Clause de mobilité et délai de prévenance.

Par Arthur Tourtet, Avocat.

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Explorer : # clause de mobilité # délai de prévenance # mutation professionnelle # contrat de travail

La clause de mobilité permet à un employeur de muter le salarié dans une zone géographique précisément délimitée, laquelle peut être assez étendue.

Cependant, l’employeur doit laisser au salarié un délai suffisant afin de permettre à ce dernier d’organiser ses nouveaux trajets ou un déménagement.

Ce délai de prévenance dépend principalement des perturbations que va générer le changement de lieu de travail sur la vie personnelle et familiale de l’employé.

-

Partons de l’hypothèse que votre clause de mobilité n’est pas contestable et qu’elle permette à l’employeur de vous muter dans une autre ville, une autre région, voire un autre pays.

S’adapter à cette nouvelle mutation va assurément vous coûter du temps et de l’énergie.

Personne ne déménage du jour au lendemain, surtout lorsque vous devez emmener votre famille avec vous.

Même sans devoir déménager, un temps d’adaptation n’est pas de trop si les nouvelles contraintes de trajet vous imposent de vous réorganiser afin de respecter vos impératifs personnels et familiaux.

Aucune disposition du Code du travail n’impose à l’employeur un délai précis entre l’annonce d’une mutation et la date pour se rendre sur le nouveau lieu de travail.

Par contre, il est parfaitement possible d’assortir une clause de mobilité d’un délai de prévenance. Le premier réflexe doit être de vérifier ce que contient le contrat de travail.

Si l’employeur ne respecte pas le délai de prévenance prévu au contrat de travail, le salarié n’est pas fautif lorsqu’il refuse la mutation [1].

Si la convention collective applicable prévoit un délai de prévenance, ce délai s’impose à l’employeur, même lorsque la clause de mobilité est d’origine contractuelle [2].

En toute hypothèse, si aucun délai de prévenance n’est précisé par écrit, l’employeur doit laisser un délai raisonnable au salarié avant de rendre une mutation effective [3].

Ce délai doit permettre au salarié qui veut respecter sa nouvelle mutation d’adopter des mesures compatibles avec ses contraintes familiales [4].

En effet, l’article L. 1222-1 du Code du travail impose d’exécuter le contrat de travail de bonne foi.

La mise en œuvre d’une clause de mobilité n’échappe pas à cette règle. L’employeur ne peut ignorer que muter un salarié du jour au lendemain pour une destination éloignée va sérieusement le mettre en difficulté.

Au mieux un tel comportement relève de la légèreté blâmable, au pire cela relève de l’intention de nuire.

Dans les deux cas, il sera très risqué de licencier pour faute un salarié qui ne disposait pas de suffisamment de temps pour rejoindre sa nouvelle affectation.

La durée que doit avoir ce délai de prévenance peut être variable d’une mutation à l’autre.

Plus la mutation sera éloignée de l’ancien lieu de travail, plus le délai de prévenance devra être long, surtout lorsque le salarié sera contraint de déménager.

Ce n’est pas un hasard si le délai de préavis dans le bail d’habitation est d’un mois en cas de mutation [5].

De même, si le salarié est propriétaire, il serait illusoire de lui donner seulement quelques jours pour vendre son bien immobilier.

Inversement, une mutation dans un lieu proche de l’actuel lieu de travail et qui n’allongerait que de peu les temps de trajet n’aura pas besoin de respecter un délai de prévenance excessivement long.

Quelques exemples jurisprudentiels peuvent nous éclairer.

Est considéré comme suffisamment raisonnable :

  • le délai de deux mois pour une mutation à 40 km de distance [6] ;
  • le délai d’un mois pour une mutation d’Ormes à Paris, villes espacées de 140 km [7] ;
  • le délai de 18 jours pour se rendre à une nouvelle affectation distante de 164 km, sachant que l’employeur prenait à sa charge une part importante des frais de déplacement et de déménagement [8] ;
  • le délai de 11 jours pour se rendre à une nouvelle affectation distante de plus 80 km de l’ancienne, sachant que le salarié disposait d’une voiture de fonction pour se déplacer [9].

En revanche, n’est pas raisonnable :

  • le délai d’une semaine pour se rendre sur une nouvelle affectation à plus de 500 km, sachant que le salarié était père d’un nourrisson [10] ;
  • le délai de prévenance d’une seule journée pour se rendre à un nouveau lieu de travail à plus de 40 km de distance [11] ;
  • le délai de prévenance de 20 jours pour se rendre de Toulouse à Paris [12] ;
  • le délai de prévenance de 15 jours pour se rendre à une nouvelle affectation à plus de 30 km, ce qui ne laissait pas un temps suffisant à la salariée pour modifier et adapter les modalités de garde de son enfant en fonction des temps de trajet significatifs induits par la mutation [13] ;
  • le délai de prévenance de 7 jours pour se rendre de l’Aveyron au Nord de la France, même si les fonctions du salarié impliquaient une grande mobilité. [14] ;
  • le délai de 7 jours pour respecter une mutation à plus de 100 km de distance [15].

Indépendamment de l’existence d’un délai de prévenance suffisant, le salarié peut vivre des événements graves dans sa vie personnelle et qui sont totalement incompatibles avec la mutation que voudrait imposer l’employeur.

Pour illustration, il a pu être jugé que l’employeur avait abusé de son pouvoir de direction en mutant de Marseille à Nice une salariée qui avait subi un accouchement traumatisant et qui devait s’occuper d’un nouveau-né atteint d’une maladie grave et rare. Il est précisé que son enfant était suivi par un médecin spécialiste exerçant dans la ville du lieu de travail initial [16].

Si l’employeur doit mettre en œuvre la clause de mobilité de bonne foi, un délai de prévenance n’est qu’un outil qui permet de respecter ce principe. Mais même en présence d’un délai raisonnable, cela n’est pas toujours suffisant, car la clause de mobilité doit aussi être mise en œuvre sans causer une atteinte à la vie familiale qui serait injustifiée et disproportionnée.

Arthur Tourtet
Avocat au Barreau du Val d\’Oise

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Notes de l'article:

[1CA Grenoble, 13 septembre 2018, n° 16/04856

[2Cass. Soc., 4 mars 2020, n° 18-24.329

[3Cass. soc., 3 mai 2012, n° 10-25.937

[4CA Caen, 13 février 2020, n° 17/02376

[5Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989-Article 15.

[6CA Paris 12 décembre 2007, n° 06/07576

[7CA Orléans, 12 septembre 2019, n° 17/00171

[8CA Colmar, 21 juin 2011, n°10/01652

[9CA Saint-Denis de la Réunion, 31 octobre 2017, n° 14/01404

[10CA Lyon, 27 novembre 2019, n° 17/03300

[11CA Paris, 20 février 2014, n° 12/06427

[12CA Toulouse, 06 février 2014, n° 11/04493

[13CA Grenoble, 20 mai 2014, n° 13/00851

[14CA Chambéry, 01- octobre 2015, n° 13/00340

[15CA Paris, 25 septembre 2013, n° 11/10256

[16CA Aix-en-Provence, 09 décembre 2016, n° 14/16517

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