L’abandon de poste : halte aux idées reçues !

Par Arthur Tourtet, Avocat.

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Explorer : # abandon de poste # absence injustifiée # licenciement # faute grave

Que ce soit de la part des salariés ou des employeurs, l’abandon de poste est un sujet qui fait malheureusement l’objet de beaucoup trop d’idées reçues.

Mieux vaut les combattre, car se faire de fausses opinions en droit du travail est la meilleure manière de finir chômeur (côté salarié) ou condamné par un conseil de prud’hommes (côté employeur).

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L’abandon de poste = différent de l’absence injustifiée ?

À entendre certains, l’abandon de poste serait différent de l’absence injustifiée.

Régulièrement, des salariés absents et licenciés pour un abandon de poste, tentent d’expliquer que leur comportement relèverait de l’absence injustifiée.

De leur point de vue, le motif de licenciement serait donc inexact, privant ce dernier de cause réelle et sérieuse.

Hélas, ce raisonnement a peu de chances de fonctionner.

Il n’existe pas de définition officielle de l’abandon de poste en droit du travail, permettant de rendre cette notion clairement distincte de l’absence injustifiée.

L’abandon de poste peut être défini, comme étant le comportement du salarié qui, sans motif légitime, n’est pas à la disposition de son employeur durant le temps de travail.

Comme un mauvais élève, le salarié n’est pas présent à l’appel du professeur, ou bien quitte l’école avant que ne sonne la cloche.

C’est le principe même de l’absence injustifiée.

L’abandon de poste et l’absence injustifiée sont en réalité des notions synonymes. Cela ne semble pas poser de problèmes d’utiliser les deux expressions pour désigner une même situation [1].

Éventuellement, on pourrait objecter que l’abandon de poste est le moment où commence une absence injustifiée.

Cette précision n’a toutefois aucun intérêt, puisque la jurisprudence estime que l’abandon de poste peut être réitéré, ce qui a pour conséquence que le délai de prescription de deux mois dont dispose l’employeur pour sanctionner, court tant que l’absence se prolonge [2].

Abandon de poste = obligation de licencier ?

L’employeur n’a aucune obligation de licencier un salarié qui ne se présenterait plus à son poste.

L’usage du pouvoir de licencier n’est qu’une faculté.

Même en présence du pire comportement fautif, l’employeur est libre de ne rien faire.

Un salarié qui abandonnerait son poste ne doit donc pas espérer faire l’objet d’un licenciement, notamment pour contourner un refus de l’employeur d’accorder une rupture conventionnelle, afin de percevoir des indemnités de la part de Pôle emploi.

En revanche, suite à un abandon de poste, l’employeur n’a pas à rémunérer le salarié, lequel ne travaille pas [3].

Un abandon de poste peut donc très vite être un piège pour un salarié, lequel va se retrouver sans ressources.

On ne le répètera jamais assez : l’abandon de poste n’est pas la meilleure manière de quitter une entreprise lorsque l’on n’est plus satisfait par son travail.

Abandon de poste = démission ?

La démission est une manifestation de la volonté claire et non équivoque d’un salarié de mettre fin à son contrat de travail.

Il ne doit y avoir aucun doute possible sur le fait que le salarié souhaite ne plus jamais retravailler avec son employeur actuel.

Or, dans le cadre d’un abandon de poste, le salarié n’est tout simplement pas présent à son travail, sans avoir justifié d’un motif valable.

L’employeur n’a aucune certitude quant au motif réel de l’absence et quant à sa durée.

Le salarié pourrait revenir travailler à tout instant.

Un abandon de poste n’est donc pas assimilable à une démission [4].

Si l’employeur ne veut surtout pas que le salarié “déserteur” revienne dans l’entreprise, il devra engager une procédure de licenciement en bonne et due forme.

En revanche, si aucune procédure de licenciement n’a été engagée, le fait de refuser au salarié l’accès à son lieu de travail le jour où ce dernier revient, peut s’analyser en un licenciement verbal, lequel sera forcément sans cause réelle et sérieuse [5].

Abandon de poste = licenciement pour faute grave ?

Dans de nombreux cas, l’abandon de poste justifie facilement le licenciement pour faute grave.

Le salarié doit fournir une prestation de travail aux horaires prévues pour cela. L’employeur doit pouvoir compter sur son salarié, car des absences non prévues peuvent fortement perturber l’organisation de l’entreprise ou même provoquer des situations à risque.

Pour illustration, quitter son poste sans autorisation, même pendant un court instant, peut justifier le licenciement pour faute grave lorsque le salarié exerce des fonctions sensibles en matière de sécurité [6].

Caractérise encore la faute grave, le fait d’abandonner son poste pendant un mois sans justifier de son absence, malgré trois mises en demeure de l’employeur [7].

