L’altération des facultés mentales du vendeur : quelles conséquences pour la vente ?

Par Fanny Quilan, Juriste.

20750 lectures 1re Parution: Modifié: 4.44  /5

Explorer : # altération des facultés mentales # nullité du contrat # responsabilité du conseiller # mesure de protection

Vos clients sont mariés et vendent leur bien immobilier, mais Monsieur vous informe que Mme à un début d’Alzheimer.
Ou encore, vos clients - enfants (nu propriétaires) et mère (usufruitière) - sont indivisaires d’un bien immobilier. Vous vous rendez compte que la maman est âgée et vous constatez des moments d’absence.
Bien souvent nous nous rendons compte de ces situations après la prise du mandat, et avant la signature de l’avant-contrat.
Face à ces situations du quotidien, comment accompagner efficacement nos clients, et surtout, comment réussir la vente de leur bien ?

-

I. La validité d’un contrat nécessite le consentement éclairé des parties : agents soyez vigilants !

A/ Le fondement juridique.

L’article 1128 du code civil indique que le consentement des parties est nécessaire à la validité d’un contrat.

L’article 1129 du même code ajoute qu’« il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat ».

Ainsi, tout contrat, notamment patrimonial, est susceptible d’annulation pour insanité d’esprit.

L’insanité d’esprit comprend toutes les variétés d’affectations mentales par l’effet desquelles l’intelligence de l’auteur et/ou sa faculté de discernement est altérée. Ainsi, peu importe l’origine du trouble, il peut tout aussi bien s’agir d’un excès que d’une maladie.

[Exemples d’insanités : Absorption excessive d’alcool ; Troubles psychiatriques graves entraînant des dépenses inconsidérées ; Infirmité et affaiblissement dû, notamment, à l’âge ; Moment de folie ; Etat de déficience intellectuelle etc].

Conformément aux arrêts de la Cour de Cassation, il n’est pas nécessaire que l’insanité d’esprit soit matérialisée au moment de la signature de l’acte, un simple doute suffit.

B/ Le devoir de vigilance du conseiller et celui du notaire.

Pour l’exercice de sa mission, le conseiller doit être vigilant.

Cela signifie qu’il doit vérifier les consentements nécessaires à la validité de l’acte de vente.

S’il ne le fait pas, il est susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle à l’égard du mandant vendeur, et délictuelle à l’égard des acquéreurs et des tiers ayant un intérêt à agir, pour mauvaise exécution du mandat.

En outre, la faute de vigilance du notaire n’efface pas celle de l’agent, mais peut l’atténuer.

De la même façon, le notaire en tant que témoin impartial doit être particulièrement attentif à l’expression de la volonté des parties. Le notaire doit surseoir à la vente s’il a un doute sur la réalité des consentements.

C/ Le risque d’action en nullité de l’acte de vente.

L’article 414-1 du code civil indique que

« pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ».

Ainsi, l’intéressé ou son représentant doit démontrer par tous moyens soit l’existence, soit l’altération notoire ou connue des facultés mentales au moment de l’acte. Cette preuve peut être rapportée par tous moyens (ex : Certificat médical et/ou témoignage(s) ; Incohérence de l’acte ; Existence ou instruction en cours d’une mesure protection).

L’article 414-2 c.civ indique que l’action en nullité est ouverte :

« de son vivant uniquement à l’intéressé ou son représentant ;
après sa mort aux héritiers pour insanité d’esprit dans les cas suivants : 1°Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ; 2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ; 3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future
 ».

Cela signifie, que l’intéressé ou son représentant pourra demander la réduction ou la nullité des obligations contractuelles, dès lors qu’il sera démontré que l’intéressé était incapable au moment de la conclusion du contrat [1].

Le délai pour agir en nullité prend fin dans les conditions suivantes :
- Du vivant du majeur : l’action en nullité de la vente se prescrit par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, il s’agit en général de la date de la mesure de protection (Art.2224 c.civ.) ;
- A la mort du majeur : les héritiers doivent agir dans le délai de 5 ans suivant le décès [2].

II . Le rôle du médecin de famille et celui du médecin spécialisé.

En cas de doute sur la capacité d’esprit d’une partie le conseiller immobilier doit :
- Lever le doute : pour cela le conseiller pourra prendre l’avis du Notaire de famille (attention : un notaire n’est pas un médecin), parallèlement le client devra prendre l’avis de son médecin de famille (attention : un MDF n’est pas un médecin spécialisé) ;
- En cas de doute avéré à la suite de sa discussion avec le médecin de famille, le client devra obtenir un certificat médical de la part d’un médecin spécialisé.

A/ La procédure de recherche d’un médecin spécialisé.

1ère étape : Contactez le tribunal judiciaire du ressort du domicile du client concerné par l’expertise => Ou s’adresser : Annuaire tribunaux judiciaires.
- Demandez à avoir le Service civil du Parquet, ou le cas échéant le service des tutelles ;
- Puis demander la transmission par mail du document intitulé « Liste des médecins habilités à constater l’état des personnes à protéger ».

