Altercation avec un supérieur + dépression = accident du travail.

Par Eva Touboul, Avocat.

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La Cour de cassation le 28 janvier 2021 a cassé un arrêt de la cour d’appel de Versailles motif pris que : En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l’accident litigieux, survenu au temps et au lieu du travail de la victime, avait une cause totalement étrangère au travail, la cour d’appel a privé de base légale sa décision.

-

Les faits sont simples : un salarié, agent de la RATP, déclare avoir été victime d’un accident du travail après une altercation avec son responsable hiérarchique.

La Caisse refuse de prendre en charge ledit accident au titre des accidents du travail.

La victime saisit d’un recours une juridiction de sécurité sociale.
La Cour d’appel de Versailles retient qu’il n’y a pas accident du travail étant donné que, quelles qu’aient été les difficultés de la victime, elle (la victime) est exclusivement à l’origine du différend l’ayant opposé à son responsable.

Rien de nouveau en fait.

Par cette décision, la Cour de cassation va au bout de sa logique.

La cour suprême s’appuie sur les articles L1152-2 et L1152-3 du Code du travail qui disposent que

« le licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral est nul. »

La Cour de cassation en fait une application extensive puisqu’elle avait déjà jugé par le passé.

- « Est justifiée la décision d’une cour d’appel d’annuler un licenciement après avoir constaté que le harcèlement était caractérisé et que le comportement reproché au salarié était une réaction au harcèlement moral dont il avait été victime. »

En l’espèce, l’employeur reprochait au salarié, victime de harcèlement, une attitude injurieuse et agressive [1].

A défaut, le salarié victime de harcèlement moral subirait une double peine : non seulement il est harcelé mais en outre quand il cesse d’accepter de subir, il est sanctionné pour s’être rebellé.

- Dans une autre affaire, un employeur reprochait à une salariée un comportement injurieux et agressif à l’attention de ses collègues et subalternes, et une attitude de dénigrement systématique à leur égard.

La Cour de cassation, approuvant la Cour d’appel, relève que l’attitude reprochée à la salariée devait être replacé dans le contexte de harcèlement dont la salariée faisait l’objet et constituait une réaction au harcèlement moral dont l’intéressé était victime et n’était donc pas fautive.
Le licenciement pour faute grave de la salariée a donc été annulé au visa des articles L1152-2 et L1152-3 du Code du travail [2].

- Le harcèlement moral, résultant notamment du retrait de certaines de ses attributions, d’injures et humiliations de la part du nouveau gérant ou de salariés sans réaction de ce dernier, étant caractérisé à l’égard de la salariée, est nul le licenciement de cette dernière motivé par son « attitude de moins en moins collaborative » ainsi que le fait de créer des dissensions au sein de l’équipe et de dénigrer le gérant, ces faits étant une réaction au harcèlement moral dont elle a été victime [3].

Nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans ?

L’idée est qu’on ne peut se servir de sa propre turpitude : l’employeur ne peut licencier un salarié qui perd ses nerfs précisément car l’employeur l’a poussé à bout en le harcelant.

Dans l’affaire récente du 28 janvier 2021, la Cour de cassation vient nous dire que le harcèlement corrompt tout :
- il permet l’annulation du licenciement ;
- mais également, en cours d’exécution du contrat, de reconnaître que la maladie qui suit une altercation dans un contexte de harcèlement est professionnelle.

Cela laisse à penser que si la dépression avait fait suite à une altercation en dehors de toute situation de harcèlement moral, elle n’aurait pas donné lieu à un classement en accident du travail.

Dès lors, rien de très nouveau sous le soleil.

Mais en matière de harcèlement moral, une piqûre de rappel est toujours utile.

Maître Eva Touboul,
Avocat au Barreau de Paris.
https://www.avocat-etc.fr/

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Notes de l'article:

[1Source : Cass. soc. 29-6-2011 n° 09-69.444 (n° 1731 FS-PB), Assoc. hospitalière Artois clinique (Ahnac) c/ P. : RJS 10/11 n° 749.

[2Source : Cass. soc. 29 juin 2011, n° 09-69.444.

[3Source : Cass. Soc. 10/01/2019, n°18-14317.

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Discussion en cours :

  • par Tabata , Le 16 février 2021 à 13:59

    Bonjour,

    Article très intéressant, mais dans les faits, pourquoi un employeur ne respecte pas la loi ? ils la connaissent, et pourquoi les Cours d’Appel continuent aussi à juger contrairement à la loi, alors que le principe de base est connu ?

    Il faut penser à la victime qui perd son travail, sa santé, sa dignité, son avenir, sa maison...

    Des années à attendre une décision de justice, à payer des avocats, à se priver dans l’attente de la reconnaissance du préjudice.

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