Fruit des multiples condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme [1] et de deux censures du Conseil constitutionnel [2], l’article 803-8 du Code de procédure pénale consacre une voie de recours inédite contre les conditions de détention indigne. Il est vrai qu’avant sa création, les détenus étaient dans l’incapacité d’exercer un recours préventif en la matière alors que l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme dispose que « même en détention la dignité humaine doit être respectée » et que son article 13 prévoit le droit de tous à bénéficier d’un recours effectif devant les juridictions nationales pour se plaindre d’une violation de droits protégés par la Convention.
Mais aussi attendue soit-elle par la population carcérale, cette nouvelle procédure peut rapidement tourner au casse-tête. Alors, comment les personnes placées sous écrou peuvent-elles mettre en œuvre cette procédure ? Face à l’avalanche d’étapes et de délais posés par le texte, la question prend tout son sens.
Cofondateurs de l’Association pour l’Exercice des Droits des Détenus (AEDD) nous éclairons ici le lecteur sur l’usage de cette procédure contre les conditions de détention indignes. Ils espèrent ainsi favoriser son usage par les prisonniers.
Comment contester des conditions de détention indignes par le biais de l’article 803-8 du Code de procédure pénale ?
Aux termes de l’article 803-8 (premier paragraphe) : « Sans préjudice de sa possibilité de saisir le juge administratif en application des articles L. 521-1, L. 521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire en application du présent code qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes. »
Ce premier paragraphe de l’article 803-8 du Code de procédure pénale pose le principe selon lequel la personne détenue peut contester l’indignité des conditions de sa détention devant le juge judiciaire tout en rappelant que cette nouvelle procédure ne fait pas obstacle à celle du référé-liberté devant le juge administratif qui a longtemps eu le monopole en la matière.
Contrairement à ce premier paragraphe, la suite des dispositions de l’article 803-8 du Code de procédure pénale n’ont pas le mérite de la concision. Ce n’est rien moins que quatre paragraphes articulés en sous-paragraphe qui fixent les modalités procédurales à suivre [3]. Car la procédure elle-même se déroule en plusieurs étapes devant le juge judiciaire, ces différentes phases étant bornées par des délais. Pour compliquer les choses, vient se greffer un jeu de questions-réponse avec l’administration pénitentiaire. Aussi mieux vaut-il être rompu pour exercer ce recours en connaissance de cause.
Comment initier la procédure contre des conditions de détention indignes ?
Première étape : le dépôt d’une requête par la personne détenue.
En premier lieu, c’est à la personne détenue de formuler une requête écrite par laquelle elle expose des « allégations (…) circonstanciées, personnelles et actuelles » de nature à constituer « un commencement de preuve que (ses) conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine ».
Point capital : cette requête de la personne détenue doit être distincte de toute autre demande. Ainsi, le détenu ne peut formuler dans sa requête qu’une demande relative aux conditions indignes qui ne saurait être couplée avec d’autres demandes par exemple relative à un transfert, un accès aux soins, une mise en liberté. Il prendra donc le soin d’éviter les demandes multiples, par exemple, une requête en conditions de détention indigne couplées avec une demande de transfert, d’accès aux soins ou de mise en liberté.
En ce qui concerne la rédaction de sa requête, le requérant doit décrire aussi précisément que possible en quoi ses conditions de détention seraient indignes. L’exhaustivité, tant qu’elle a trait à l’indignité des conditions de détention, est vivement recommandée. Parmi les critères dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme, figure notamment la taille de la cellule. La personne détenue est donc invitée à indiquer la superficie de sa cellule et à la décrire aussi précisément que possible. Sans prétendre ici à l’exhaustivité, il pourra notamment s’attarder sur l’accès à l’hygiène et aux sanitaires (saleté de cellule, nombre de douche, accès aux produits d’hygiène et d’entretien), à la vétusté, notamment la présence de nuisibles (rats, cafards), à l’accès à la lumière ainsi qu’à l’accès aux activités et à la promenade. La personne détenue peut également produire les éléments en sa possession.
Quelques précisions utiles : à qui l’adresser ? Quelles mentions à ne pas oublier ?
À quel juge la personne détenue doit-elle adresser sa requête ? Cette nouvelle voie de recours se déroule devant le juge judiciaire. La personne détenue doit donc saisir le juge des libertés et de la détention si elle est en détention provisoire. À défaut, elle devra saisir le juge de l’application des peines si elle est condamnée.
Par ailleurs, c’est au stade de la requête que le requérant peut demander que le juge procède à des vérifications concernant l’indignité de ses conditions de détention. C’est à ce stade encore qu’il peut demander la possibilité d’être entendu par le juge. Après, il sera trop tard. La rédaction de cette requête constitue donc une étape fondamentale.
Par conséquent, l’assistance d’un avocat pénaliste prend tout son sens, dès la rédaction de la requête. Pour cause, il pourra le conseiller sur mentions à ne pas oublier ainsi que sur les preuves les plus probantes et circonstanciées à communiquer avec sa requête.
Deux issues possibles.
Une fois la requête déposée, celle-ci est transmise au juge. A ce stade, il n’y a que deux issues possibles. Soit la requête n’est pas recevable : dans ce cas, la procédure s’arrête, ce qui n’empêche pas le détenu formuler par la suite une requête mieux nourrie. Soit la requête est recevable : dans ce cas, le juge communique sa décision par tout moyen au magistrat saisi du dossier. Cette communication doit se faire dans un délai de dix jours à compter de la réception de la requête. La procédure se poursuit lors d’une deuxième étape.
