut encourir une peine d’emprisonnement de 3 ans et 45.000 € d’amende.

Il convient de rappeler que la création d’un délit particulier sur le harcèlement numérique était intervenue en août 2014 avec la création de l’article 222-33-2-2 du Code pénal qui dispose que :
« Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail.
Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende :
1° Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;
2° Lorsqu’ils ont été commis sur un mineur de quinze ans ;
3° Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.
Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 4°. »

Si la pénalisation de ce type de délit existait donc depuis 2014, il était difficile de pouvoir lutter contre le cyberharcèlement de meute qui sévit fréquemment sur Internet via les réseaux sociaux.

C’est dans cette optique que l’article 11 de la loi du 3 août 2018 a renforcé les dispositions de l’article 222-33 du code pénal, en y ajoutant trois alinéas :
« L’infraction est également constituée :
« 1° Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;
« 2° Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition » ;
2° Le III du même article 222-33 est complété par un 6° ainsi rédigé :
6° Par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique. »

De la même manière, après le premier alinéa de l’article 222-33-2-2 du code pénal, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« L’infraction est également constituée :
a) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;
b) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.
 »

Le 4° du même article 222-33-2-2 est complété par les mots : « ou par le biais d’un support numérique ou électronique ».

VI. Le nouveau délit de sanction du voyeurisme sexuel.

L’article 16 de la loi du 3 août 2018 créé un nouveau délit dans le code pénal visant à réprimer le voyeurisme sexuel avec le nouvel article 226-3-1 du code pénal.

En effet, il sanctionne le fait d’user de tout procédé afin d’apercevoir les parties intimes d’une personne, que cette dernière a caché à la vue de tiers, par une peine d’un an de prison et de 15.000 euros d’amende.

Ces faits sont sanctionnés par une peine aggravée de 2 ans de prison et de 30 000 euros d’amende dans les six cas suivants :
- Lorsqu’ils sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
- Lorsqu’ils sont commis sur un mineur ;
- Lorsqu’ils sont commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
- Lorsqu’ils sont commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ;
- Lorsqu’ils sont commis dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou dans un lieu destiné à l’accès à un moyen de transport collectif de voyageurs ;
- Lorsque des images ont été fixées, enregistrées ou transmises.

Texte de l’article 226-3-1 du code pénal institué par l’article 16 de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 :

« Art. 226-3-1.-Le fait d’user de tout moyen afin d’apercevoir les parties intimes d’une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a caché à la vue des tiers, lorsqu’il est commis à l’insu ou sans le consentement de la personne, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende.
Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende :
1° Lorsqu’ils sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
2° Lorsqu’ils sont commis sur un mineur ;
3° Lorsqu’ils sont commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° Lorsqu’ils sont commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ;
5° Lorsqu’ils sont commis dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou dans un lieu destiné à l’accès à un moyen de transport collectif de voyageurs ;
6° Lorsque des images ont été fixées, enregistrées ou transmises. »

VII. La non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles devient une infraction continue.

La commission des lois du Sénat a modifié le régime de la prescription de l’infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

En effet, il convient de préciser que la prescription d’une infraction court à partir d’un délai qui varie en fonction du caractère de l’infraction qui peut être soit instantanée ou continue.

La prescription d’une infraction instantanée court à partir du jour de la commission des faits.

En revanche, la prescription d’une infraction continue commence à courir à partir du jour où l’infraction a cessé tant dans ces actes constitutifs que dans ses effets.

Jusqu’à la réforme opérée par la loi du 3 août 2018, la nature (infraction instantanée ou continue) du délit de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles était incertaine.

Les 1er et 5 de la loi du 3 août 2018 ont donc modifié les dispositions de l’article 434-3 du code pénal.

Désormais, il s’agit clairement d’une infraction continue, la prescription ne court pas tant que la personne elle-même n’a pas dénoncé les faits aux autorités administratives et/ou judiciaires.

Ce dispositif incitera donc très fortement les personnes concernées à dénoncer les faits de mauvais traitements et d’atteintes sexuelles sur mineurs, lesquelles s’exposent à des peines de prison de 3 ans et de 45.000 euros d’amende, portées à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende lorsqu’il s’agit d’un mineur de 15 ans.

