Les bons comptes font les bons amis ! Nul n’ignore cette citation criante de vérité. La comptabilité en copropriété relève d’un art méticuleux qui ne consiste pas seulement à manipuler les chiffres mais bien à accorder les copropriétaires dans les dépenses du syndicat. Les bons comptes ne sont dès lors plus seulement des comptes sincères et fidèles mais également des comptes acceptés. Leur approbation en assemblée générale est justement l’illustration de cette nécessité d’acquiescement. A contrario, même bien tenus, des comptes mal compris font de bons litiges. Dans les contentieux en recouvrement de charges de copropriété, il n’est pas rare que soit brandi par le copropriétaire défaillant l’argument ultime d’une comptabilité injuste, fallacieuse et mal tenue. Cette prétention est par ailleurs souvent infondée et vaine étant donné l’absence de preuve du débiteur. Toutefois, elle révèle l’incompréhension ou l’obscurité des comptes de la copropriété. Il existe pourtant pour un copropriétaire de nombreux moyens d’examiner lesdits comptes.
Rappelons préalablement le fonctionnement comptable d’une copropriété. En vertu de l’article 18 de la Loi du 10 juillet 1965, le syndic est chargé de « la gestion comptable et financière du syndicat ». A ce titre, il lui incombe de nombreuses missions partant de l’ouverture d’un compte bancaire séparé (Loi Alur du 24 mars 2015), de l’établissement d’un budget prévisionnel, jusqu’au paiement des prestataires et des salariés de la copropriété (comme le gardien par exemple). Le syndic, qu’il soit professionnel ou non, est responsable d’une mauvaise gestion comptable en sa qualité de mandataire du syndicat. De ce fait, la plus grande attention doit être portée par le gestionnaire de l’immeuble qui aura tout intérêt à se faire assister par un comptable s’il est bénévole.
Toutefois, ce dernier n’est pas seul. L’article 21 de la Loi du 10 juillet 1965 précise que « dans tout syndicat de copropriétaires, un conseil syndical assiste le syndic et contrôle sa gestion ». Cet aspect est primordial. Cela signifie que la tenue des comptes ne dépend pas que du syndic mais également du contrôle et du suivi par les membres du conseil syndical. Ces derniers peuvent et doivent consulter régulièrement les documents comptables établis par le syndic afin d’en présenter la teneur aux copropriétaires lors de l’assemblée générale annuelle. La consultation peut se faire à tout moment et, même si les pièces comptables ont été simplifiées et clarifiées ces dernières années, notamment avec la Loi SRU du 13 décembre 2000, les membres du conseil syndical ont la possibilité de se faire assister par toute personne de leur choix [1]. Il est donc conseillé d’opérer un examen à chaque fin de trimestre afin de faire le bilan des dépenses du syndicat.
Ce double processus et le contrôle par le conseil syndical n’est néanmoins pas tout le temps suffisant. Lorsqu’une situation de blocage apparaît, il n’est pas rare que des inimitiés entre le copropriétaire mis en cause et le syndic et/ou les membres du conseil syndical conduise à contester la sincérité des comptes. Trop souvent, le copropriétaire acculé se braque et refuse de payer ses charges. Cette réponse est évidemment contre-productive et conduit inévitablement à un contentieux dont l’issue sera une condamnation pure et simple de ce dernier, sans accès aux comptes et sans explication. Alors, le conseil serait plutôt de regarder quels sont les outils d’accès aux comptes pour un copropriétaire, à titre individuel.
I. Un droit d’information : l’examen de la situation comptable individuelle.
En copropriété, les règles d’information sont strictes et ont été depuis longtemps encadrées. Pour exemple, les délais de convocation puis de notification d’une assemblée générale sont extrêmement rigoureux et ne souffrent que de très rares exceptions. Une erreur dans ces délais peut entraîner à coup sûr une annulation intégrale de l’assemblée générale. Pour la comptabilité, la règle est simple : les fonds ne sont exigibles que s’ils ont été notifiés préalablement au copropriétaire. A ce titre, l’article 35-2 du Décret du 17 mars 1967 dispose dès son premier alinéa que
« pour l’exécution du budget prévisionnel, le syndic adresse à chaque copropriétaire, préalablement à la date d’exigibilité déterminée par la loi, un avis indiquant le montant de la provision exigible ».
