Bailleurs, gestionnaires, conseillers : pouvez-vous donner congé à un locataire protégé ?

Par Fanny Quilan, Juriste.

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Explorer : # locataire protégé # résiliation de bail # exceptions légales # protection des locataires

Bailleurs, Gestionnaires, Conseillers, vous pouvez mettre fin au bail et récupérer le logement loué en donnant congé à votre locataire.
Trois types de congés existent : le congé pour reprise, le congé pour vendre et le congé pour motif légitime et sérieux.
Mais ne vous y trompez pas, ces 3 cas de résiliation sont rigoureusement encadrés par le législateur de manière à protéger le droit au logement du locataire de bonne foi.
C’est également pour protéger le droit au logement du locataire de bonne foi et « vulnérable » que le législateur établit une règle supplémentaire.

-

Certains locataires sont en effet dits « protégés ». Ils bénéficient à ce titre d’un statut différent pour ce qui concerne plus particulièrement la résiliation de leur bail.

Dès lors, le congé que vous souhaiteriez leur délivrer pourra ne produire aucun effet. Cette règle s’appliquant aussi bien en matière de location nue, qu’en matière de location meublée (A).

D’ordre public, cette règle particulière n’est pourtant pas absolue puisque son application fait l’objet de plusieurs exceptions. Il est donc possible de donner congé au locataire protégé, dans des cas limitativement énumérés par la loi (B).

Pour l’étude de votre dossier je vous recommande de vérifier : la date de signature de votre bail, sa date d’échéance, et enfin le nombre de locataire(s) puisqu’un congé = un locataire.

Bailleurs, Gestionnaires et Conseillers, votre vigilance est de mise sur ce sujet dans le cadre de vos activités respectives.

J’ajoute pour les gestionnaires locatifs qu’il vous est vivement recommandé de prendre l’avis de votre client avant de faire entrer un locataire protégé, ou en passe de l’être, puisque cela pourra avoir des conséquences en cas de mise en vente (diminution de la plus-value espérée !), ou de souhait de reprise.

A/ La restriction du droit du bailleur de donner congé au locataire protégé.

La règle relative au locataire « protégé » est implicitement posée au paragraphe III de l’art.15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 indiquant au sujet du locataire âgé que « Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé [..] à l’égard de tout locataire âgé de plus de 65 ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur [..] fixé par arrêté du ministre [..] ».

L’art.15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, complété par l’art.82 de la loi Macron n°2015-990 du 6 aout 2015, étend cette protection au locataire - peu importe son âge - qui aurait « [..] à sa charge une personne de plus de 65 ans vivant habituellement dans le logement et remplissant la condition de ressources précitée et que le montant cumulé des ressources annuelles de l’ensemble des personnes vivant au foyer est inférieur au plafond de ressources déterminé par l’arrêté précité ».

Point d’importance, l’âge du locataire, où le cas échéant celui de la personne à sa charge, est apprécié par « anticipation » au jour de l’échéance du contrat [1], alors que le montant des ressources est apprécié à la date de notification du congé (plafonds de référence au point A. 3/).

1/ La nature de la protection accordée.

La règle posée au paragraphe III de l’art.15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 indique « Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé [..] ».

Ainsi, la règle de « protection » se caractérise de la manière suivante :
- Le bailleur ne peut « s’opposer au renouvellement du bail » du locataire protégé ;
- Le locataire protégé dispose d’un droit automatique au renouvellement de son contrat (sauf exception) et pourra rester à l’intérieur du logement sans échéance ;
- Sauf exception, le congé qui sera délivré par le bailleur au locataire protégé sera nul, et de nullité absolue puisque l’art.15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 est d’ordre public conformément aux dispositions de l’art.2 loi n°89-462 du 6 juillet 1989.

2/ Le champ d’application de cette protection.

L’art.15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 délimite le champ d’application de cette protection. Sont ainsi concernés par cette règle :
- Les locataires qui ont plus de 65 ans au moment de la date d’échéance du bail et qui disposent d’un revenu fiscal de référence inférieur aux seuils fixés dans le tableau de ressources ci-dessous (A.3/), ces 2 conditions étant strictement cumulatives ;
- Les locataires qui ont moins de 65 ans, mais qui ont à leur charge une personne de plus de 65 ans à la date d’échéance du bail laquelle (comprendre : « et qui ») dispose d’un revenu fiscal de référence inférieur aux seuils fixés dans le tableau de ressources ci-dessous (A.3/) et à la condition que les ressources annuelles de l’ensemble des personnes vivant dans le foyer soient inférieures au seuils cités au même point, ces 3 conditions étant strictement cumulatives.

3/ Le calcul des ressources.

L’ANIL [2] actualise chaque année sur son site les ressources prises en compte pour l’année de référence.

