Affaire des prothèses PIP : l’Etat vient d’être condamné.

Par Jacques Gobert, Avocat.

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Par un jugement du 9 mai 2019 (n° 1703560), le Tribunal Administratif d’Orléans a condamné l’Etat à indemniser une victime des prothèses mammaires de marque PIP (Poly Implant Prothèse).
Le juge a considéré que l’Etat s’est fautivement abstenu d’agir entre avril 2009 et décembre 2009 dans l’exercice de sa mission de contrôle de police sanitaire des activités de la société PIP.

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1) Sur la condamnation de l’Etat pour carence fautive.

Saisi par une victime s’étant faite implanter le 13 janvier 2010 des prothèses de la marque PIP, le Tribunal s’est prononcé sur la responsabilité de l’Etat sur la période précédant la suspension de la mise sur le marché de ces prothèses par une décision du 29 mars 2010 du directeur général de l’AFSSAPS (devenue l’ANSM en 2012).

A l’instar du Tribunal Administratif de Montreuil dans son jugement du 29 janvier 2019 (n°1800068), le Tribunal Administratif d’Orléans retient que les données de matériovigilance pour l’année 2008, reçues en avril 2009 par l’AFSSAPS, ont fait apparaître « une augmentation significative des signalements de rupture des membranes, outre que l’AFSSAPS a reçu le 26 octobre 2009 une alerte spécifique d’un chirurgien plasticien et le 26 novembre 2009 une délation sur le gel utilisé ».

Or, selon le Tribunal, l’AFSSAPS ne peut être regardée comme ayant pris les mesures de contrôle et d’investigations complémentaires nécessaires pour analyser ces incidents qu’à partir du 18 décembre 2009, date à laquelle l’agence a convoqué la société PIP « à une réunion pour fournir les documents nécessaires, qui sera complétée ensuite par d’autres demandes pour aboutir à un contrôle sur place du 16 au 18 mars 2010 ».

Le Tribunal a précisé que l’absence de certaines données de commercialisation, le retard pris par la société PIP dans la transmission des informations commerciales, l’absence de remontées de la part de l’organisme certificateur ou encore la dissimulation intentionnelle du produit par les dirigeants de la société PIP, n’étaient pas suffisantes pour exonérer l’Etat de sa responsabilité en l’espèce.

Le Tribunal a jugé ainsi que la responsabilité pour carence fautive de l’Etat est engagée entre avril 2009 et le 18 décembre 2009.

Concernant des préjudices invoqués par la victime, le Tribunal a estimé qu’ils résultaient directement de l’implantation de ses prothèses mammaires PIP le 13 janvier 2010 et de leur explantation et remplacement en 2012, « après qu’elle ait pris connaissance de la décision du 29 mars 2010 de l’AFSSAPS qui, médiatisée, a révélé l’utilisation frauduleuse, par la société Poly Implant Prothèse (PIP), d’un gel de silicone différent de celui ayant permis l’obtention d’un certificat de conformité pour les prothèses mammaires qu’elle commercialisait, ainsi que les risques de rupture associés ».

En conséquence, l’Etat a été condamné à indemniser la victime en réparation de ses préjudices résultant de la carence fautive de celui-ci (déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice moral).

2) Sur les prérogatives distinctes de l’AFSSAPS et du certificateur TUV.

a) Les prérogatives de l’AFSSAPS.

En matière de gestion des risques, les articles L. 5312-1 et suivants du Code de la santé publique prévoient deux types d’obligation à la charge de l’agence nationale [1] :

- La première est une obligation d’action, qui peut aller jusqu’à la suspension ou le retrait de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du produit (prothèses) en cas de nocivité fortement suspectée ou avérée du produit ou de décalage entre la composition réelle et la composition déclarée ou encore de non-respect des obligations et conditions imposées au titulaire de l’AMM. 