Le syndic est donc contraint d’adresser a minima chaque trimestre sa situation de compte au copropriétaire, par lettre papier simple ou par courriel électronique si ce dernier l’a expressément accepté [2].
Rappelons en revanche que le syndic, même professionnel, n’a pas l’obligation de suivre les changements d’adresses de chaque copropriétaire et de rechercher son domicile réel. En application de l’article 65 du Décret du 17 mars 1967 : « chaque copropriétaire ou titulaire d’un droit d’usufruit ou de nue-propriété sur un lot ou une fraction de lot notifie au syndic son domicile réel ou élu ainsi que son adresse électronique ». Dès lors, l’argument du copropriétaire débiteur qui se targue de ne pas avoir été destinataire des appels de fonds n’est pas opérant devant la justice si ce dernier ne justifie pas avoir notifié sa bonne adresse au syndic, par lettre recommandée avec accusé de réception.
Cet argument est d’autant moins valable que depuis la Loi Alur du 1er janvier 2015, les syndics ont l’obligation (sauf exemption de l’assemblée générale à la majorité absolue) de mettre en place un extranet sécurisé afin de permettre aux copropriétaires de consulter individuellement leur situation de compte personnelle, ainsi que d’autres documents relatifs à la vie au sein de la copropriété. La liste des documents mis à disposition des copropriétaire a été fixée par le décret du 23 mai 2019 et distingue :
Les documents accessibles seulement par le copropriétaire pour son lot :
- Le compte individuel arrêté après approbation des comptes par l’assemblée générale ;
- Le montant des charges prévu dans le budget prévisionnel et celui des charges hors budget prévisionnel, des deux derniers exercices clôturés et payés par le copropriétaire ;
- Le montant de la part du fonds travaux rattachée au lot, arrêté après approbation des comptes par l’assemblée générale ;
- Les avis d’appels de fonds envoyés durant les trois dernières années.
Les documents accessibles par tous les copropriétaires relatifs à la vie de la copropriété :
- Le règlement de copropriété, l’état descriptif de division et les actes publiés qui y apportent des modifications ;
- La dernière fiche synthétique réalisée par le syndic ;
- Le carnet d’entretien de l’immeuble ;
- Les diagnostics techniques des parties communes de l’immeuble en cours de validité ;
- Les contrats d’assurance de l’immeuble conclus par le syndic au nom du syndicat des copropriétaires en cours de validité ;
- L’ensemble des contrats et marchés en cours conclus par le syndic, excepté les contrats de travail des salariés du syndicat ;
- Les contrats d’entretien et de maintenance des équipements communs en cours de validité ;
- Les procès-verbaux des trois dernières assemblées générales et les devis de travaux qui y ont été acceptés ;
- Le contrat de syndic en cours.
Il existe également une troisième liste réservée cette fois-ci aux seuls membres du conseil syndical.
II. Un droit de regard : la consultation des comptes de la copropriété.
L’information individuelle du copropriétaire sur sa situation de compte est parfois insuffisante. Effectivement, les appels de fonds et autres documents précités dans la liste du décret du 23 mai 2019 ne permettent que d’apprécier la réalité de sa situation personnelle mais pas de connaître l’état global financier de la copropriété.
Elle ne permet pas non plus de connaître l’état des dépenses, les contrats conclus avec les prestataires, les coûts d’entretien…De ce fait, certainement afin d’éviter les situations d’achoppement et conflictuelles, le législateur a créé un droit de consultation propre à chaque copropriétaire, limité dans le temps. Et, l’article 18-1 de la Loi du 10 juillet 1965 de disposer :
« Pendant le délai s’écoulant entre la convocation de l’assemblée générale appelée à connaître des comptes et la tenue de celle-ci, les pièces justificatives des charges de copropriété, notamment les factures, les contrats de fourniture et d’exploitation en cours et leurs avenants, la quantité consommée et le prix unitaire ou forfaitaire de chacune des catégories de charges, ainsi que, le cas échéant, une note d’information sur les modalités de calcul des charges de chauffage, de refroidissement et de production d’eau chaude sanitaire collectifs, sont tenues à la disposition de tous les copropriétaires par le syndic, selon des modalités précisées par décret en Conseil d’Etat ».