Est encore justifié par un licenciement pour faute grave, le fait d’abandonner son poste quelques heures en laissant un stagiaire seul sur le lieu de travail [8].

Mais le licenciement pour faute grave, c’est comme les antibiotiques : ce n’est pas automatique.

Avant de sanctionner un salarié, toutes les circonstances entourant son comportement doivent être prises en compte. Une sanction disciplinaire doit toujours être proportionnée.

Plus l’absence sera prolongée et aura des répercussions négatives pour l’entreprise, plus la sanction sera lourde.

Il existe des cas où l’abandon de poste justifie seulement un licenciement pour faute simple, voire une sanction plus légère.

Par exemple, le fait d’abandonner son poste avant la fin du service, alors que le travail était terminé, relève de la faute simple plutôt que de la faute grave [9].

À noter que si le salarié qui a abandonné son poste obéit à une mise en demeure de reprendre le travail, l’employeur ne pourra plus se prévaloir de la faute grave, bien que cela n’empêchera pas ledit salarié de faire l’objet d’une autre sanction [10].

Motif pour s’absenter = pas d’abandon de poste ?

Certains motifs peuvent justifier le fait que le salarié ne soit pas présent à son poste.

Mais pas tous.

Il n’existe pas de définition d’un motif légitime pour s’absenter de son travail.

D’une manière générale, ce sont des motifs graves, imprévus et indépendants de la volonté du salarié qui empêchent ce dernier d’occuper normalement son poste.

Par exemple, n’est pas un motif légitime le fait de s’absenter pour aller jouer au golf [11].

En revanche, le fait de ne pas être à son poste pour des raisons de santé, est un motif légitime d’absence [12].

Il en va de même d’une convocation devant un juge aux affaires familiales [13].

Autre exemple, le simple fait d’être incarcéré, et donc empêché de travailler, n’est en soi un motif de licenciement [14].

À la condition, bien évidemment, que l’employeur soit prévenu le plus rapidement possible du motif de l’absence et que le salarié lui fournisse les justificatifs adéquats.

Par exemple, le fait pour un salarié malade de ne pas transmettre un arrêt de travail à l’employeur afin de justifier de son absence, permet à l’entreprise de sanctionner l’employé pour abandon de poste [15].

À noter que même lorsque le salarié est absent pour un motif légitime, la prolongation ou la répétition des absences peuvent justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse lorsque cette situation perturbe l’entreprise et que le remplacement définitif du salarié est rendu nécessaire. La particularité de ce licenciement est qu’il n’est pas disciplinaire [16].

Il faut encore rajouter que l’exercice normal du droit de grève, ne peut certainement pas être considéré comme étant un abandon de poste pouvant être sanctionné [17].

Abandon de poste = dommages et intérêts pour l’employeur ?

Rien de plus faux.

Si l’abandon de poste est un comportement fautif, l’employeur ne peut pas être dédommagé pour le préjudice subi, sauf si l’attitude du salarié est constitutive d’une faute lourde [18].

Mais la faute lourde est rarement admise par les conseils de prud’hommes, car cette faute suppose une intention du salarié de nuire à l’entreprise, ce qui reste difficile à démontrer.

Arthur Tourtet
Avocat au Barreau du Val d\’Oise

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Notes de l'article:

[1Cour d’appel d’Orléans, 12 avril 2007, n° 06/02977, Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 14 juin 2007, n° 07/10784 ; Cour d’appel de Rennes, 31 janvier 2008, n° 07/02441.

[2Cour d’appel de Lyon, 12 septembre 2014, n° 13/08476 ; Cass. Soc., 14 décembre 2016, n° 15-14.337.

[3Cass. soc. 17 novembre 2010, n° 09-41280.

[4Cass soc., 10 juillet 2002 n° 00-45.566.

[5Cour d’appel de Versailles, 7 oct. 2021, n° 18/04999.

[6Cour d’appel de paris, 20 novembre 2018, n° 16/15090.

[7Cour d’appel de Paris, 20 juin 2007, n° 06/00448.

[8Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 27 avril 2010, n° 09/01239.

[9Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 17 juin 2008, n° 07/06971.

[10Cass soc., 29 février 2012, n° 10-23.183.

[11Cour d’appel de Versailles, 16 oct. 2008, n° 07/03358.

[12Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 14 février 2020, n° 18/03935.

[13Cour d’appel de Caen, 21 septembre 2007, n° 06/03143.

[14Cass. soc., 16 sept. 2009, n° 08-42.816.

[15Cour d’appel de Lyon, 14 déc. 2007, n° 06/04706.

[16Cass. soc.,16 juillet 1998, n° 97-43.484.

[17C. trav., L1132-2.

[18Cass. soc., 2 mars 2011, n° 09-71.000.

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