[Point de vue] Accident de la route non responsable : mieux se défendre face à l’assurance.

Par Joëlle Marteau-Péretié, Avocate.

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C’est une donnée couramment admise : près de 90% des victimes d’accidents corporels non responsables acceptent sans hésiter l’offre d’indemnisation qui leur est tendue par la compagnie d’assurance à l’issue de leur expertise.

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Il apparaît en effet naturel à toute victime de la route, particulièrement si elle n’est en rien responsable de ce qui lui arrive, de se fier sans hésitation à l’assureur, celui-ci étant spontanément perçu comme un allié logique.

Pourtant, la plus grande prudence est de mise. Les intérêts économiques de la compagnie d’assurance pèsent lourdement sur le processus d’indemnisation des victimes, et bien évidemment sur les montants qui leur sont alloués en guise de dommages et intérêts.

Il est ici essentiel de rappeler qu’il existe des lois (très protectrices), des défenseurs professionnels, des stratégies propices à l’amélioration du sort des victimes. Voici ce qu’il convient de retenir s’agissant de la très déterminante question de l’indemnisation des accidents de la route non responsables.

Qu’est-ce qu’un accident de la circulation (non responsable) ?

L’accident de la circulation correspond à tout accident survenant sur la voie publique (AVP) et entraînant des dommages matériels et/ou physiques. Toutefois la législation française impose de distinguer les accidents relevant du périmètre d’application de la célèbre loi Badinter de 1985 et les accidents relevant du droit commun.

Explication.

En Juillet 1985, une loi particulièrement décisive pour le sort des victimes d’accidents de la route fut votée à l’initiative de Robert Badinter. Elle avait pour finalités explicites d’accélérer et de faciliter le processus d’indemnisation des victimes d’accident de la route non responsable [1]. Cette loi mettait un terme aux aléas indemnitaires dont pâtissaient jusque là les victimes d’accident de la circulation. Dans de nombreux cas en effet, il suffisait que le conducteur responsable de l’accident puisse invoquer un cas de force majeur ou un événement imprévisible pour pouvoir se défausser de toute responsabilité. La victime se retrouvait alors privée de son droit à réparation.

Dans un renversement de logique, Robert Badinter voulut mettre en avant les préjudices de la victime et ne pas conditionner la réparation de ses préjudices corporels à des critères d’exonération aléatoires.

Il fallut néanmoins préciser les critères d’éligibilité à l’application de cette nouvelle loi particulièrement protectrice à l’endroit des victimes.

Les accidents relevant de la Loi Badinter.

La loi Badinter s’applique aussi bien aux conducteurs non responsables de l’accident, qu’aux passagers, aux piétons, aux cyclistes ou à tout usager de la route ayant été blessé du fait d’un véhicule terrestre à moteur.

Pour faire simple, 3 critères sont retenus pour pouvoir bénéficier des dispositions protectrices de la loi Badinter :
- L’accident doit être non intentionnel. Cela exclut donc les tentatives de suicide ou d’homicide volontaire ;
- L’accident doit avoir lieu sur une voie de circulation (publique ou privée) ;
- Il doit y avoir implication d’un véhicule terrestre à moteur (VTM) dans l’accident.

Si l’accident répond à ces 3 critères, la victime d’accident corporel devra être intégralement indemnisée de l’ensemble de ses préjudices, qu’ils soient corporels ou psychologiques, que l’indemnisation soit prise en charge par une compagnie d’assurance du responsable ou, en l’absence d’assureur, par le fonds de garanti des assurances automobiles (FGAO).

Les apports de la loi Badinter au profit des victimes sont considérables et permettent à l’accidenté de défendre au mieux ses intérêts économiques face à un assureur tenté lui de l’indemniser a minima...

Les apports de la loi Badinter pour les victimes d’accident de la route.

Il est possible de les résumer comme suit :
- La victime doit être informée par l’assureur de l’ensemble de ses droits [2] : notamment de son droit à être représentée par un avocat et un médecin de son choix ;
- La loi impose des délais légaux à respecter en matière de réparation, notamment le délai de 8 mois à compter de l’accident pour que l’assurance fasse sa première offre d’indemnisation en direction de la victime ;
- Il appartient à l’assurance de prendre en charge financièrement l’expertise des dommages ;
- La victime et ses proches doivent voir l’ensemble de leurs préjudices indemnisés : c’est le principe de la réparation intégrale ;
- L’indemnisation doit être 100% individualisée : pas de forfait, pas de barème, pas de tableau d’indemnisation [3] qui vaille... ;
- L’assurance prend en charge les frais de médecin de victimes : c’est le médecin dit « de recours » vers lequel la victime est susceptible de se tourner pour « se défendre » face au médecin-expert de la compagnie d’assurance en charge de son examen médical.