- La seconde est un devoir d’information active : le déclenchement des pouvoirs d’action dépend de l’état des connaissances dont dispose l’autorité sanitaire sur les risques, bénéfices et composition des prothèses à un instant. Il appartient à l’Administration de se tenir informée, de vérifier les informations émanant des laboratoires et de se donner les moyens de générer elle-même l’expertise visant à enrichir l’état des savoirs.

L’article L. 5311-2 du Code de la santé publique précise que :

« En vue de l’accomplissement de ses missions, l’agence  : […]

Procède ou fait procéder à toute expertise et à tout contrôle technique relatifs aux produits et objets mentionnés à l’article L. 5311-1, aux substances entrant dans leur composition […]

Recueille les données scientifiques et techniques nécessaires à l’exercice de ses missions ; […] elle évalue les informations qu’elle recueille dans le cadre des systèmes de vigilance qu’elle met en œuvre sur les produits mentionnés au II de l’article L. 5311-1 […] et prend, en la matière, dans son champ de compétence, toute mesure utile pour préserver la santé publique  ».

La matériovigilance - pilotée en France par l’AFSSAPS (devenue l’ANSM) - a pour objet la surveillance des incidents ou des risques d’incidents résultant de l’utilisation des dispositifs médicaux après leur mise sur le marché et pour finalité « d’éviter que ne se (re)produisent des incidents et risques d’incidents graves mettant en cause des dispositifs médicaux, en prenant les mesures préventives et / ou correctives appropriées » [2].

En conséquence, l’ANSM était garante de la surveillance des prothèses mammaires PIP après leur commercialisation et avait seule compétence sur les prothèses elles-mêmes (évaluation, contrôle, inspection), en vertu des dispositions de l’article L. 5311-2 du Code de la santé publique. L’agence - et non l’organisme certificateur - est tenue de procéder ou de faire procéder à toute expertise et à tout contrôle techniques relatifs aux dispositifs médicaux (prothèses mammaires), aux substances entrant dans leur composition (gel utilisé dans les prothèses mammaires), etc.

De son côté, le contrôle de l’organisme certificateur TUV portait uniquement sur la procédure de fabrication du produit (certificats de conformité de la procédure de fabrication du produit) et non sur le produit lui-même.

b) Les prérogatives de l’organisme certificateur TUV.

L’ « organisme notifié » ou l’ « organisme habilité » (TUV en France) est habilité par une décision du Directeur général de l’AFSSAPS en raison des garanties d’indépendance et de compétence que présente l’organisme en question selon une procédure décrite aux articles R. 5211-54 à R. 5211-58 du Code de la santé publique.

L’organisme certificateur TUV doit assurer les tâches se rapportant aux procédures d’évaluation et de contrôle du dossier de conception du produit (prothèses mammaires ici).

Ce système de contrôle par l’organisme certificateur TUV est qualifié de « minimaliste » par le rapport parlementaire du 6 mars 2019 [3] : « ce travail de l’organisme notifié ne saurait être assimilé à un contrôle scientifique mais davantage, comme cela a souvent été rappelé lors des auditions, à une « évaluation d’évaluation » ou plus exactement à une « évaluation d’autoévaluation » : c’est en effet à l’entreprise que revient le soin de définir des conditions de fabrication et d’évaluation de son produit, qui sont auditées et certifiées par l’organisme notifié au regard des normes contenues dans le droit européen. ».

Outre le fait que l’organisme TUV était choisi et financé par la société PIP (le fabricant), ce qui pose la question de l’indépendance de l’organisme, et nonobstant le fait que les rapports annuels du TUV n’étaient pas transmis à l’ANSM - ce que l’agence a admis en cours de procédure - le contrôle de TUV se bornait à contrôler la documentation fournie par PIP.

De même, selon le rapport d’information du Sénat du 10 juillet 2012 [4] :

«  pour obtenir la certification de ses prothèses, PIP avait choisi la voie de la documentation plutôt que de l’examen du produit type. Au sens des directives européennes, ces deux procédures sont considérées comme équivalentes. Si le fabricant choisit le processus de documentation, il a toute latitude pour réaliser les contrôles de qualité lui-même. Il transmet ensuite le résultat de ces derniers à l’organisme notifié, qui les vérifie sur papier.

