Quand aucun huissier instrumentaire n’est désigné par les parties, le juge peut-il nommer l’huissier de son choix ?
Ou encore, le juge peut-il d’un trait de plume biffer le nom de l’huissier choisi par le requérant pour désigner un autre de son choix ?
Curieuses questions suscitées il est vrai par une non moins curieuse pratique ; de ces pratiques contestables qui alimentent a contrario la bonne application du droit grâce à une meilleure compréhension /connaissance des textes en vigueur.
Pourquoi une telle question ?
Ainsi est-il avéré qu’un Président de Tribunal de Commerce a, de son propre chef, sans motif ni consultation préalable, remplacé dans l’ordonnance rendue, le nom de l’huissier par le nom d’un de ses confrères dit audiencier, autorisant ainsi à semer le doute dans l’esprit du client et de son conseil sur la compétence, la relation de confiance et les qualités intrinsèques de l’huissier biffé.
L’interrogation du client on ne peut plus légitime ne pouvait alors rester sans réponse au risque de rompre in fine la relation de confiance et d’affaires pour un huissier dont la compétence professionnelle ne fut jamais contestée, sanctionnée ou ne serait-ce que mise en cause.
L’huissier demeurant un fervent garant du droit, la réponse ne peut se trouver que dans les textes applicables en la matière.
Principe :
A la lecture de l’article 1 alinéa 2 de l’ordonnance n°45-259 du 2 novembre 1945 on distingue deux sortes de constats : le constat commis par la justice ou le constat à la requête du particulier (que l’on appellera ici le justiciable puisque le particulier peut être une personne physique ou une personne morale).
La grande majorité des demandes de constatations faites aux huissiers l’est directement par le justiciable qui choisit son huissier selon ses propres critères de choix, de la même manière que le justiciable choisit librement son médecin traitant, son avocat sans en demander l’autorisation préalable au conseil de l’ordre ou au juge.
Le cas des constats sur ordonnance :
Mais en est-il de même lorsque le justiciable a besoin, pour faire réaliser les constatations utiles, de l’autorisation du juge ?
La liberté de choix du justiciable serait-elle ici entamée pour ces constats dits « commis par la justice » ?
La question attrait aux constats in futurum en dehors de tout procès de l’article 145 CPC, et ceux de en cours de procès des articles 232, 249 et suivants du CPC.
Le constat in futurum de l’article 145 CPC :
L’article 10 du CPC et l’article 145 CPC disposent :
« Le juge a le pouvoir d’ordonner d’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles. »
« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »
La lecture de ces deux articles donnent pouvoir au juge d’ordonner une mesure d’instruction. En aucun cas il n’est précisé, même implicitement, qu’il désigne l’huissier de son choix.
En conséquence, il convient de retenir que seul le justiciable à le choix de l’huissier instrumentaire pour la mise en œuvre d’une mesure d’instruction in futurum article 145 CPC tout comme il a le choix de son avocat pour présenter la requête puis le représenter et défendre ses intérêts.
Le constat de l’article 232 CPC et 249 du CPC :
Cette démonstration par déduction est d’autant plus évidente que, a contrario, la lecture de l’article 232 du CPC est parfaitement explicite.
« Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien. »
« Toute personne de son choix » …
Est-ce à dire que le juge peut sans avis des parties et de son conseil, selon des critères purement subjectifs et personnels choisir la personne de son choix ?
Ce pouvoir que détient le juge de « choisir » le technicien est-il compatible avec les règles éthiques et déontologique, d’indépendance certes mais aussi d’impartialité, de loyauté, du juge dans l’exercice de sa mission et dont la méconnaissance des principes compromettrait la confiance du justiciable ?
Il n’est pas concevable que le choix du technicien soit totalement arbitraire et qu’il ne relève de critères établis par des règles respectant objectivité, neutralité, loyauté et impartialité.
Des éléments de réponse se trouvent dans un document de « recommandations de bonnes pratiques juridictionnelles » rédigé à l’issue de la conférence de consensus relative à l’expertise judiciaire civile par la Cour de Cassation et la Conférence des Premiers Présidents de la Cour d’Appel du 15 novembre 2007
https://www.courdecassation.fr/venements_23/colloques_formations_4/2007_2254/recommandations_bonnes_pratiques_juridictionnelles_11103.html
A la lecture de ce document comment ne pas faire le parallèle avec la désignation de l’huissier de justice es qualité de technicien sur le fondement du même article 232 et suivants du CPC.
Ainsi, les recommandations proposent que « le juge se laisse guider par des éléments qui lui sont connus », et cite dans l’ordre : « les demandes des parties, les informations données par le service des expertises, l’expérience du technicien de situations similaires, à défaut, il peut s’informer auprès d’un technicien. »
On en déduit qu’à défaut par les parties de se mettre d’accord sur le choix commun d’un huissier de justice, le magistrat est invité à se tourner vers « le service » ici la chambre des huissiers de Justice.
La conférence retient certes que « le juge n’est aucunement tenu de retenir la proposition des parties ». Toutefois, le rôle du juge étant de garantir le bon déroulement du procès avec impartialité, loyauté et équité, cela suppose, précise la conférence, « qu’il ne néglige pas une occasion de rapprocher les parties pour favoriser un démarrage consensuel des opérations » ici de constatations. C’est pourquoi, la conférence recommande que « le juge prenne en considération la proposition conjointe des parties, ou celle d’un ou plusieurs d’entre elle des lors qu’aucune ne s’y oppose ».
Si le juge décidait néanmoins de s’informer auprès de la chambre des huissiers, il ne fait aucun doute que la Chambre locale des Huissiers interrogée transmettrait au magistrat qui en ferait la demande, la liste de tous les huissiers compétents dans la circonscription tels qu’ils figurent dans le tableau officiel mis à jour annuellement.
