En l’espèce, un photographe saisit le juge des référés du TGI de Paris d’une action en contrefaçon portant sur la publication sur 2 sites Internet de photographies dont il est l’auteur.
Dans la cadre de sa participation à l’activité d’organisation et d’animation de mariage orientaux exercée par un couple, respectivement disc-jockey pour le mari et créatrice de robes de mariée pour l’épouse, le photographe était chargé de prendre des clichés des robes et des prestations du disc-jockey en action lors de soirées.
Les époux ont ensuite publié sans l’autorisation du photographe les clichés sur les sites internet lilamariage.fr et djh…..com dont ils sont les éditeurs. C’est à partir d’ici que le contentieux émerge puisque selon le photographe la publication de ses photographies sans son accord constitue un acte de contrefaçon.
L’action en contrefaçon est la voie juridique normale pour qui souhaite voir sanctionner l’exploitation sans autorisation de ses droits d’auteur. En présence d’une atteinte à ses droits privatifs, le titulaire des droits saisit habituellement le juge des référés car l’urgence est de faire cesser la contrefaçon afin qu’il recouvre son exclusivité.
Le juge des référés a rejeté en l’occurrence les demandes de mesures provisoires du photographe en précisant que la contrefaçon n’était pas évidente. Pour parvenir à ce constat, le juge va considérer que les photographies ne présentent pas le critère d’originalité prévu à l’article L.122-2-9° du CPI.
1/ L’examen en référé de la pertinence de la demande en contrefaçon
En l’espèce, le photographe sollicite du juge des référés qu’il prononce certaines mesures dont notamment celle du retrait des photos en cause des 2 sites internet. Or, afin de ne pas préjudicier à l’examen au fond du litige, le juge des référés doit vérifier que la contrefaçon est suffisamment évidente. La prudence avec laquelle le juge des référés se prononce est compréhensible dans la mesure où sa position aura nécessairement une incidence sur le juge au principal lors de l’examen au fond.
C’est pour cette raison en l’espèce que le juge du provisoire, faute de caractériser la contrefaçon, décide de ne pas faire droit à la demande de retrait des photographies des sites internet. Ce qui signifie que le demandeur à l’action en contrefaçon n’a pas de manière évidente démontré l’atteinte à ses droits.
Mais, précisément, y a-t-il même droits d’auteur sur les photographies litigieuses en l’espèce ? Le juge des référés n’a pu faire l’économie de cet examen, même si, se faisant, il anticipe déjà sur l’examen au fond du litige.
D’où l’on voit que la condition posée d’une action sérieuse par le juge des référés peut avoir un effet dissuasif sur certains titulaires de droits d’auteur victimes de contrefaçon. En effet, comment oseraient-ils ensuite agir au fond si dès le référé le juge a conclu au non sérieux de leur action ?
2/ La question de l’originalité de l’œuvre photographique
Le photographe demandeur à l’action en contrefaçon pouvait légitimement se croire titulaire de droits d’auteur portant sur ses clichés. Il était en mesure pour cela de s’appuyer sur des décisions judiciaires ayant explicitement reconnu un droit d’auteur sur des photographies dont les qualités de création artistiques n’étaient pas les plus remarquables par ailleurs.
Les magistrats sont confrontés à une réelle difficulté pour découvrir l’empreinte d’une personnalité dans une photographie afin de pouvoir la qualifier d’originale. Sachant par ailleurs qu’ils ne doivent pas se fonder sur l’aspect esthétique de celle-ci du fait de l’interdiction posée par l’article L.112-1 du CPI. Ces difficultés d’appréciation expliquent la souplesse dont font preuve les juges pour admettre assez largement la protection des photographies par le droit d’auteur.
Ainsi, la Cour de cassation a reconnu l’originalité des photographies prises sur un plateau de tournage par un photographe chargé de fixer les scènes les plus suggestives pour capter l’attention du public, faisant ainsi œuvre personnelle (Civ.,1, 12 janv. 1994 n°91-15.718).
La Cour d’appel de Paris a également admis l’originalité de photographies illustrant les positions du Kamasutra sur le simple fondement que le photographe avait la possibilité d’opérer certains choix. (Paris, pôle 5, ch. 1, 19 mai 2010, n° 08/23943).
Le critère du choix laissé au photographe pour réaliser sa prise de vue semble être le critère dominant pour caractériser l’originalité d’une photographie. Dès lors qu’il a le choix du cadrage ou de la prise de vue, le photographe imprime son empreinte personnelle à l’œuvre photographique.
C’est à cette conception que s’est rangée récemment la CJUE dans son arrêt du 1er décembre 2011. S’agissant d’une photographie de portrait représentant Natasha K. enfant, reproduite par tous les médias lorsque la jeune autrichienne s’est échappée après 8 années de séquestration, la CJUE a reconnu l’originalité de la photographie.
La Cour retient en effet « qu’une photographie de portrait est susceptible [...] d’être protégée par le droit d’auteur, à condition [...] qu’elle soit une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par des choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie ». Cette position de la CJUE est d’autant plus importante qu’elle ambitionne d’harmoniser le droit de l’Union relatif au droit d’auteur sur cette base.
Pour renverser la demande en contrefaçon, les époux défendeurs, comme tout contrefacteur en général, font valoir l’absence d’originalité des clichés litigieux.
Pour juger de l’absence d’une contestation sérieuse, l’ordonnance de référé du 2 août 2013 a constaté le défaut d’originalité des photographies en cause. Prises selon les angles habituels et sans aucun décor spécifique les assortissant, les photographies ont un caractère banal, et, au-delà de la maitrise de la technique, commune aux photographes professionnels, elles ne comportent aucune empreinte de la personnalité du photographe.
S’il existe quantité de décisions qui retiennent l’originalité de photographies et dignes par conséquent d’être protégées par le droit d’auteur, à l’inverse, d’autres décisions ont clairement refusé une telle qualification. Bien souvent ce refus repose sur l’absence de choix laissé au photographe.
Ainsi, le paparazzi n’a pas de droit d’auteur sur ses photographies, faute de mise en forme originale, reproduisant une scène de grande banalité et se contentant d’installer un objectif en direction de la cible (Paris, 5 décembre 2007, Recueil Dalloz 2008, p 461).
De même, les photographies de nouveaux nés dans un hôpital sont dénuées de toute originalité selon une ordonnance de référé du TGI de Paris du 13 mars 2009 (Propr. Intell. 2009 n°32 p 260 obs.Bruguière). Les reproductions fidèles d’où ne ressort aucun effort de créativité ne peuvent donc prétendre à une protection.
Dans l’ordonnance de référé du 2 août 2013 le juge a constaté l’absence d’originalité des clichés en tenant compte des circonstances de l’espèce : les robes photographiées sont la création de l’épouse et le photographe en a simplement reproduit une photographie fidèle, sans apport personnel. S’agissant des clichés montrant le disc-jockey dans son activité, le juge constate également l’absence d’un effort personnalisé destiné à faire ressortir l’empreinte de sa personnalité.
Discussion en cours :
Merci pour cet intéressant article.
Mais une question se pose à moi. Quels droits sont donc imputables en terme de droits patrimoniaux et moraux d’une photo qui serait ainsi considérée comme banale ?
Peut-elle être utilisée au bon vouloir, sur internet ou sur une impression presse sans rémunération de l’auteur ?
Merci de votre réponse.
vincent, auteur-photographe