La notion même de « sanction déguisée » ne manque pas de surprendre.
La notion vise la sanction qui n’est pas « assumée » ou « présentée » comme telle mais qui prend la forme d’une mesure, en principe, anodine. La sanction est, ainsi, « déguisée » en une simple mesure d’organisation du service.
Or, dans une telle situation, la sanction est alors infligée en dehors du cadre strict et protecteur de la procédure disciplinaire ce que ne manquera pas de sanctionner le juge administratif.
En pratique, la sanction déguisée prendra bien souvent la forme d’un changement d’affectation.
En effet, la dissimulation de la sanction disciplinaire se trouve aisément rendue possible par l’existence du droit de l’administration de changer l’affectation d’un agent sous réserve de justifier de l’intérêt du service.
La nature, par essence trouble, de la sanction déguisée peut la rendre difficile à identifier et conduit à faire peser un risque sur toute mutation d’agent susceptible de faire l’objet d’une requalification par le juge administratif.
I. Le principe : un changement d’affectation d’un agent n’est pas une sanction.
La jurisprudence n’a de cesse de le rappeler : l’administration dispose du pouvoir de modifier l’affectation d’un agent dans l’intérêt du service. En effet, l’agent public n’est pas titulaire de son emploi, mais dispose seulement du droit d’être affecté sur un poste correspondant à son grade et cadre d’emploi.
La modification de l’affectation de l’agent est donc une mesure « habituelle » qui, en droit, sera partie intégrante de la catégorie des mesures d’ordre intérieure.
Sous cette notion se cachent les décisions dont les juridictions administratives considèrent qu’elles ne peuvent pas faire l’objet d’un recours. En effet, faute de créer un préjudice à l’agent, qui ne peut alors pas justifier d’un intérêt à agir, ces décisions ne pouvant pas faire l’objet d’un recours devant le juge administratif [1].
Le Conseil d’Etat précise que sont qualifiées ainsi les meures qui, bien qu’elles modifient l’affectation de l’agent ou les tâches qu’il doit accomplir, ne portent aucune atteinte :
« aux droits et prérogatives qu’ils tiennent de leur statut ou à l’exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n’emportent perte de responsabilités ou de rémunération » [2].
Le changement d’affectation n’est donc pas, en principe du moins, une sanction disciplinaire mais une simple mesure d’organisation du service.
D’ailleurs, seule la fonction publique d’Etat prévoit une mesure « équivalente » en permettant, au titre des sanctions du 2ème groupe d’infliger un déplacement d’office de l’agent responsable d’une faute disciplinaire. S’agissant de la fonction publique territoriale et hospitalière, la mutation interne ne peut donc jamais être liée à une sanction disciplinaire, qu’elle soit déguisée ou formalisée.
II. Quand le changement d’affectation est-il une sanction déguisée ?
La sanction déguisée correspond au détournement de la règle de principe à savoir la situation où la d’administration choisit de « sanctionner » son agent en le changeant d’affectation alors même qu’une telle mesure n’a pas vocation à constituer une sanction.
C’est donc l’hypothèse dans laquelle le changement d’affectation est détourné de son objectif premier - organiser le service - pour répondre à un nouvel objectif : punir l’agent.
Ce procédé implique évidemment qu’il soit difficile de distinguer la sanction déguisée du changement d’affectation légitime.
Conséquence inévitable : tout changement d’affectation en situation de conflit ou de tension peut être suspecté de masquer une sanction.
Le rapporteur public intervenant à l’occasion de l’arrêt Spire du Conseil d’Etat [3] est venu détailler les éléments essentiels de définition de la sanction déguisée qui se compose de deux éléments cumulatifs :
- 1. D’un élément subjectif : l’intention de l’auteur de sanctionner l’agent ;
- 2. D’un élément objectif : l’existence d’effets négatifs de la mesure.
A défaut de constater la réunion de ces éléments, le juge rejettera le recours de l’agent dirigé contre le changement d’affectation (25 septembre 2015, Mme X..., n° 372624) étant précisé que les agents contractuels sont ici soumis au même régime [4].
a) La volonté de sanctionner l’agent.
