Accident médical non fautif : quelles sont les conditions d’indemnisation par l’ONIAM ?

Par Aurore Roussel, Avocat.

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Explorer : # indemnisation # accident médical # anormalité du dommage # gravité du dommage

Quelles sont les conditions de prise en charge par la solidarité nationale des préjudices imputables à la survenue d’un accident médical non fautif ?

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Il résulte des dispositions combinées des articles L1142-1 II et D1142-1 du Code de la Santé Publique que l’ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant d’un accident médical directement imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, à la double condition qu’ils présentent un caractère d’anormalité au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de cet état et qu’ils excèdent un seuil de gravité fixé par décret.

a- Anormalité du dommage.

La condition d’anormalité du dommage prévue aux termes des dispositions précitées est acquise dans les deux hypothèses suivantes :
- Soit lorsque l’acte médical a entrainé des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ;
- Soit si dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

En d’autres termes, la comparaison entre l’état actuel du patient et celui qui aurait été le sien en l’absence d’intervention chirurgicale constitue l’approche de principe pour apprécier la condition d’anormalité du dommage et la prise en compte des risques encourus constitue l’approche subsidiaire.

L’anormalité du dommage est donc subordonnée à 2 critères alternatifs, rappelés de façon constante par les juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif :

- Conseil d’Etat, 4ème et 5ème Chambres réunies, arrêt du 12 décembre 2014, n°355052.

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mr B, qui souffrait d’une hernie discale cervicale C4-C5 entrainant des douleurs, un déficit modéré du bras droit et une gêne à la marche, s’est trouvé, à son réveil de l’intervention chirurgicale pratiquée afin de réduire cette hernie, atteint d’un déficit moteur des quatre membres, entrainant une incapacité permanente d’un taux évalué par l’Expert à 60% ; qu’après avoir relevé que la gravité du handicap était sans commune mesure avec celle de l’état initial de l’intéressé et que, selon l’Expert, il n’existait pratiquement aucun risque, en l’absence d’intervention, de voir la hernie discale cervicale C4/C5 évoluer vers une tétraparésie, la cour administrative d’appel a exactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que la condition d’anormalité prévue au II de l’article L1142-1 du Code de la Santé Publique était remplie ; que, dès lors qu’il retenait à bon droit que la gravité de l’état du patient tel qu’il résultait de l’intervention était sans commune mesure avec celle de l’état qui aurait été le sien si elle n’avait pas été pratiquée, la cour d’Appel n’a pas commis d’erreur de droit en estimant qu’il n’y avait pas lieu, pour se prononcer sur l’anormalité du dommage, de prendre en considération la fréquence du risque de complication lié au geste médical en cause ».

- Cour d’Appel de Douai, 3ème Chambre, arrêt du 21 novembre 2019, n°18/04693.

« Il en résulte que la survenue des incidences d’une ventilation au masque difficile et la survenance d’une intubation difficile non prévue au décours de la procédure d’anesthésie sont des complications extrêmement rares, de l’ordre de 0,07% à 0,09%, voire 1,4% pour les incidences de la ventilation au masque difficile, et de l’ordre de 1% pour l’intubation difficile non prévue.
Cette faible fréquence, d’une part, de survenue des incidences d’une ventilation au masque difficile et, d’autre part, de survenue d’une intubation difficile démontre l’existence du dommage anormal subi pour Fernand B au regard de son état de santé et de l’évolution prévisible de cet état, de sorte que c’est à la solidarité nationale de prendre en charge les conséquences de cet acte médical non fautif, étant au surplus remarqué que l’acte d’anesthésie a eu des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles Fernand B était exposé par sa pathologie dentaire, à savoir un état neurovégétatif ayant conduit à un arrêt thérapeutique de soins et en conséquence à son décès.
La réparation des préjudices subis par Fernand B et par ses ayants droit, à la suite de l’accident médical non fautif du 12 septembre 2013 sera donc prise en charge par la solidarité nationale, étant observé que l’ONIAM ne conteste plus en cause d’appel le droit à indemnisation de B
 ».

La condition d’anormalité du dommage est considérée remplie nonobstant le fait que l’évolution de la pathologie initiale de la victime donnera lieu un jour à des troubles identiques à ceux dont elle souffre en raison de la survenue de l’accident médical non fautif.

- Conseil d’Etat, 5ème et 6ème Chambres Réunies, arrêt du 13 novembre 2020, n°427750.

« En premier lieu, en estimant, ainsi qu’il résulte des termes même de son arrêt, que la radiothérapie pratiquée le 18 octobre 2015 avait, en entrainant de manière immédiate une surdité totale de l’oreille droite, une paralysie de la face ainsi que divers troubles de la sensibilité, du goût, de l’odorat et de la déglutition, compte tenu du jeune âge de Mr B, de son état de santé antérieur et de ce que les neurinomes du type de celui dont il était atteint sont d’évolution lente chez les sujets jeunes, entrainé une survenue prématurée des troubles en question, la cour n’a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumises.
En en déduisant que, eu égard à cette survenue prématurée, les conséquences de l’intervention devaient être regardées comme notablement plus graves que les troubles auxquels Mr B était exposé de manière suffisamment probable, alors même qu’il aurait été exposé à long terme à des troubles identiques par l’évolution prévisible de sa pathologie et que, par suite, la condition d’anormalité justifiant leur réparation par la solidarité nationale était remplie, la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n’a pas commis d’erreur de droit.
En deuxième lieu, si l’ONIAM soutient, à titre subsidiaire, que la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit en le condamnant à indemniser des troubles au-delà de la date à laquelle ceux-ci auraient, en l’absence d’intervention, naturellement résulté de l’évolution prévisible de la pathologie, il résulte des dispositions rappelées ci-dessus de l’article L1142-1 du Code de la Santé Publique que celles-ci font obstacle, en l’absence de certitude quant au terme auquel ces troubles seraient apparus en l’absence d’accident, à ce que leur réparation par la solidarité nationale soit limitée jusqu’à une telle échéance
 ».

Afin d’apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entrainé le dommage, la jurisprudence considère que doit être prise en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage entrainant une invalidité grave ou un décès.

- Conseil d’Etat, Chambres Réunies, arrêt du 15 octobre 2018, n°409585.

« Considérant que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entrainé le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un évènement du même type que celui qui a causé le dommage et entrainant une invalidité grave ou un décès ; que pour juger que la survenance du dommage subi par Mr A ne présentait pas une probabilité faible, la cour Administrative d’Appel s’est fondée sur la circonstance que l’intéressé se trouvait exposé, compte tenu de l’intervention chirurgicale pratiquée, à un risque d’hémorragie présentant une probabilité de 20% ; qu’en se fondant sur la probabilité générale de subir une hémorragie lors d’une telle intervention, au lieu de se fonder sur le risque de survenue d’une hémorragie entrainant une invalidité grave ou un décès, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé ».

b- Gravité du dommage.

Aux termes des dispositions des articles L1142-1 et D1142-1 du Code de la Santé Publique, les dommages résultant d’accidents médicaux ouvrent droit à réparation par la solidarité nationale lorsqu’ils présentent un caractère de gravité suffisant.

Le caractère de gravité est soumis aux critères alternatifs suivants :
- Taux de déficit fonctionnel permanent supérieur à 24% ou décès ;
- Incapacité temporaire de travail au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois ;
- Victime déclarée définitivement inapte à exercer l’activité professionnelle qu’elle exerçait avant la survenue de l’accident médical ;
- Troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans ses conditions d’existence.

Maître Aurore Roussel, Avocat en dommage corporel et responsabilité médicale au Barreau de Nantes
https://www.rousselavocat.com/

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