Pour l’année 2022 les ressources sont les suivantes :

Le montant des ressources à prendre en considération pour 2022, est égal à la somme des revenus fiscaux de référence de chaque personne composant le ménage au titre de l’année N-2, soit 2020 pour 2022.

Conseillers et Gestionnaires locatifs, vous devrez recueillir du locataire son avis de situation déclarative à l’impôt sur le revenu 2020 (soit N-2 pour 2022), et vous référer à l’encart « Vos références » en page 1 pour trouver le revenu fiscal de référence.

A savoir que les revenus annuels pris en compte sont ceux qui sont régulièrement déclarés à l’administration fiscale. Ainsi, seules les ressources ayant un caractère régulier doivent être comptabilisées, les ressources exceptionnelles (aides familiales, primes d’assurance vie, vente d’un bien, héritage etc..) ne sont pas prises en compte.

B/ Les 5 exceptions faisant obstacle a la limitation du droit du bailleur de donner conge au locataire protégé.

D’ordre public, cette contrainte n’est pas absolue puisque son application fait l’objet de plusieurs exceptions lesquelles s’appliquent alternativement de sorte que l’existence de l’une d’elles suffit au bailleur pour donner congé.

1/ La proposition de relogement.

A titre de 1ère exception légale, l’article 15 III. de la loi du 6 juillet 1989 indique « Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé [..] sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée [..] ».

Conformément à cet article, un propriétaire ne peut s’opposer au renouvellement du bail, à moins qu’il ne soit proposé au locataire une solution de relogement correspondant à ses besoins à la fois personnels, professionnels et familiaux, ainsi qu’à ses possibilités (notamment financières), et à la condition que ce logement soit situé dans un périmètre géographique proche (cette notion étant détaillée par l’art.13 bis loi n°48-1360 du 1er septembre 1948).

Cette proposition de relogement doit être effective. Cela signifie que le bailleur doit s’assurer d’obtenir l’assentiment des bailleurs repérés de louer leur bien au locataire protégé. La substitution devant s’opérer au cours du préavis et avant l’échéance définitive du bail.

Ces conditions étant toutes cumulatives, ainsi qu’en juge la Cour d’Appel de Paris dans une décision en date du 11 janvier 2011 n°08-14726.

Les juges étant ainsi seuls souverains en cas de contentieux pour déterminer si ces conditions sont cumulativement réunies.

Compte tenu de sa complexité de mise en œuvre, ce cas d’exception n’est que très rarement appliqué.

A noter que le bailleur pourra s’opposer au renouvellement du bail si le locataire refuse la nouvelle prise à bail par 3 fois sans motif réel et sérieux.

2/ Le bailleur est lui-même âgé de plus de 65 ans.

En 2ème exception légale, l’article 15 III. de la loi du 6 juillet 1989 complété par la loi Alur ajoute que le bailleur peut s’opposer au renouvellement du bail s’il est « [..] une personne physique âgée de plus de 65 ans [..] ». Aucune autre condition n’est exigée.

Ainsi, le bailleur (personne physique uniquement) pourra donner congé au locataire protégé s’il a lui-même plus de 65 ans à l’expiration du bail.

Dès 2009 [[Civ.3e, 29 avril 2009) la Cour est venue préciser qu’en cas d’indivision, cette exception était remplie dès lors qu’un des indivisaires est âgé de plus de 65 ans.

3/ Le bailleur a des ressources modestes.

En 3ème exception légale, l’article 15 III. de la loi du 6 juillet 1989 complété par la loi Alur ajoute enfin que le bailleur peut s’opposer au renouvellement du bail s’il est « [..] une personne physique et que ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné [..] ». Aucune autre condition n’est exigée.

Ainsi, le bailleur (personne physique uniquement) pourra donner congé au locataire protégé s’il dispose de ressources annuelles inférieures aux seuils fixés dans le tableau de ressources ci-dessous (A.3/).

Dès 2009 (Civ.3e, 16 septembre 2009) la Cour est venue préciser qu’en cas d’indivision, cette exception était remplie dès lors que l’un d’entre eux dispose de revenus situés en-deçà du seuil fixé au tableau de ressources cité au point A. 3/.

4/ Le bien loué n’est pas la résidence principale du locataire.

Un quatrième cas d’exception d’origine jurisprudentielle permet au bailleur de s’opposer au renouvellement du bail lorsque le logement concerné ne constitue pas la résidence principale du locataire (C.Cass., 15 septembre 2015, n°14-16.084).

La Cour de cassation ayant jugé que « les dispositions protectrices de l’article 15 III de la loi du 6 juillet 1989 relatives au locataire âgé de plus de 70 ans ne s’appliquent qu’aux logements occupés à titre d’habitation principale ».

5/ Le manquement grave du locataire.

Pour terminer, rappelons qu’un bailleur pourra toujours s’opposer au renouvellement du bail dès lors que le locataire (même s’il répond aux conditions de la protection) commet de graves manquements, comme par exemple, des impayés de loyers.