Deuxième étape : l’examen de la requête par le juge compétent.
Lorsque le juge estime la requête recevable, il procèdera ou fera procéder aux vérifications nécessaires et recueillera les observations de l’administration pénitentiaire. Cela doit se faire dans un délai compris entre trois et sept jours, à compter de l’ordonnance de recevabilité.
Il s’opère donc à ce stade de la procédure un renversement de la charge de la preuve. Par souci d’équitabilité, celle-ci ne pèse pas sur le requérant qui se trouve en situation de dépendance vis-à-vis de l’administration pénitentiaire. Pour cause, il n’a pas les moyens matériels d’établir de manière incontestable la réalité de la situation dont il se plaint.
Le recueil des observations du chef d’établissement ou de l’un de ses subordonnés constitue donc une étape clé dans le recueil des preuves.
En outre, le juge peut ordonner des vérifications supplémentaires en se transportant sur les lieux ou ordonner la désignation d’un expert pour procéder à toute constatation utile.
Là encore, deux issues possibles.
Une fois que les diligences ont été réalisées afin d’établir ou non la réalité du caractère indigne de la détention du détenu requérant, le juge n’a là encore que deux options. Soit il rejette la requête comme étant infondée. Dans ce cas, la personne détenue doit être auditionnée si elle en a fait la demande, ainsi que le représentant de l’administration pénitentiaire et du ministère public qui en ont fait de même. D’où l’importance pour la personne détenue de l’avoir demandé lors de sa requête introductive. Soit le juge reconnaît le bien-fondé de la requête par ordonnance. Alors, la procédure se poursuit avec une troisième phase.
Troisième étape : la décision du juge et la mise en œuvre de mesures pour faire cesser les conditions de détention indignes.
Lorsque le juge a estimé que la requête était bien-fondée, il fait connaître sa décision à l’administration pénitentiaire dans un délai de dix jours à compter de l’ordonnance de recevabilité. Il fait également savoir les conditions de détention qu’il estime contraires à la dignité.
L’administration pénitentiaire dispose alors d’un délai que fixe le juge et qui doit être compris entre dix jours et un mois pour mettre fin par tout moyen aux conditions de détention indignes. En la matière, c’est le juge qui fixe le délai. L’administration reste souveraine concernant le choix des mesures qui doivent être mises en œuvre. Libre à elle de choisir la plus adaptée et surtout, la plus faisable. L’éventail est large allant de l’affectation de la personne détenue dans une nouvelle cellule à la réalisation de travaux.
Quatrième étape : l’office du juge en cas d’inertie de l’administration pénitentiaire.
On se trouve ici dans la situation où le juge a fixé un délai (entre 10 jours et 1 mois) pour qu’il soit mis fin aux conditions de détention indignes. L’administration doit s’exécuter. Or, le juge constate que cela n’a pas été fait. Un constat, deux cas de figure. Soit l’administration pénitentiaire ne propose pas de solutions. Soit les solutions qu’elle propose n’ont pas été jugées satisfaisantes. Dans cette situation, l’article 803-8 prévoit une botte pour que le détenu ne souffre pas outre mesure de l’inertie de l’administration.
Lorsque la personne est en détention provisoire, le juge a ainsi le pouvoir d’ordonner sa remise en liberté immédiate, le cas échéant assortie d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique. Si la personne est condamnée et éligible à un aménagement de peine, le juge peut l’ordonner. Il peut donc décider d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou de libération sous contrainte.
Enfin, le juge dispose d’une dernière possibilité d’action : le transfèrement de la personne détenue vers un autre établissement pénitentiaire. Mais il peut le refuser si la personne placée en détention provisoire s’y est opposée et si cette mesure porte atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale. En somme, c’est le cas si le transfèrement dans un nouvel établissement pénitentiaire se fait dans un lieu trop éloigné de celui de ses proches et entraîne une rupture du maintien des liens familiaux.
Quelles voies de recours ?
La décision du juge sur la recevabilité de la requête, la décision du juge disant la requête infondée ou fondée ainsi que la décision statuant au fond peuvent faire l’objet d’un recours. Mais devant qui ? Et quand ?
L’appel doit être relevé devant le président de la chambre de l’instruction ou devant le président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel. Il doit impérativement être interjeté dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision.
Si l’affaire n’est pas examinée dans un délai d’un mois, la personne détenue pourra saisir directement le président de la chambre de l’instruction ou le président de la chambre de l’application des peines.
Pourquoi se faire assister par un avocat pénaliste ?
L‘objectif de cet article est qu’il soit rapidement mis un terme aux conditions de détention indignes des personnes détenues. Mais si cette nouvelle procédure a le mérite d’exister, elle souffre d’un défaut de complexité et de célérité. En effet, les différentes étapes peuvent rapidement se muer en un parcours du combattant pour le détenu qui se retrouve seul face au juge et à l’administration pénitentiaire. En outre, si l’on additionne les différents délais, il peut s’écouler jusqu’à soixante jours entre l’introduction de la requête et l’intervention du juge pour faire cesser des conditions de détention indignes. Cela, sans compter les délais d’appel.
Dans tous les cas, l’intervention d’un avocat pénaliste peut s’avérer utile pour aider la personne détenue à tous les stades de la procédure, de l’écriture de la requête, au recueil des preuves en passant par la formulation d’observations orales devant le juge. Un avocat pénaliste permettra ainsi à la personne écrouée d’affronter les différentes étapes et de mettre fin à l’indignité de ses conditions de détention.