L’Article 1717 du Code civil pose le principe de la liberté de cession du bail et de sous-location par le locataire, si cette faculté ne lui a pas été interdite :
« Le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite. Elle peut être interdite pour le tout ou partie. Cette clause est toujours de rigueur ».
La réglementation particulière relative à la cession de bail commercial est définie par l’Article L145-16 du Code de commerce :
« Sont également réputées non écrites, quelle qu’en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu’il tient du présent chapitre à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise ».
Le régime diffère ainsi selon que l’opération visée constitue une cession de droit au bail ou cession de fonds de commerce.
I. Régime applicable à la circulation du bail commercial.
A. Une distinction entre cession de fonds de commerce et cession de droit au bail.
Le régime de la cession dépend de la qualification de la cession : cession de droit au bail ou cession de fonds de commerce.
Le législateur permet la cession du bail avec celle du fonds de commerce. En revanche, le bail peut comporter une clause interdisant la cession isolée du droit au bail.
Compte tenu de cette distinction, certains locataires désireux de contourner l’autorisation du bailleur tentent de « déguiser » l’acte de cession du droit au bail en cession de fonds de commerce.
Attention toutefois : une telle fraude pourra être déclarée nulle par l’administration fiscale et inopposable à l’égard du bailleur qui pourra dès lors considérer le cessionnaire comme occupant sans droit ni titre et solliciter son expulsion.
B. Validité des clauses restrictives.
Si le bailleur ne peut interdire la cession de bail dans le cadre d’une cession de fonds de commerce, il peut en revanche la conditionner en insérant des clauses restrictives. Voici les plus courantes :
Clauses d’agrément.
Les clauses prévoyant l’agrément préalable du cessionnaire par le bailleur sont autorisées par la jurisprudence. Elles imposent à l’acquéreur d’obtenir l’autorisation du bailleur à la cession, en fonction de l’honorabilité, la solvabilité ou les compétences du cessionnaire.
Le bailleur ne peut toutefois refuser l’agrément de façon discrétionnaire. Les motifs de refus d’agrément sont soumis au contrôle judiciaire, comme rappelé par un récent arrêt de la Cour de cassation :
« la cour d’appel, qui a constaté que la propriétaire notifiant son refus à la locataire, n’alléguait aucun motif à l’appui de celui-ci, a pu, sans ajouter au bail, en déduire que ce refus était constitutif d’un abus justifiant l’indemnisation du préjudice causé ».
En cas de non-respect de la clause, le bailleur pourra solliciter la résiliation judiciaire ou l’inopposabilité de la cession [1].
Clauses imposant des formalités.
Les clauses soumettant la cession au respect de certaines formalités sont également licites, telle que la clause prévoyant l’intervention du bailleur à l’acte [2], ou celle exigeant la constatation de l’acte par un acte authentique.
Aucune disposition ne prohibe non plus l’insertion d’un pacte de préférence au profit du bailleur.
Il est également courant que le bail interdise la cession tant que le preneur n’est pas à jour dans le paiement de ses loyers [3].
En revanche, la clause subordonnant la cession du bail à la signature d’un nouveau bail est une condition portant sur un élément essentiel à la formation du contrat qui doit être réputée non écrite [4].
II. Conditions de la cession de droit au bail.
A. Conditions de fond et de forme.
S’agissant des conditions de fond, la cession doit respecter les conditions relatives à tout contrat : consentement, capacité, objet, cause.
S’agissant des conditions de forme, la cession de bail est une cession de créance et doit ainsi être signifiée au bailleur conformément à l’Article 1690 du Code civil ou à défaut, acceptée par acte authentique par le bailleur.
B. Sanctions des infractions : inopposabilité de la cession.
En l’absence de signification ou en cas de non-respect des formalités imposées par le bail, la cession est inopposable au bailleur [5].
Le cessionnaire est ainsi considéré comme un occupant sans droit ni titre et le bailleur peut demander son expulsion [6].
L’inopposabilité peut entraîner la dénégation du statut, ce qui empêchera le locataire d’obtenir le renouvellement de son bail [7].
Indépendamment de la dénégation du statut, la cession irrégulière du bail commercial constitue un motif grave et légitime justifiant le refus de renouvellement sans indemnité d’éviction, conformément à l’Article L145-17 du Code de commerce.
C. Renonciation du bailleur à se prévaloir de l’infraction.
L’irrégularité ne peut toutefois être invoquée si le bailleur a renoncé à s’en prévaloir. La renonciation peut être expresse ou tacite. Elle est tacite lorsque le bailleur a réalisé des actes positifs non équivoques démontrant la connaissance par le bailleur de l’infraction et sa volonté de ne pas s’en prévaloir.
Il a ainsi été jugé que la renonciation du bailleur est retenue lorsqu’il a délivré des quittances de loyers et adressé un commandement de payer visant la clause résolutoire et désignant le cessionnaire. De même, en cas de délivrance de quittances régulières au cessionnaire et demande à son assureur de procéder à une expertise pour déterminer l’origine d’un dégât des eaux survenu dans les lieux après la cession, la renonciation est acquise.
D. Publicité.
Dernière formalité essentielle : la publication de la cession d’un fonds de commerce dans un journal d’annonces légales, dans les 15 jours de l’acte de cession.
L’acquéreur doit également solliciter, dans un délai de 3 jours, le greffier du tribunal de commerce, afin que celui-ci procède à la publication d’un avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC).