Il conviendra en ce cas de faire strictement application de la clause résolutoire stipulée au contrat de location.

A savoir que le recours au conciliateur de justice est fortement recommandé, et que seul un juge pourra souverainement prononcer l’expulsion définitive du locataire récalcitrant laquelle ne sera effective qu’en dehors des périodes hivernales.

Et ensuite….

Dans le cas où vous seriez en mesure de donner congé, sachez qu’il vous faudra respecter strictement les règles juridiques relatives au congé donné (nous n’aborderons pas ces règles).

Bailleurs et conseillers immobiliers, en cas de mise en vente du logement, vous pourrez vous référez à l’article précédemment rédigé et intitulé : Professionnels, ne passez pas à côté du congé pour vente !

Fanny Quilan
Responsable juridique du réseau immobilier AXO

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Notes de l'article:

[1CA Aix-en-Provence, 12 avril 2018, n°17-13120.

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Discussions en cours :

  • par Marcel Deleuil , Le 3 juin 2024 à 12:55

    Qu’en est-il d’un locataire protégé, qui a un bail pour sa résidence principale mais qui est par ailleurs propriétaire bailleur d’un autre bien immobilier ?

  • par Laurent , Le 1er juin 2023 à 03:46

    Merci, il y a pléthore d’artciles sur le sujet mais c’est le seul que j’ai trouvé qui précise que l’offfre de relogement doit être effective. Dans les autres articles, on a l’impression qu’il suffirait de faire des copier-coller d’annonces de location.

  • Bonjour,
    Il y a une erreur dans votre article.
    En effet, vous indiquez dans le A :
    "Attention : selon que votre bail a été signé avant ou après l’entrée en vigueur de la loi Alur, l’âge de référence sera de 70 ans pour les baux signés avant le 27 mars 2014 et de 65 ans pour les baux signés après le 27 mars 2014."
    Cette affirmation est inexacte.
    En effet, l’article 82 II de la Loi n° 2015-990 du 06 août 2015 (Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques) précise que les dispositions mises en place par la Loi ALUR et renforçant la protection des locataires âgés et ayant de faibles ressources sont d’application immédiates aux baux en cours.
    Depuis le 08 août 2015 il n’y a donc plus lieu de distinguer selon la date de formation du contrat, la protection des locataires âgés et ayant de faibles ressources s’applique sans distinguer à l’ensemble des baux d’habitation soumis aux dispositions de la loi du 06 juillet 1989.

    Il me semble également que les plafonds de revenus pour les locataires sont ceux retenus pour les conventions à loyer social (Prêt Locatif à Usage Social, PLUS) légèrement inférieurs à ceux que vous évoquez dans votre article (cf travaux parlementaires et commentaire du Conseil constitutionnel de sa décision n° 2014-691 du 20 mars 2014 - source ANIL).

    Bien cordialement

    Bien cordialement

    • par QUILAN FANNY , Le 21 avril 2022 à 17:16

      Merci à vous Monsieur NIOGRET pour votre précision au sujet de la loi Alur.
      En revanche le tableau est bien celui de référence, il est disponible sur l’ANIL et sur le site service public.
      Au plaisir d’échanger avec vous,
      Bien cordialement,

    • par Yl , Le 12 octobre 2022 à 21:59

      Bonsoir, vous parlez du revenu fiscal de référence N-2 pris en compte pour le locataire et le bailleur visiblement, en cas de congé donné à un locataire protégé.
      Pourtant sur la notice d’information à remettre au locataire lors du congé, il est fait mention des ressources déclarées à l’administration fiscale avant tout abattement, sur l’année écoulée.
      Sauf erreur de ma part, il s’agit donc de deux choses différentes.
      Le RFR est après abattement des 10% de frais.
      Je pose la question car selon les sites internet, on a les 2 réponses données.Et vu l’incidence, c’est important de comprendre.
      Merci pour vos précisions.

    • par Yl , Le 12 octobre 2022 à 22:38

      Bonsoir,
      Pour les ressources à prendre en compte pour le bailleur et le locataire protégé, dans le cas d’un congé pour reprise, s’agît il du revenu fiscal de référence N-2 comme vous le précisez, ou des revenus déclarés à l’administration fiscale, avant tout abattement (même les 10% de frais ??), de l’année écoulée, comme le précise la notice d’information que l’on doit obligatoirement fournir au locataire lors de la notification de congé ?
      Il es tenfin précisé que les revenus pris en compte sont au moment de la notification du congé.
      Donc si la notification est faite en 2023 pour un congé en 2025, on regarde les ressources du locataire et du propriétaire à N-2 avec le RFR ou de l’année écoulée si ce sont les revenus déclarés avant abattement ?
      Merci pour vos précisions, car on trouve des réponses différentes selon les sites et les conseils.
      Merci.

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