Texte de l’article 434-3 du code pénal modifié par les article 1er et 5 de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 :
« Le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n’ont pas cessé est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende.
Lorsque le défaut d’information concerne une infraction mentionnée au premier alinéa commise sur un mineur de quinze ans, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.
Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13. »

VIII. L’accès au fichier national des auteurs d’infractions sexuelles est étendu aux EPCI.

Pour rappel, il a été créé par la loi du 12 décembre 2005 un fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes. Il s’agit d’une application automatisée d’informations nominatives qui est tenue par le service du casier judiciaire sous l’autorité du ministre de la justice et le contrôle d’un magistrat délégué à cet effet.

Ce fichier recense donc tous les auteurs identifiés d’infractions sexuelles et violentes et les informations sont communiquées aux personnes habilitées.

L’article 6 de la loi du 3 août 2018 a modifié le dernier alinéa de l’article 706-53-7 du code de procédure pénale pour y intégrer les présidents d’établissements publics de coopération intercommunale :

« Les maires, les présidents d’établissements publics de coopération intercommunale, les présidents de conseil départemental et les présidents de conseil régional sont également destinataires, par l’intermédiaire des préfets, des informations contenues dans le fichier, pour les décisions administratives mentionnées au 3° concernant des activités ou professions impliquant un contact avec des mineurs ainsi que pour le contrôle de l’exercice de ces activités ou professions. »

C’est une disposition qui s’imposait, les établissements publics coopération intercommunale (EPCI) concentrant aujourd’hui des compétences très importantes, jadis relevant des communes, qui mettent les services publics gérés en contact direct avec les mineurs. A titre d’exemple, il peut être cité le service public routier des transports dans lequel voyage nécessairement des usagers mineurs. Il était donc indispensable dès lors que les présidents d’EPCI puissent s’assurer de l’absence de tout inscription au Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJASIV), préalablement à tout recrutement de personnels ou de contractualisation avec des tiers pouvant travailler au contact de mineurs.

IX. Un nouveau délit sanctionnant l’altération du discernement d’une personne par l’administration de substance.

Il résulte de l’amendement gouvernemental n° 131 présenté le 5 juillet 2018 au Sénat par la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.

L’article 3 de la loi du 3 août 2018 a créé un nouvel article 222-30-1 dans le code pénal afin de sanctionner une personne qui administre à une autre, à son insu, une substance qui altère son discernement ou le contrôle de ses actes dans l’objectif de commettre sur la victime un viol ou une agression sexuelle.

La peine prévue est 5 ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende, passant à 7 ans de prison et 100.000 euros d’amende si les faits sont commis sur un mineur de 15 ans ou sur une personne particulièrement vulnérable.

La secrétaire d’État Marlène Schiappa indiquait lors des débats sénatoriaux l’objectif de cette nouvelle incrimination :
« Il s’agit, d’une part, de faire de l’usage de la « drogue du violeur » une circonstance aggravante du viol et de l’agression sexuelle, d’autre part d’instituer un délit obstacle pour sanctionner l’administration, à l’insu d’une personne, d’une substance afin de commettre sur elle un viol ou une agression sexuelle.

L’utilisation par l’auteur d’un viol ou d’une agression sexuelle, pour parvenir à ses fins, d’une substance nuisible autrement appelée « drogue du viol » n’est pas prise en compte par le droit actuel.

Pourtant, la préméditation et la dangerosité pour la santé et la sécurité de la victime imposent de faire une circonstance aggravante de l’administration, à son insu, d’une substance afin d’altérer son discernement ou le contrôle de ses actes. »

Cet article offre donc un dispositif répressif pour lutter ainsi plus efficacement contre les personnes qui versent des produits dans les boissons dans certains lieux de divertissement nocturne (boîtes de nuit par exemple), cela afin d’abolir tout discernement et obtenir de leurs victimes des faveurs sexuelles contre leur gré.

Texte de l’article 222-30-1 du code pénal créé par l’article 3 de la loi du 3 août 2018 :
« Le fait d’administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 € d’amende.
Lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans ou une personne particulièrement vulnérable, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100.000 € d’amende. »

Patrick Lingibé
Membre du Conseil National des barreaux
Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France
Avocat associé Cabinet Jurisguyane
Spécialiste en droit public
Diplômé en droit routier
Médiateur Professionnel
Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM)
www.jurisguyane.com

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