Cette publication fera courir un délai de dix jours pendant lequel les créanciers peuvent faire opposition.
III. Effets de la cession de bail.
A. Substitution du cédant par le cessionnaire.
La cession opère substitution du cessionnaire au cédant. Le cessionnaire devient titulaire du droit de jouissance conféré par le bail et débiteur des obligations mises à la charge du locataire par ce bail. Il ne s’agit pas d’un nouveau bail, le cessionnaire continue la personne du locataire dont il a pris la place. C’est ainsi que la cession du droit au bail principal entraîne, par le seul effet de la loi, la cession à l’acquéreur de ce bail du sous-bail conclu antérieurement, ainsi que, le cas échéant, des conventions annexes qui lui étaient indivisiblement liées [8].
B. Éventuelle clause de garantie.
Dès lors que la cession est régulière, le cédant est libéré de toutes ses obligations envers le bailleur à compter de la cession. Toutefois, en pratique il est fréquent que le bail comporte une clause de garantie stipulant qu’en cas de cession du bail, le cédant s’engage à garantir l’exécution des obligations résultant du bail. Cette clause prévoit souvent que le cédant et le cessionnaire sont solidairement responsables de la bonne exécution du bail envers le bailleur.
Sauf stipulation particulière, cette clause ne joue que pendant la durée du bail et cesse au renouvellement de celui-ci. Elle ne joue pas non plus en cas de cessions ultérieures auxquelles le preneur initial n’est pas partie.
La rédaction de cette clause doit être soignée, car la jurisprudence applique strictement la clause de garantie solidaire.
C. Limite à l’obligation de garantie.
La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 a créé deux nouveaux articles destinés à limiter l’étendue de cette garantie. Le nouvel Article L145-16-1 du Code de commerce est rédigé de la manière suivante :
« Si la cession du bail commercial est accompagnée d’une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, ce dernier informe le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée par celui-ci ». Le bailleur doit informer le cédant dans un court délai. Le texte ne prévoit, toutefois, aucune sanction.
Le nouvel Article L145-16-2 du Code de commerce prévoit que la garantie du cédant est limitée à une durée de trois ans :
« Si la cession du bail commercial s’accompagne d’une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci ne peut l’invoquer que durant trois ans à compter de la cession dudit bail ».
VI. Les opérations assimilées à une cession de bail.
Comme on l’a vu, il existe un régime spécifique encadrant la cession de droit au bail et la cession de fonds de commerce. Dans la plupart des cas, les baux renferment des clauses restreignant la liberté de cession du locataire, voire l’interdisant (cession de droit au bail).
Il est donc nécessaire pour le locataire de recueillir l’accord du bailleur dans les conditions prévues au bail, et de respecter le cas échéant une procédure spécifique.
Par conséquent, il est essentiel de bien caractériser les opérations qui, bien que ne constituant pas une cession au premier regard, sont en droit assimilées à une cession et pour lesquelles le régime spécifique vu ci-dessus devra s’appliquer.
A. Les opérations assimilées à la cession de bail.
L’adjudication d’un fonds de commerce est assimilée à une cession.
De même, l’apport en société [9] à la constitution ou en cours de vie sociale est soumis à l’Article L145-16 du Code de commerce [10]. Les formalités de cession prévues au bail doivent ainsi également être respectées [11].
L’Article L145-16 du Code de commerce prévoit deux exceptions principe : en cas de fusion de sociétés [12], ou apport partiel d’actif soumis au régime des fusions.
De jurisprudence constante, ne constitue pas non plus une cession l’opération d’apport d’un fonds de commerce à une société en formation, dès lors que cet apport est effectivement réalisé et que l’acte a été repris par l’assemblée générale de la société [13].
La cession de la totalité des parts sociales d’une société ne peut non plus être assimilée à une cession de bail ou à une cession de fonds [14], de même que la réunion des parts sociales en une seule main [15].
Enfin, il a été jugé que l’attribution, lors de la liquidation du régime matrimonial pour cause de divorce, du droit au bail à l’époux qui en était cotitulaire, ne constituait pas une cession de bail, mais un partage [16].
B. Le cas particulier de la cession du bail par un commerçant voulant prendre sa retraite.
L’Article L145-51 du Code de commerce donne la possibilité au locataire qui part à la retraite de céder son bail avec changement d’activité, dès lors que la nature de l’activité envisagée s’avère compatible avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble.
La déspécialisation du bail est ainsi autorisée nonobstant les termes du contrat à condition que l’activité du cessionnaire remplisse les conditions de compatibilité de l’Article L145-51 du Code de commerce.
À cet égard, la question se pose de savoir si le bailleur peut demander au nouveau locataire, en contrepartie, une indemnité ou une révision du loyer. Ce point n’a pas été réglé par le législateur.
Une réponse ministérielle [17] estime que le bailleur peut se prévaloir des dispositions de l’Article L145-50 du Code de commerce pour demander une indemnité égale au montant du préjudice subi dont il établirait l’existence, ou une révision du loyer. Le bailleur doit alors former sa demande dans le délai de deux mois à compter de la signification.
Cependant, un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 3 décembre 1991 estime que la déspécialisation en cas de départ à la retraite ne permet pas au bailleur de modifier immédiatement le montant du loyer.
En tout état de cause, l’acceptation par le bailleur des nouvelles activités peut constituer un motif de déplafonnement du loyer lors du renouvellement du bail qui aura lieu au profit de l’acquéreur.