La volonté de sanctionner l’agent doit se traduire comme la volonté de porter une atteinte à la situation d’un agent en raison d’un grief retenu contre lui.
S’agissant d’un changement d’affectation, il s’agit donc de distinguer celui motivé par la recherche d’une meilleure organisation du service public de celui justifié par le souhait de punir l’agent du fait de l’une de ses actions ou prise de position.
C’est dans ce cadre, bien souvent le contexte et/ou la motivation apportée pour justifier le changement d’affectation qui permettra au juge de trancher.
Ainsi, un changement d’affectation qui est justifiée par la manière de servir de l’agent constitue une sanction déguisée dès lors qu’une telle remise en cause doit conduire l’administration, le cas échéant, à faire usage du pouvoir disciplinaire [5].
Il en va de même du changement d’affectation justifié par des plaintes relatives au comportement [6].
Le juge a également pu s’appuyer sur l’existence de déclarations du Maire annonçant publiquement à son agent qu’il lui fera « payer » son opposition à sa candidature pour juger que le changement d’affectation était manifestement fondé sur la volonté de punir l’agent [7].
Il ne manque pas de sanctionner les motivations vaporeuses dont le seul but est de dissimuler la volonté de réprimer le comportement d’un agent en retenant que constitue une sanction déguisée la mesure prise eu égard à « la perte de confiance de sa hiérarchie » [8].
Afin de prévenir tout risque quant à sa régularité, la mesure portant changement d’affectation doit donc impérativement pouvoir être fondée sur des considérations liées à l’intérêt du service et ne doit, jamais, faire référence à de prétendues fautes de l’agent.
En ce sens, la suppression du service justifie évidemment le changement d’affectation [9], de même que la réorganisation du service [10].
Mais, la circonstance que la mutation soit justifiée par le comportement de l’agent ou même l’existence de tensions ne suffit pas nécessairement à exclure l’intérêt du service qui peut, au contraire, commander de déplacer l’agent pour apaiser les tensions et rétablir un cadre de travail serein de manière à garantir « le bon fonctionnement du service » [11].
Le contexte de la mesure ainsi que la présentation des motifs avancés pour la justifier, jouent donc un rôle fondamental dans l’identification de la sanction déguisée.
b) Les effets négatifs du changement d’affectation.
Le rapporteur public B. Genevois précise, s’agissant de cet élément, qu’il est nécessaire que la sanction déguisée produise des effets similaires à une véritable sanction, c’est-à-dire qu’elle limite les droits ou avantages de l’agent.
Le Conseil d’Etat retient ainsi que tel est le cas d’une perte de rémunération, de la suppression d’un titre ou d’une perte d’attribution.
S’agissant d’un changement d’affectation, la sanction déguisée se traduira souvent par une perte de responsabilité managériale, soit en pratique la situation où l’agent passe du management d’un équipe au management d’un seul, voire, aucun agent [12].
Il en va toutefois de même de la privation de moyens visant à empêcher l’agent d’exercer les fonctions précédemment exercées [13], ou de la perte de responsabilités professionnelles [14].
III. Les conséquences attachées à la qualification de sanction déguisée.
Si le changement d’affectation ne peut faire l’objet d’aucun recours, la sanction déguisée peut, quant à elle, être sanctionnée par le juge qui annulera, dès lors, la mesure disciplinaire déguisée. En effet, le juge administratif ne manque pas de sanctionner le détournement d’un mécanisme juridique neutre pour dissimuler une mesure visant en réalité à sanctionner l’agent public.
Le cas échéant, l’administration peut être enjointe de repositionner l’agent dans son précédent emploi et ce, sous astreinte compte tenu de l’annulation de la décision modifiant son affectation.
A cet égard, l’administration ne peut évidemment pas se défendre en se prévalant du comportement de l’agent pour justifier sa décision sans venir, implicitement, confirmer que la mesure était bien une sanction.
A supposer que les reproches soient fondés, il appartiendra, donc, à l’administration d’actionner la procédure disciplinaire en vue d’infliger une sanction régulière à l’agent permettant, alors, à ce dernier de bénéficier de l’ensemble des droits et garanties attachés à cette procédure.