Qu’en est-il de l’accident de la route non responsable ne relevant pas de la loi Badinter ?

Quand l’accident de la circulation n’implique aucun véhicule terrestre à moteur ou ne répond tout simplement pas aux critères d’application de la loi Badinter, dans le cas, par exemple, où un cycliste blesse un piéton, alors c’est la responsabilité civile (c’est-à-dire le droit commun) qui s’applique.

La victime va devoir entrer en contact avec la compagnie d’assurance responsabilité civile du responsable pour apporter la preuve de la réalité de son accident.

Contrairement aux dispositions de la loi Badinter :
- Il n’est pas d’obligation d’information de la part de l’assurance en direction de la victime ;
- L’assurance organisera à ses frais l’expertise médicale mais le recours à un médecin de victime sera dans ce cas à la charge de la victime ;
- Les délais légaux d’indemnisation prévus par la loi Badinter ne s’appliquent pas.

En résumé : l’indemnisation est nettement moins sécurisée, car moins encadrée juridiquement.

Les pratiques délétères communes des compagnies d’assurances à l’encontre des victimes.

Malgré la loi Badinter et les garde fous qu’elle confère, les compagnies d’assurance persistent à ruser et à contrevenir aux droits et aux intérêts des victimes qu’elles ont vocation à protéger. Les incuries sont nombreuses et toutes les pratiques semblent permises pour pousser la victime à se décourager et à accepter sans broncher la volonté unilatérale et les conditions défavorables de l’assureur.

Les exemples de manquements ne manquent pas. Voici les principaux :

Défaut d’information.

Il demeure fréquent que l’assureur omette d’informer la victime sur son droit à être défendue par un avocat en droit du dommage corporel ainsi que par un médecin-conseil (non lié à l’assurance) dont la fonction sera de veiller à la reconnaissance de l’ensemble des préjudices, tels qu’ils sont récapitulés dans la célèbre nomenclature Dintilhac [4].

Souvent, il est même spécifié à la victime qu’elle devra payer de sa poche les frais du médecin de victime indépendant alors que l’assurance a obligation légale de couvrir intégralement les honoraires de ce défenseur.

Solution pour la victime : Ce défaut d’information peut entraîner la nullité de la transaction, même a posteriori.

Le conseil d’un avocat va permettre de parer à ses manquements d’information de l’assurance. Il est là pour veiller au respect des droits de la victime.

Mauvaise organisation de l’expertise médicale.

Tous les avocats en attestent : Systématiquement, la compagnie d’assurance néglige d’informer son expert en charge de l’examen médical de la victime de la présence de son avocat et de son médecin-conseil. Cela ne manque pas de semer la confusion et parfois la discorde entre ces professionnels pourtant destinés à collaborer dans l’intérêt de la victime... L’assurance par ailleurs n’adresse jamais comme elle le devrait son rapport d’expertise au médecin de victime (ni davantage à la victime elle-même) pour validation essayant ainsi d’écarter de possibles objections du ou des défenseurs de la victime. L’assurance invoque même parfois « le secret médical » pour justifier ce défaut d’information...

Solution pour la victime : Même remède ! S’entourer d’un avocat et d’un médecin-conseil opiniâtres et méthodiques ne négligeant aucun détail de la procédure, et au fait de tous les droits de la victime.

Consolidation prématurée.

Il existe une tentation de la part de l’assurance d’établir prématurément la consolidation de la victime d’accident, dans le but de limiter la prise en compte de toutes les conséquences tardives des blessures : conséquences professionnelles (inaptitude avec perte d’emploi, par exemple), frais de santé tardifs, frais de logement ou de véhicule adaptés, etc... La logique économique commande ici, au détriment des victimes.

