C’est dans ce contexte que, par deux arrêts de principe, la Cour de cassation est venue modifier (I) et préciser (II) le régime juridique relatif à l’application de la garantie décennale aux travaux réalisés sur des ouvrages existants.
I - Le revirement de jurisprudence concernant les éléments d’équipement installés sur un ouvrage existant.
Depuis 2017, le principe posé par la Cour de cassation était clair : les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la garantie décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination [3].
Les cas d’application ont été nombreux et ont notamment permis de soumettre au régime de la garantie décennale l’installation sur des ouvrages existant d’inserts, de poêles à bois [4] ou de pompes à chaleur [5] qui rendaient les ouvrages dans leur ensemble impropre à destination.
Ainsi, les travaux d’installation d’éléments d’équipements qui étaient à l’origine de l’incendie d’un ouvrage [6] ou qui pouvaient causer un risque avéré d’incendie [7] étaient donc susceptibles d’engager la responsabilité décennale du locateur d’ouvrage à l’origine de ladite installation et d’être couverts par sa garantie d’assurance décennale, au motif qu’ils rendaient les ouvrages dans leur ensemble impropres à destination.
Par un arrêt publié au bulletin en date du 21 mars 2024, la 3ᵉ chambre civile de la Cour de cassation a posé le principe selon lequel :
« si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs » [8].
Le nouveau principe est clair : les garanties biennales et décennales n’ont pas vocation à s’appliquer à l’installation d’éléments d’équipement sur un ouvrage existant, sauf à ce que les travaux réalisés constituent en eux-mêmes un ouvrage.
Ce revirement de jurisprudence s’applique immédiatement aux instances pendantes [9].
Les juridictions ont immédiatement suivi cet arrêt de principe, et il a pu être jugé que :
- des ouvrants « à la française » ne constituent pas un ouvrage mais sont des éléments d’équipement qui ne sont donc pas soumis à la garantie décennale [10]
- l’installation d’une pompe à chaleur en même temps qu’un plancher chauffant, qui a nécessité des techniques de travaux de construction permettant de l’intégrer à l’immeuble existant, constitue un ouvrage de construction autonome soumis à la garantie décennale des constructeurs [11]
- des panneaux photovoltaïques qui ne participaient pas de la réalisation de l’ouvrage de couverture dans son ensemble, ayant été installés en surimposition, et n’assurant pas une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment constituent des éléments d’équipement installés sur un ouvrage existant et ne relèvent pas de la garantie décennale, nonobstant les départs de feu et infiltrations qu’ils ont causés [12].
Un tel revirement était attendu, notamment compte tenu du fait que l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux prévoit de modifier l’article 1792-7 du Code civil pour disposer que les éléments d’équipement installés sur existant ne constituent pas des éléments d’équipement au sens des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du même Code [13].
La Cour de cassation a très récemment eu l’occasion de confirmer ce revirement de jurisprudence, en excluant l’application de la garantie décennale aux travaux d’installation d‘un poêle à bois ayant causé l’incendie de l’ouvrage préexistant [14].
Cette solution a donc vocation à s’inscrire dans la durée.
La question qui se pose désormais en présence de désordres affectant des travaux réalisés sur un ouvrage existant consiste à savoir si lesdits travaux portent, en eux-mêmes, sur un ouvrage ou sur un élément d’équipement.
Or, la difficulté consiste dans le fait que la loi ne fixe pas de critères légaux à la qualification d’un « ouvrage » au sens des articles 1792 et suivants du Code civil.
La jurisprudence a pallié cette carence, sans définir pour autant de faisceau d’indices qui soit clair.
Ainsi, lorsqu’ils ne portent pas sur l’édification d’un bâtiment en son ensemble, les critères pouvant permettre de retenir la qualification d’un ouvrage ont pu être les suivants :
- la réalisation d’un élément d’une envergure importante [15] ;
- le recours à des techniques de génie civil [16] ;
- le recours aux techniques du bâtiment [17] ;
- l’encrage au sol d’une installation [18] ;
- le caractère non-démontable d’un élément [19].