2ème étape : Choisir un médecin généraliste figurant dans la liste des médecins habilités à constater l’état des personnes à protéger.
- Le secrétariat du cabinet médical vous renseignera du coût de la prestation et du calendrier des rendez-vous. Le médecin aura la possibilité de se déplacer mais le délai d’attente sera souvent plus long.
(Le coût de la prestation est en général de 160 euros, il n’est pas pris en charge par la sécurité sociale).

B/ La nature de la mesure de protection.

Le médecin spécialisé vous confirmera l’existence, ou non, d’une insanité.
Soyez vigilant à ce que le client concerné évoque avec le médecin spécialisé l’existence du projet de vente.

Après avoir fait l’examen de sa situation , le médecin pourra indiquer la nature de la mesure pour laquelle il y aura lieu d’opter.

Il pourra s’agir de :

1° L’habilitation judiciaire de représentation du conjoint aux fins de vendre le logement : Elle permet de représenter l’époux défaillant et d’agir en son nom [3].

2° Un placement sous tutelle : Le juge énumère les actes que le tuteur pourra passer et ceux que l’intéressé pourra réaliser seul [4].

3° Un placement sous curatelle : Le curateur assistera l’intéressé sous curatelle dans les actes de vente. Elle n’est prononcée que si la sauvegarde de justice s’avère insuffisante.

Il existe plusieurs sortes de curatelle :
- La curatelle simple : L’époux défaillant sera assisté de son curateur pour l’acte de vente,
- La curatelle renforcée : le curateur perçoit les ressources de l’époux défaillant et règle ses dépenses sur un compte ouvert au nom de celui-ci,
- La curatelle aménagée : le juge énumère les actes que l’époux défaillant peut passer et ceux que le curateur devra passer.

4° Un placement sous Sauvegarde de justice : Le juge énumère les actes que l’intéressé pourra réaliser seul et ceux que le mandataire pourra réaliser.

C/ Le dépôt du dossier au service des tutelles.

Le destinataire de la mesure devra déposer, auprès du juge des tutelles du Tribunal judiciaire du lieu de résidence de la personne à protéger, une requête en vue de la protection juridique d’un majeur.

Il faudra déposer le CERFA n°15891*03 [5].

Ce formulaire devra être accompagné des pièces suivantes : Acte de naissance de la personne à protéger, de moins de 3 mois - Copie de la pièce d’identité de la personne à protéger et de celle du demandeur - Certificat médical du médecin spécialisé - Livret de famille, contrat de mariage, pacs etc. - Copie domiciliation du demandeur - Attestation des membres de la famille acceptant la nomination.

Le délai d’instruction est d’environ 3 mois.

A l’issue de cette instruction, et passé le délai d’appel de 15 jours, vous pourrez procéder à la signature des actes - mandat, avant-contrat, acte authentique - dans les conditions posées par l’habilitation.

Exemple de cas pratique :

Contexte : Vos clients sont mariés, et Monsieur vous informe que Mme à un début d’Alzheimer, que faire ?

Le cheminement de la maladie d’Alzheimer est long, ce qui ne permet pas de présumer, dès l’apparition de ses premiers signes, que le patient serait privé de discernement.

Il ne peut être déduit de ce début de maladie que l’épouse serait privée de toute faculté de comprendre les actes patrimoniaux qu’elle est susceptible d’accomplir.
L’existence de cette maladie n’est pas de nature à caractériser une atteinte grave et constante des fonctions cognitives de l’épouse.

En faisant simplement état des éléments annonciateurs de cette maladie, l’insanité d’esprit n’est pas démontrée.

Dans votre situation, il faudra respecter les étapes suivantes :

- 1ère étape : Le client devra demander l’avis du Médecin de famille, puis le cas échéant obtenir un certificat médical du médecin spécialisé. Ce certificat devra confirmer, ou non, l’altération des capacités d’esprit, et préciser la mesure de protection adéquate.

- 2ème étape : deux possibilités :
1ère possibilité : le certificat ne confirme pas l’altération des capacités d’esprit, la vente peut se poursuivre.
2ème possibilité : le certificat confirme l’altération des capacités d’esprit. Dans ce cas il sera nécessaire d’obtenir une habilitation judiciaire.

Fanny Quilan
Responsable juridique du réseau immobilier AXO

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

9 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1C.Cass, c.civ, 20 octobre 2010 n° 09-13-635 : « l’autorisation donnée par le juge des tutelles de vendre la résidence d’un majeur protégé ne fait pas obstacle à l’action en annulation, pour insanité d’esprit ».

[2Cass. 1ère Civ., 20 mars 2013, n° 11-28318.

[3Art. 217, 219, 1426 code civil ; Art.1286 et 1289 du code procédure civile.

[4Art 425 à 514 code civil ; Art.1211 à 1257 du code.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27842 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs