1. L’importance grandissante des amendes administratives.
La possibilité, pour les agents de l’inspection du travail, de prononcer des amendes administratives à l’encontre des employeurs est née avec la loi du 10 juillet 2014. A l’origine, le champ d’intervention de ces amendes était relativement réduit. Cependant, les pouvoirs publics ont rapidement compris l’intérêt de cette procédure, notamment par rapport à celle de la classique chaine pénale : frapper fort, vite et efficacement. On le comprend aisément, la rapidité et la facilité de l’émission des amendes administratives en font un instrument de choix pour l’administration lorsqu’elle souhaite sanctionner des comportements fautifs. On constate donc aujourd’hui un réel engouement des pouvoirs publics pour ce type de sanction.
Déjà en 2017, le rapport sur l’inspection du travail soulignait « la montée en puissance extrêmement forte des amendes administratives ». En effet, alors qu’en 2016, seuls 453 amendes avaient été prononcées pour un montant de 2,4 millions d’euros, en 2017, ce chiffre est monté à 1 034 amendes prononcées, pour un montant de 5,9 millions d’euros [1].
Les derniers chiffres en notre possession (non à jour) sont éloquents. Selon un rapport de presse du Ministère du Travail, sur la période 2019-2020 (donc en partie pendant la crise sanitaire), 1 200 amendes ont été notifiées pour un montant global de 6,8 millions d’euros. En outre, signalons que le secteur du BTP représente 75 % des amendes prononcées. Ces chiffres permettent donc de prendre toute la mesure de l’importance de ce type de sanction pour l’administration.
2. Un champ d’application en expansion.
Le champ d’application des amendes administratives, qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années, est désormais relativement étendu [2].
• Tout d’abord, le code du travail prévoit un cadre général d’application des amendes administratives. En effet, aux termes de l’article L. 8115-1 du code du travail, ces amendes peuvent intervenir en cas de :
Non-respect des durées maximales de travail quotidiennes et hebdomadaires ;
Non-respect du repos minimum quotidien et hebdomadaire ;
Absence de décompte de la durée de travail ;
Non-respect du Smic et des minima conventionnels ;
Manquements concernant les installations sanitaires, la restauration et l’hébergement ainsi que ceux relatifs aux prescriptions techniques de protection durant l’exécution des travaux de bâtiment et génie civil.
Pour ces manquements, le montant maximal de l’amende est de 4 000 euros et peut être appliqué autant de fois que de travailleurs concernés par le manquement. Il est majoré de 50 % en cas de nouveau manquement constaté dans un délai d’un an à compter du jour de la notification d’un avertissement concernant un précédent manquement de même nature. Le plafond de l’amende est porté au double en cas de nouveau manquement constaté dans un délai de deux ans à compter du jour de la notification de l’amende concernant un précédent manquement [3].
• Ensuite, le code du travail prévoit expressément la possibilité de recourir à cette procédure pour des manquements spécifiques.
Premièrement, les articles L. 1264-1 à L. 1264-3 du code du travail prévoient qu’une amende peut être prononcée en cas de manquements aux règles relatives au détachement des salariés dont :
Les infractions relatives à la déclaration de détachement [4], à l‘absence de déclaration motivée permettant la prorogation de l’application des règles du travail [5], à la déclaration en cas d’accident du travail d’un salarié détaché [6], à l’affichage de la règlementation ainsi que la traduction des documents applicables aux salariés détachés [7], à l’obligation de présentation des documents permettant à l’inspection du travail de vérifier le respect des règles relatives au détachement des salariés [8], à l’obligation d’information des règles applicables en matière de rémunération pendant la mise à disposition des salariés [9].
Suivant le cas, ces amendes peuvent être prononcées à l’encontre du maître d’ouvrage, du donneur d’ordre ou de l’entreprise utilisatrice. Le montant de l’amende est d’au plus 4 000 euros par salarié détaché et d’au plus 8 000 euros en cas de réitération dans un délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 500 000 euros.
Le non-respect par l’employeur d’une décision de suspension d’une prestation de service illégale ou le non-respect d’une mise en demeure de faire cesser une situation de manquement grave à la règlementation relative à la durée du travail, au repos, au salaire ou aux conditions de travail ou d’hébergement contraire à la dignité humaine [10] ;
L’amende est inférieure ou égale à 10 000 euros par salarié concerné par le manquement.
On peut ajouter à cette liste le non-respect des dispositions relatives à la carte d’identification du BTP [11].
Là encore, le montant maximal de l’amende est alors de 4 000 euros par salarié et de 8 000 euros en cas de récidive dans un délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 500 000 euros.
Notons sur ce point une volonté de lutte, de la part des pouvoirs publics, contre le non-respect des règles de détachement des salariés. En particulier, la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 a multiplié le montant des amendes par deux et a doublé le délai pendant lequel le montant de l’amende est multiplié par deux en cas de récidive. De plus, l’ordonnance n°2019-116 du 20 février 2019 a encore étendu le champ d’intervention des amendes administratives en créant de nouvelles obligations en cas de détachement de salariés.
Deuxièmement, cette procédure peut être engagée en cas de manquement avéré à certaines dispositions relatives à l’accueil et à l’encadrement des stagiaires. Il s’agit des articles L. 124-8, L. 124-9 al. 1 et L. 124-14 du Code de l’éducation [12].
Le montant de l’amende est d’au plus 2 000 euros par stagiaire concerné par le manquement et d’au plus 4 000 euros en cas de réitération dans un délai d’un an à compter du jour de la notification de la première amende.
Troisièmement, une amende administrative peut être émise lorsqu’un agent de contrôle constate un manquement aux obligations de déclaration et d’information relatives à l’obtention de la carte d’identification professionnelle des salariés du BTP commis par l’employeur d’un salarié ou le cas échéant de l’entreprise utilisatrice d’un salarié intérimaire détaché [13].
Ici aussi, le montant maximal de l’amende est de 4 000 euros par salarié et de 8 000 euros en cas de récidive dans un délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 500 000 euros.
Quatrièmement, aux termes de l’article R. 8115-9 du code du travail, le DREETS peut également prononcer une amende administrative en cas de non-respect d’une décision administrative prise par l’inspection du travail. Sont en outre concernées les cas suivants :
Non-respect d’une décision d’arrêt temporaire de travaux ou d’activité (C. trav. art. L. 4752-1) ;
Non-respect d’une demande de vérification, de mesures ou d’analyses (C. trav. art. L. 4752-2) ;
Non-respect d’une décision de retrait d’affectation de jeunes âgés de moins de 18 ans à certains travaux (C. trav. art. L. 4753-1 et L. 4753-2).
Spécifiquement pour ces manquements, le montant de l’amende est porté à maximum 10 000 euros par travailleur concerné par le manquement.
3. La procédure de sanction.
La procédure d’émission d’une amende administrative est une procédure administrative contradictoire classique.
A titre préliminaire, soulignons que durant un contrôle, aux termes de l’article L. 8271-6-1 du code du travail, si l’employeur est auditionné par un agent de l’inspection du travail, il bénéficie alors de toutes les garanties prévues par l’article 61-1 du code de procédure pénale.
Une fois son contrôle terminé, l’agent a souvent le choix de recourir à la procédure administrative ou à la procédure pénale. Conformément aux dispositions de l’article R. 8115-1 du code du travail, l’agent de contrôle produit un rapport qu’il présente au DREETS. Dans ce rapport, l’agent de contrôle fait état du manquement constaté et propose au DREETS une sanction.
Lorsque le manquement constaté est relatif aux durées maximales de travail, au repos minimum quotidien et hebdomadaire, au décompte de la durée de travail, au Smic et minima conventionnels ou aux installations sanitaires, à la restauration et l’hébergement ainsi qu’aux prescriptions techniques de protection durant l’exécution des travaux de bâtiment et génie civil, L. 8115-1 du Code du travail offre trois options au DREETS suivant la méthode de la « répression graduée » :
Soit il décide de ne rien faire ;
Soit il décide, conformément à l’esprit de la loi ESSOC, sur le "droit à l’erreur", de prononcer un simple avertissement. Dans cet avertissement, le DREETS rappelle à l’employeur le manquement retenu, ainsi que l’amende correspondante. La contrepartie de ce simple avertissement pour l’employeur est qu’en cas de nouveau manquement constaté dans un délai de deux ans à compter du jour de la notification d’un avertissement concernant un précédent manquement, non seulement l’amende sera émise, mais elle sera en plus majorée de 50 % [14]. En cas d’avertissement, l’employeur doit donc s’attendre à un nouveau contrôle dans les deux ans ;
Soit il décide de prononcer directement une amende administrative. Dans ce cas, le DREETS indique à l’employeur le manquement retenu à son encontre, le montant de l’amende envisagée et « l’invite à présenter ses observations » dans un délai de quinze jours [15] ou d’un mois [16] (prorogé d’un mois à la demande de l’intéressé si les circonstances ou la complexité de la situation le justifient) suivant le domaine dans lequel la sanction intervient.
Pour déterminer s’il prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, le DREETS prend en compte « les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges » [17]. Si l’amende intervient pour sanctionner la méconnaissance des dispositions relatives à l’accueil et l’encadrement des stagiaires, le DREETS prend aussi en compte la proportion de stagiaires par rapport à l’effectif global de l’organisme d’accueil [18].
Lorsque le manquement constaté est relatif à tout autre élément non cité précédemment, le DREETS ne peut pas prononcer d’avertissement. Il ne peut que décider de prononcer ou non une amende administrative et le cas échéant, d’en minorer ou d’en majorer le montant [19].