Technicien certes mais aussi tiers de confiance :
Il est évident que le choix de la personne du technicien expert ne peut pas relever, dans un premier temps, du hasard voire d’un principe de répartition égale du nombre de mission, tant la spécificité technique du litige suppose que l’on fasse appel à un expert compétent dans un domaine d’activité en particulier.
Tel n’est pas le cas pour la désignation de l’huissier-technicien pour réaliser des constatations car tous les huissiers ont la même formation universitaire et la même formation professionnelle ; bref, les mêmes spécificités techniques.
Aussi, les huissiers figurant sur le tableau des huissiers peuvent, sans exception, prétendre avoir la compétence nécessaire en adéquation avec une mission de constatation requise mais aussi, d’être considérés de la même manière eu égard à leur statut d’officier ministériel en exercice, comme des tiers de confiance.
La question des huissiers-audienciers :
Ceci étant dit, les huissiers audienciers doivent-ils être préférés aux huissiers non rattachés aux services des audiences ?
La réponse est clairement non. La fonction de « l’huissier-audiencier » définit à l’article 11 du décret n°56-222 du 29 février 1956 dispose qu’en matière civile, ses fonctions sont « d’assister aux audiences solennelles, de faire l’appel des causes et, à titre exceptionnel, de maintenir l’ordre sous l’autorité du président. ».
En aucun cas il n’est mentionné que ces huissiers doivent être désignés par préférence pour dresser les constatations de l’article 249 CPC.
Le même raisonnement doit être retenu pour les huissiers proposant bénévolement leurs services d’audience aux Tribunaux de Commerce en lieu et place du greffier du tribunal de commerce. Rappelons pour mémoire l’article R. 741- 2 du code de commerce dispose que « Le greffier (le greffier du tribunal de commerce est également un officier public et ministériel) dirige, sous l’autorité du président du tribunal et sous la surveillance du ministère public, l’ensemble des services du greffe. ».
En clair, la pratique usuelle de désignation exclusive ou par préférence des huissiers dits audienciers dans les Tribunaux de Commerce (hors PARIS bénéficiant d’un statut propre) pour dresser les constats fondés sur l’article 232 CPC s’assimile clairement, quand elle ne résulte pas, à une entente illicite et une concurrence déloyale, contraire aux règles éthiques et déontologiques des magistrats et de la profession d’huissier.
En conclusion :
Il faut retenir que le justiciable a toujours le choix de son huissier de justice instrumentaire pour requérir des constatations, y compris pour se voir autoriser par le juge à faire dresser constatations sur le fondement de l’article 145 CPC.
En conséquence de quoi, le juge n’a pas le pouvoir, de s’opposer à ce choix et de remplacer le nom de l’huissier du requérant par un autre.
Il est donc vivement recommandé aux professions du droit de demander préalablement aux clients le nom de leur huissier instrumentaire afin, le cas échéant, d’en tenir compte lors l’exécution de la décision et/ou en stipuler son nom dans la requête.
Dans l’hypothèse où la requête ne précise pas le nom de l’huissier instrumentaire, parce que le client ne l’a pas encore choisi, alors la requête devra mentionner « voir désigner l’huissier instrumentaire du choix du requérant » car la formulation générique « voir désigner l’huissier instrumentaire de son choix » (du choix du requérant et non du choix du juge, s’entend) est devenu avec le temps, par un mystérieux glissement sémantique lequel devenu une déviance usuelle « voir désigner l’huissier de Justice de votre choix ».
Rappelons l’arrêt de la Cour de Cassation, 2eme chambre civile du 8 septembre 2011, dans une affaire dans laquelle le magistrat du Tribunal de Commerce a désigné de son propre chef un huissier de justice pour signifier une ordonnance d’injonction de payer rendu par le dit Président du Tribunal de commerce.
Dans cette affaire, l’huissier qui a instrumenté n’est pas l’huissier qui avait été désigné par le juge mais celui choisi par le requérant. Les hauts magistrats rappellent que « la partie qui signifie un acte à le choix de l’huissier de justice », et surtout, « attendu que la décision qui désigne pour son exécution un huissier de justice n’a pas sur ce point autorité de la chose jugée ».
De sorte que la signification et l’exécution étaient régulières.
Pour ce qui concerne les mesures d’instruction en cours de procès fondées sur l’article 232 CPC (et uniquement ces mesures-là), le magistrat, pour une bonne administration de la justice, est invité suivre les recommandations préconisées par la Conférence.
Et dans l’hypothèse où les parties ne se mettent pas d’accord sur le technicien, pourquoi ne pas utiliser la méthode dite du tour de rôle, méthode déjà généralisée dans les juridictions qui fait l’objet d’un consensus dans la profession, notamment pour assurer les missions dites de service public de la justice comme les sessions d’assises, les appels de causes, la participation à diverses commissions dans lesquelles un huissier doit siéger, telle que la commission du bureau d’aide juridictionnelle, ou plus récemment le contrôle des comptes de tutelle au Tribunal d’Instance.
Discussions en cours :
interressant de rentrer dans les méandres du droit, voir des droits des justiciables simple a comprendre
mais pas sur de tout retenir donc a garder dans un petit coin de son ordi.
pourquoi pas une ’’news letter’’ mensuelle à thème simple, varié pour le commun des mortel ?
affaire à suivre...
cordialement
Bonjour,
un avis complètement partage, plein de bon sens et emprunt du respect des règles éthiques et de confraternité qui doivent supplanter celles du clientélisme quand on prétend exercer une profession encore réglementée au service de la justice.