Ce qu’il faut comprendre est que la liste de l’article 18-1 est non limitative et le copropriétaire aura un droit de regard sur tous les documents lui permettant de comprendre le montant mais également le calcul de ses charges. Les documents devront être classés par catégories par le syndic et seront consultables au moins pendant un jour ouvré, dans ses locaux et selon les horaires d’ouverture de l’agence.
Un copie des documents pourra être demandée par le copropriétaire, à ses frais [3].
En revanche, le droit de regard du copropriétaire se trouve limité par rapport à celui des membres du conseil syndical. Tout d’abord, la consultation ne peut se faire qu’entre la convocation à l’assemblée générale et sa tenue. Ainsi, si la convocation est faite strictement sous le délai de 21 jours, il ne sera possible de connaitre l’état de la comptabilité que sur cette période, contrairement au conseil syndical qui dispose d’un droit de regard permanent. Ensuite, la consultation n’octroie aucun droit de décision sur la comptabilité de la copropriété et doit rester strictement passive.
Les membres du conseil syndical doivent quant à eux avoir un regard actif et de contrôle sur la tenue de la comptabilité par le syndic et sont amenés à être consulter pour donner des autorisations au gestionnaire de l’immeuble (par exemple sur le choix des entreprises lors des mises en concurrence obligatoires…). Enfin, contrairement au conseil syndical qui peut se faire assister par la personne de son choix dont, notamment, par un comptable, « le copropriétaire ne peut se faire assister que par un membre du conseil syndical » [4].
III. Un droit probatoire : la communication judiciaire des pièces comptables.
En dépit des moyens évoqués, il arrive que l’accès aux compte nécessite une intervention judiciaire. Tout d’abord, il doit être rappelé que tout syndic est tenu de communiquer à son successeur, professionnel ou bénévole, l’intégralité des archives financières de la copropriété. L’article 18-2 de la Loi du 10 juillet 1965 conditionne cette obligation de transmission aux délais suivants :
- Sous quinzaine : « la situation de trésorerie, les références des comptes bancaires du syndicat et les coordonnées de la banque » ;
- Sous un mois : « l’ensemble des documents et archives du syndicat ainsi que, le cas échéant, l’ensemble des documents dématérialisés relatifs à la gestion de l’immeuble ou aux lots gérés mentionnés à l’alinéa 11 du I de l’article 18, dans un format téléchargeable et imprimable » ;
- Sous deux mois : « l’état des comptes des copropriétaires ainsi que celui des comptes du syndicat, après apurement et clôture ».
Le défaut de respect de ces délais peut conduire le nouveau syndic à assigner en référé son prédécesseur pour obtenir une communication sous astreinte.
Ce type de demande, justement sous astreinte, peut également concerner un copropriétaire dans le cadre d’une action individuelle. Si ce dernier se trouve par exemple confronté à une procédure en recouvrement et qu’il ne dispose pas de la possibilité de consulter les comptes, car hors période entre la convocation et la tenue de l’assemblée générale, il peut solliciter du tribunal qu’il condamne le syndicat à produire, sous astreinte, les documents permettant de justifier de la véracité des comptes et de ses demandes pécuniaires au titre de sa créance de charges. De ce fait, le copropriétaire poursuivi pourra par exemple démontrer, à l’appui de ces documents, une erreur de ventilation des charges ou un mauvais calcul des tantièmes. Toutefois, il sera conseillé d’introduire la demande de condamnation sous astreinte avant les poursuites en recouvrement étant donné que le non paiement de ses charges constitue une faute, peu importe que les comptes soient faussés ou non.
