L’article R4223-13 du Code du travail relatif à l’ambiance thermique des locaux prévoit que les locaux fermés affectés au travail sont chauffés pendant la saison froide. Le chauffage fonctionne de manière à maintenir une température convenable et à ne donner lieu à aucune émanation délétère.
Cet article pose plusieurs difficultés d’interprétation, renforcées par la crise énergétique et le plan de sobriété énergétique présenté par le Gouvernement.
I- Définition des « locaux fermés affectés au travail ».
La notion de « locaux fermés » est entendue largement. Elle ne se limite pas aux locaux à usage de bureaux ce qui pose des problèmes dans sa mise en œuvre. Tout local avec des portes est un local fermé.
La circulaire DRT n°95-07 du 14 avril 1995 relative aux lieux de travail prévoit que :
« Un local dont les portes sont maintenues ouvertes mêmes pour des raisons d’exploitation, ne doit pas pour autant être considéré comme un local ouvert, dès lors qu’il n’est pas démontré que ces portes ne peuvent être fermées à aucun moment de l’exploitation en saison froide. Toutefois, ceci ne concerne pas un quai de déchargement dont les portes ne peuvent être maintenues fermées pendant le chargement ou le déchargement des marchandises ».
Le Conseil d’Etat a jugé que ni la dimension des locaux, ni l’ouverture fréquente des portes liée à l’activité de l’entreprise n’exonère l’employeur de son obligation de chauffer les locaux [1].
L’employeur devra prévoir un système de chauffage dans un entrepôt de stockage (hors locaux réfrigérés notamment) dans lequel travaillent des salariés quand bien même cet entrepôt serait très vaste et le nombre de salariés réduit.
De même, l’atelier d’un garage automobile doit être chauffé, même si les portes restent ouvertes la plupart du temps du fait des déplacements fréquents des véhicules [2].
L’obligation de chauffer des locaux dans lesquels les salariés travaillent est donc très étendue : elle concerne tous les locaux pouvant être fermés quand bien même l’activité exercée dans les locaux conduirait à privilégier de travailler portes ouvertes pour des raisons pratiques et donc à ne pas chauffer les locaux.
Bien conscient des difficultés liées à ces dispositions du Code du travail, le Ministre délégué aux relations du travail précisait en 2004 que
« ces dispositions doivent être appliquées avec discernement, dès lors que la température maintenue dans les locaux pendant la saison froide permet d’assurer aux travailleurs des conditions de travail convenables ».
Il existe donc une marge d’appréciation dans la mise en œuvre de l’obligation de chauffer que ne précise néanmoins pas le Code du travail.
II- Définition de « température convenable ».
Le Code du travail ne définit pas ce qu’est une température convenable. Différentes sources permettent cependant de déterminer les valeurs de températures à retenir dans les différents types de locaux selon les activités qui y sont exercées.
L’Institut National de Recherche et de Sécurité estime que la température de l’air doit atteindre [3] :
21 à 23°C pour un travail sédentaire en position assise,
19°C pour un travail physique léger en position assise,
18°C pour un travail physique léger en position debout,
17°C pour un travail physique soutenu en position debout,
15 à 16°C pour un travail physique intense.
Le Ministère du travail a édité une fiche « Ambiance thermique » plus contraignante puisque l’ambiance thermique doit prendre en compte trois paramètres [4] :
température sèche ;
humidité ;
vitesse de l’air.
L’article R241-6 du Code de l’énergie prévoit que dans les locaux à usage de bureaux occupés, le chauffage doit être fixé en moyenne à 19°C.
Les températures des locaux artisanaux, industriels et commerciaux sont quant à eux définis par arrêté du 25 juillet 1977 ; en cas de travail non sédentaire, ces locaux doivent être chauffés à 18°C.
Enfin, lors des contrôles, l’Inspection du travail se réfère à la norme X 35-303 qui précise à titre indicatif que les températures de confort se situent :
dans les bureaux de 20 à 22 °C ;
dans les ateliers avec faible activité physique de 16 à 18 °C ;
dans les ateliers avec forte activité physique de 14 à 16 °C.
Les températures à maintenir dans les locaux sont élevées ; elles impliquent des charges financières importantes surtout en période de crise énergétique.
III- Le chauffage des locaux en période de sobriété énergétique.