La formule « il [le DREETS] invite l’intéressé à présenter ses observations dans un délai d’un mois » implique pour l’administration, l’obligation de respecter le principe fondamental du contradictoire. A cet égard, le Conseil d’Etat déclare d’ailleurs que : « Si l’article R. 8115-10 du code du travail précise, en outre, que la personne contre laquelle l’administration envisage de prononcer une sanction est invitée à présenter ses observations, cette disposition, qui se borne à rappeler le principe du respect des droits de la défense, ne fait pas obstacle, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, à ce que la personne en cause présente, comme le prévoit l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration, si elle en fait la demande, des observations orales » [20].
Le respect du principe du contradictoire implique donc trois conséquences et garanties procédurales concrètes pour l’employeur. Premièrement, celui-ci doit avoir été averti de la mesure que l’administration envisage de prendre, des motifs sur lesquels elle se fonde, et qu’il bénéficie d’un délai suffisant pour présenter ses observations. Deuxièmement, ce principe implique que l’employeur puisse avoir accès, s’il le demande, à son dossier administratif, et notamment au rapport soumis au DREETS, comme le prévoit d’ailleurs le principe général des droits de la défense prévu par l’article L. 122-2 du code des relations entre le public et l’administration [21]. Troisièmement, ce principe implique le droit, pour l’employeur, de présenter des observations écrites voire orales.
La Cour de Marseille a justement résumé les garanties dont bénéficie l’employeur : l’amende « ne peut être infligée qu’à l’issue d’une procédure contradictoire lui permettant de statuer en tenant compte des observations de l’employeur intéressé. Le respect de cette procédure, qui constitue une garantie pour l’employeur, suppose que celui-ci soit informé, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de l’amende, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu’il en fait la demande » [22].
A l’issue de ce délai de quinze jours ou d’un mois et au vu des observations éventuelles de l’intéressé, l’autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l’amende. Le titre de perception correspondant est généralement émis quelques jours après. L’administration informe de cette décision le comité social et économique.
Le délai de prescription de l’action du DREETS pour prononcer l’amende est de deux ans à compter du jour où le manquement a été commis [23].
4. Non cumul de l’amende administrative et des poursuites pénales
Les dispositions faisant l’objet des amendes administratives n’ont pas été dépénalisées, sauf en matière de détachement de travailleurs. De ce fait, l’inspection du travail pourrait théoriquement, choisir entre le recours à la voie pénale (procès-verbal d’infraction) et le recours à l’amende administrative.
Toutefois, l’article L. 8115-1 du Code du travail prévoit expressément que l’amende administrative ne puisse intervenir que « sous réserve de l’absence de poursuites pénales » [24]. Cette simple mention interdit donc le cumul entre amende administrative et poursuites pénales. L’employeur contrôlé prendra donc garde à informer la DREETS en cas de poursuites pénales afin d’éviter le cumul.
Attention cependant, cette impossibilité de cumul entre sanction administrative et sanction pénale ne vaut qu’à l’égard des amendes administratives. D’autres sanctions administratives comme d’exclusion des marchés publics, le remboursement d’aides publiques ou l’impossibilité de percevoir de nouvelles aides publiques sont cumulables avec des poursuites pénales [25].
5. En cas de sanction, quel recours et quels moyens de défense ?
L’employeur sanctionné peut contester l’amende administrative en saisissant le Tribunal administratif [26]. Rare exception en contentieux administratif, le recours hiérarchique n’est en revanche pas ouvert pour contester les amendes administratives [27].
L’employeur prendra gare aux classiques moyens tenant à la forme de la décision (signature, auteur, date, motivation) ainsi qu’à la procédure de son édiction (respect indispensable de la procédure contradictoire). De plus, l’employeur s’attachera à vérifier les motifs de la sanction afin d’y déceler une erreur de faits : l’administration a-t-elle justement appréciée les faits qui lui étaient soumis ?
Enfin, le juge administratif statue sur la contestation des amendes administratives en juge de plein contentieux [28]. A ce titre, il peut donc non seulement annuler l’amende, mais il peut également en moduler le montant s’il celui-ci lui paraît disproportionné. Il n’est donc pas rare de voir une juridiction ramener l’amende initialement prononcée à « plus juste proportion » [29].
Le juge prend notamment en compte, conformément aux dispositions du code du travail la bonne foi de l’employeur, ses ressources et ses charges. Ainsi, l’employeur sanctionné aura tout intérêt à mettre en avant tout élément permettant de le disculper (comportement exemplaire sur les dernières années, aucune autre sanction, irrégularité ne concernant qu’un faible nombre de salariés, irrégularité de faible gravité, éléments de régularisations entrepris à la suite du contrôle, éventuelles difficultés financières ...).
Bien qu’il statue en tant que juge de plein contentieux, le juge administratif se doit « d’examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision » [30].