C’est au cas par cas que les juridictions sont emmenées à se prononcer sur la qualification éventuelle d’un ouvrage.
L’applicabilité de la garantie décennale aux différents cas d’espèce perd donc en intelligibilité et en prévisibilité.
En effet, ces critères sont eux-mêmes susceptibles d’évoluer, ce qui laisse présager de futurs débats relatifs à la qualification de la notion d’ouvrage avec, à la clé, peut-être, des éclaircissements, jurisprudentiels ou légaux à venir.
II - Précisions sur l’assurance obligatoire applicable aux dommages causés à un ouvrage existant.
Par un arrêt en date du 30 mai 2024, la Cour de cassation a été invitée à trancher la question de savoir dans quels cas l’assurance obligatoire des articles L241-1, L241-2 et L242-1 du Code des assurances est applicable aux dommages causés à un ouvrage existant.
Le cas d’espèce concernait des travaux de remplacement de tuiles en toiture d’une maison d’habitation dont il est allégué qu’ils ont eu pour conséquence une déformation du rampant de la toiture.
Longtemps la jurisprudence a pu considérer que les contrats d’assurance de responsabilité obligatoire garantissaient le paiement des travaux de réparation des ouvrages existants, à condition qu’ils soient « indissociables » de l’ouvrage neuf à la réalisation duquel l’assuré a contribué [20].
L’article L243-1-1 du Code des assurances dispose toutefois pour sa part que
« ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».
La question se posait de savoir si la condition de « l’incorporation » et celle de « l’indivisibilité technique » étaient cumulatives ou alternatives.
La Cour de cassation a déjà pu indiquer que ces critères s’entendaient de critères cumulatifs [21].
C’est dans cette lignée que la Cour de cassation s’inscrit en consacrant expressément le principe selon lequel, en application de L’article L243-1-1 du Code des assurances : « l’assurance obligatoire ne garantit les dommages à l’ouvrage existant provoqués par la construction d’un ouvrage neuf que dans le cas d’une indivisibilité technique des deux ouvrages et si celle-ci procède de l’incorporation totale de l’existant dans le neuf. Les deux conditions sont, ainsi, cumulatives et les dommages subis par l’ouvrage existant ne sont pas garantis lorsque c’est l’ouvrage neuf qui vient s’y incorporer » [22].
S’agissant de tuiles ayant affecté une charpente la Cour de cassation a ici pu juger que pour déterminer si les désordres relèvent du régime de la garantie décennale elle ne doit pas se contenter de vérifier qu’elles forment un tout avec la toiture, mais elle doit également caractériser en quoi l’ouvrage existant s’incorporait totalement dans l’ouvrage neuf.
L’on retiendra donc que pour que l’assurance soit obligatoire, il faut non seulement que l’ouvrage existant soit incorporé dans l’ouvrage neuf mais qu’il en soit indivisible d’un point de vue technique.
Lorsqu’une expertise est ordonnée sur des dommages causés à un ouvrage existant, il est donc utile de confier à l’expert judiciaire la mission de déterminer si l’ouvrage existant et l’ouvrage neuf sont ou non indivisibles.
Les travaux sur existant font l’objet d’une actualité trépidante en droit de la construction, invitant les personnes confrontées à des désordres de construction à s’interroger quant à l’applicabilité de la garantie biennale ou décennale à ces travaux.
On retiendra notamment que la soumission des travaux réalisés sur des ouvrages existants au régime de la responsabilité civile décennale, et donc de la garantie d’assurance décennale, n’est plus automatique mais se cantonne au cas précis où les travaux réalisés portent sur un ouvrage, et que les dommages causés aux ouvrages existants ne sont couverts par l’assurance obligatoire qu’à la double condition qu’il y ait une indivisibilité technique des deux ouvrages et qu’une incorporation totale de l’ouvrage existant dans l’ouvrage neuf soit constaté.