Le Gouvernement a présenté le 6 octobre 2022 un plan de sobriété énergétique [5].
Dans le cadre de ce plan, le Gouvernement recommande une température maximale de 19°C dans les bureaux. Le Gouvernement recommande également de baisser la température la nuit à 16°C et à 8°C degrés lorsque le bâtiment est fermé plus de trois jours [6].
Notons également que le Gouvernement incite les entreprises à réduire l’utilisation de l’eau chaude dans les locaux, en la limitant par exemple aux douches.
Le plan de sobriété énergétique ne prévoit pour les autres locaux (de type artisanaux, commerciaux et industriels) aucune mesure spécifique. L’employeur exerçant son activité dans des entrepôts ou locaux artisanaux ne peut donc déroger aux températures prévues en temps normal.
Afin de ne pas mettre en péril l’activité du fait de charges de chauffage trop importante, des solutions existent :
La circulaire de 1995 précitée prévoit néanmoins la possibilité d’un chauffage partiel des zones fréquentées par le personnel [7].
Il serait donc possible de prévoir par exemple des chauffages individuels à air pulsé placés près des salariés travaillant dans des entrepôts difficilement chauffables du fait de leur taille ; les équipements de protection individuel des salariés devront être adaptés.
Si l’activité n’est pas compatible avec du télétravail, l’employeur peut mettre les salariés en activité partielle.
L’activité partielle de droit commun est mobilisable au motif « autres circonstances exceptionnelles - conséquences du conflit en Ukraine » sous réserve que l’achat des gaz et / ou d’électricité représente au moins 3% du chiffre d’affaires de l’entreprise sur la période allant du 1er janvier 2022 à la date de la demande et subir une baisse d’excédent brut d’exploitation par rapport à 2021.
L’employeur peut aussi recourir à l’activité partielle de longue durée sous réserve de l’existence d’un accord de branche étendu prévoyant expressément dans son préambule, la possibilité de recourir à l’APLD en raison des conséquences de la Guerre en Ukraine ou par la voie d’un accord d’établissement ou d’entreprise.
Les mesures d’adaptation devront être prises en concertation avec le Comité social et économique ainsi qu’avec le médecin du travail [8].
Le Document Unique de Prévention des Risques Professionnels devra également être mis à jour le cas échéant.
La crise énergétique devrait donc conduire à faire supporter le coût de l’énergie par les salariés (réduction de la température ou télétravail) ou par la communauté nationale (activité partielle).
IV- La responsabilité de l’entreprise en cas de non-respect de son obligation de chauffage des locaux fermés.
L’employeur ne doit pas prendre à la légère son obligation de chauffer les locaux ; à défaut, sa responsabilité pénale et civile pourrait être engagée.
1- Responsabilité pénale de l’employeur.
Chaque infraction aux règles de santé et de sécurité du Code du travail est passible d’une amende de 10.000 euros appliquée autant de fois qu’il y a de salariés concernés [9]. Cette amende peut être assortie de l’affichage du jugement aux portes de l’entreprise et de sa publication dans les journaux.
L’employeur pourrait également encourir des sanctions prévues par le Code pénal en cas d’accident du travail (infractions d’homicide ou de blessures involontaires) ou de risque d’accident (délit de mise en danger d’autrui).
2- Responsabilité civile de l’employeur.
Le salarié travaillant dans des locaux fermés non chauffés ou insuffisamment chauffés pourrait solliciter du Conseil de prud’hommes la condamnation de l’employeur à des dommages et intérêts, sous réserve de démontrer un préjudice.
Les juges du fond ont d’ores et déjà prononcé la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur en cas de températures des locaux non « convenables » avec toutes les conséquences de droit (indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) [10].
La Cour de cassation a quant à elle jugé que le salarié qui ne travaillait pas du fait d’une panne de chauffage devait être intégralement payé [11].
L’employeur aura donc tout intérêt à se mettre en conformité avec son obligation de chauffer ses locaux fermés affectés au travail de salariés, sous peine d’amende et de condamnations financières importantes. S’il ne peut supporter financièrement cette obligation, il devra impérativement trouver des solutions palliatives (chauffage partiel, EPI, télétravail, activité partielle).
Discussion en cours :
Très intéressant !