Le copropriétaire devra continuer de payer le temps de démonter les irrégularités. Il pourra en revanche solliciter un remboursement du trop-perçu par le syndicat ainsi qu’une indemnité en cas de préjudice.
La dernière hypothèse pour obtenir un accès judiciaire aux comptes consiste à solliciter la désignation d’un expert judiciaire. En effet, l’article 145 du Code de procédure civile permet d’obtenir sa désignation en vue de constituer une preuve avant tout procès. L’avantage de ce procédé sera d’obtenir l’examen par un professionnel de la comptabilité (a priori un expert-comptable), désigné sur la liste de la cour d’appel, impartial et dont la mission sera contradictoire avec les autres parties.
En tout état de cause, il existe plusieurs modalités d’accès aux comptes par un copropriétaire. L’étude du montant de ses charges et, plus généralement, de la comptabilité de la copropriété est dès lors possible à plusieurs moments dans la vie de la copropriété. Il convient enfin de se rappeler que le syndic est élu et que son mandat peut être mis en échec s’il est considéré que la tenue des comptes n’est pas satisfaisante. A contrario, le quitus qui lui est donné doit amener à considérer de son professionnalisme de gestionnaire.
Discussions en cours :
Bonjour, Faisant suite à votre article et à votre affirmation suivante svp :
Pour exemple, les délais de convocation puis de notification d’une assemblée générale sont extrêmement rigoureux et ne souffrent que de très rares exceptions. Une erreur dans ces délais peut entraîner à coup sûr une annulation intégrale de l’assemblée générale.
Je ne trouve pas dans votre article le fondement juridique sur lequel vous vous basez pour faire cette affirmation ?
Pouvez vous svp nous la transmettre ou est ce juste un avis purement personnel de votre part ?
Vous en remerciant par avance et dans l’attente de vous lire,
Cordialement
Pour confirmation Voir Tribunal judiciaire de Troyes 26 janvier 2024. Le syndic et syndicat des copropriétaires n’ont pas fait appel
Bonjour.
J’ai demandé à consulter les comptes de 4 années précédentes à l’année en cours seule visée par la loi.
Le Syndic m’a opposé une fin de non recevoir.
Une expertise judiciaire concernant la toiture est en cours et j’en ai besoin.
Comment faire ?
L’article est excellent mais n’informe pas sur l’accès aux archives d’un copropriétaire qui entend contester son compte de copropriété avant le délai de prescription civile de 5 ans.
Attendu que le syndic doit conserver les archives sur 10 ans ;
Comment accéder aux pièces comptables de son compte de copropriétaire d’un précédent exercice ?
Faut-il obligatoirement passer par un expert judiciaire en cas de refus ?
Sentiments distingués.
Notre syndic pro a été mis en place le 4 juillet 2023 et nous venons de recevoir un appel pour apurement de dettes le 28 avril 2024
Nous avions votés un budget de 110 000€ et il aurait dépensés 136 000€
Sans travaux
À t’il le droit de faire cela sans votes ?
Notre syndic pendant 5 mois a travaillé sans sa carte professionnelle qu a expiré le 13 novembre 2023
Et pendant ce temps il a fait en décembre et fevrier 2 AG
Nous lui avons signifié sa démission à l amiable
Ce qu il refuse il a mis sa carte à jour le 28 mars 2024
Quels sont nos droits ?
Merci
Bonjour,
Merci pour ces informations.
Vous dites : " Ce qu’il faut comprendre est que la liste de l’article 18-1 est non limitative et le copropriétaire aura un droit de regard sur tous les documents lui permettant de comprendre le montant mais également le calcul de ses charges.
[ ] L’étude du montant de ses charges et, plus généralement, de la comptabilité de la copropriété est dès lors possible à plusieurs moments dans la vie de la copropriété."
Un copropriétaire peut-il, durant la période entre la convocation de l’AG et l’AG, consulter le livre journal permettant d’exploiter l’annexe 1 de la comptabilité ?
Cordialement