Interrogés par les membres de la mission, les représentants des organismes notifiés allemands ont expliqué que, si le producteur décide de recourir à la documentation l’organisme notifié ne peut travailler que sur le dossier qui lui est fourni, tant que la documentation est conforme aux exigences de production dudit produit. La possibilité de recourir à la demande d’échantillons est une exception. Il faut, pour y avoir recours, des indications montrant que des problèmes existent sur le produit contrôlé ».

Par un arrêt du 16 février 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que (Arrêt de la CJUE du 16 février 2017, Elisabeth Schmitt / TÜV Rheinland LGA Products GmbH, C-219/15) :

« selon cette directive [93/42 relative aux dispositifs médicaux], un organisme notifié qui, tel le TÜV, intervient dans le cadre de la procédure relative à la déclaration CE de conformité n’est pas tenu de manière générale d’effectuer des inspections inopinées, de contrôler les dispositifs et/ou d’examiner les documents commerciaux du fabricant. [..] ».

En conséquence, le contrôle de l’organisme certificateur TUV était « minimaliste » (examen de la documentation fournie par PIP) et étranger au produit lui-même (prothèses mammaires).

Toutefois, les juridictions françaises sont toujours saisies de la responsabilité de TUV.

En effet, postérieurement à l’arrêt de la CJUE du 16 février 2017 ci-dessus rappelé, la Cour de Cassation a jugé qu’il appartient au juge national saisi de « rechercher, si un examen de la comptabilité matière de la société PIP, que la société TRLP avait déclaré vérifier au cours de sa mission de surveillance, ne lui aurait pas permis de constater que les quantités de gel de silicone de marque Nusil acquises par la société PIP étaient manifestement sans rapport avec le nombre d’implants mammaires vendus » [5].

Aucune décision définitive n’a encore été rendue par les juridictions civiles françaises sur la responsabilité civile de TUV.

3) En conclusion.

Par un jugement du 9 mai 2019, le Tribunal Administratif d’Orléans a condamné l’Etat à indemniser une victime des prothèses mammaires PIP pour carence fautive dans l’exercice de sa mission de contrôle de police sanitaire des activités de la société PIP entre avril 2009 et décembre 2009.

Au regard des prérogatives distinctes de l’organisme certificateur TUV et de l’AFSSAPS ainsi que des premières jurisprudences rendues par la juridiction administrative, il apparaît que les victimes des prothèses mammaires PIP pouvaient dès le départ, rechercher la responsabilité de l’Etat pour carence fautive devant le Juge Administratif.

D’après plusieurs éléments dans ce dossier, il est possible de soutenir que l’AFSSAPS aurait dû agir dès le 18 avril 2001, date de levée de la suspension de mise en circulation des prothèses mammaires PIP (au regard du passif de la société PIP, de la fraude rudimentaire de la société PIP, de la matériovigilance inquiétante, etc.).

Se pose également la question de savoir si les autres victimes, qui n’ont pas encore engagé de procédure en responsabilité contre l’Etat, pourraient entreprendre aujourd’hui ce type d’action.

Cette question fera l’objet d’un autre article.

Me PION - Me JERVOLINO - Me BAYLOT - Me MORABITO
Cabinet GOBERT ET ASSOCIES
Avocats Associés
www.gobert-associes.fr
Tel : 04 91 54 73 51

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Notes de l'article:

[1Conclusions du rapporteur public, CE, 9 novembre 2016, n° 393902, 393926

[3Rapport d’information à l’Assemblée Nationale du 6 mars 2019, page 23.

[4Rapport d’information au Sénat du 10 juillet 2012, p. 10.

[5Cour de cassation, 1ère chambre civile, 10 octobre 2018, n° 15-26.093.

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