Solution pour la victime : Le médecin de victime est en mesure de décider de la date effective de la consolidation, c’est-à-dire de la stabilisation des blessures. L’avocat en droit du dommage corporel veillera lui à ce que le médecin expert ne conteste pas, comme c’est souvent le cas, un possible avis d’inaptitude de la médecine du travail.

Minoration ou exclusion systématique des préjudices de la part des assureurs.

Plus l’accident est grave, plus l’assurance aura tendance à minorer ses conséquences de sorte à indemniser la victime au moindre coût. Il existe une trentaine de préjudices possibles répertoriés dans la nomenclature Dintilhac :
- préjudices économiques (perte de gains professionnels, frais de santé, frais de logement et de véhicules, aide en tierces personnes, frais divers, incidence professionnelle...),
- préjudices non économiques (souffrances endurées, déficit fonctionnel temporaire ou permanent, préjudice sexuel, préjudice d’établissement, préjudice d’agrément, préjudice esthétique, etc...).

Nombre d’entre eux seront immanquablement sous-estimés ou tout simplement éludés tant par le rapport d’expertise que par la compagnie d’assurance, dans un souci cynique et bien compris d’économie..

Solutions pour la victime : Refuser systématiquement la première offre d’indemnisation de l’assureur, celle-ci étant immanquablement sous-estimée ! Entrer en négociation. S’appuyer pour ce faire sur la bonne application de la nomenclature Dintilhac, outil de classification consensuel répertoriant la trentaine de préjudices susceptibles d’être indemnisés. L’avocat et le médecin de victime vont veiller à ce que toutes les cotations pour chaque poste de préjudice soient motivées et rigoureusement argumentées.

Un rapport d’expertise peut toujours être contesté, par l’avocat et/ou le médecin de recours.

En cas de désaccord persistant à l’issue de la négociation, demeure l’option de porter l’affaire en justice, par l’entremise d’un avocat qui sollicitera une expertise judiciaire. C’est lui qui rédigera la mission de l’expert, mission invitant celui-ci à se prononcer sur les questions sensibles et les points de désaccord.

Inertie globale de l’assurance : pour indemniser le moins possible et le plus tard possible.

Ce que l’on constate en pratique, c’est une forme d’inertie générale de la part de l’assurance tout au long de la procédure d’indemnisation : les interlocuteurs traînent à répondre, ou se révèlent injoignables. Les services administratifs concernés se renvoient tant qu’ils peuvent la balle. Les contretemps sont systématiques. La confusion et la mauvaise volonté règnent à tous les étages. Tout concourt ainsi à favoriser le découragement de la victime désemparée et très souvent épuisée par des démarches rendues volontairement fastidieuses.

Solution pour la victime : Ne pas céder au découragement. Essayer quand cela est possible d’identifier le gestionnaire de son dossier, puis pratiquer le harcèlement : par téléphone, par mail, par courrier... Il peut être du confort de la victime de prendre un avocat qui prendra alors le relais dans ces démarches particulièrement lourdes et dans toutes les communications avec la compagnie d’assurance.

Conserver vis-à-vis de l’assurance une attitude critique sinon méfiante.

On l’a compris, l’inertie de l’assurance dans toutes les étapes de l’indemnisation de la victime ainsi que sa propension à préserver avant tout ses intérêts financiers augurent mal d’une réparation intégrale effective pourtant prévue et encouragée par la loi.

Face à cette nouvelle épreuve qu’est le parcours de l’indemnisation, il est donc souhaitable de ne pas s’en remettre aux seules mains et à la seule volonté de l’assurance.

Le sentiment général restitué par les victimes est celui de la non reconnaissance de leur condition de victime et d’un certain cynisme de la part de l’assureur.

En outre, les pièges tendus à l’accidenté en demande de réparation sont trop nombreux et trop sophistiqués pour qu’il puisse seul les déjouer. Le droit du dommage corporel implique une technicité d’autant plus importante qu’il incombe dans le droit français à la victime de rapporter la preuve de tous ses préjudices.

Au regard de l’importance des enjeux, il est tout simplement raisonnable de s’entourer de spécialistes aguerris, c’est-à-dire du binôme particulièrement efficace que constitue le médecin de victime et l’avocat en Droit du dommage corporel. Leur intervention au service de la victime dans 100% des cas se révèlera significativement rentable au plan économique autant que sécurisante pour elle et son entourage au plan psychologique.

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