Violences volontaires commises en France par des notables étrangers : la question de l’immunité diplomatique.

Par Sahand Saber, Avocat.

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Explorer : # immunité diplomatique # violences volontaires # convention de vienne # justice internationale

Nous apprenions le 28 septembre dernier qu’un artisan venu effectuer des travaux dans l’appartement parisien d’une princesse saoudienne avait été retenu pour y être tabassé, ligoté et humilié pendant plusieurs heures, par l’agent de sécurité de la princesse, à la demande de cette dernière. Des poursuites contre la princesse ? Aucune.

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En juin 2014, c’est un jeune Congolais de 14 ans, arrêté pour de multiples agressions sexuelles, qui était relâché par la police après avoir fait valoir l’immunité diplomatique de son père, en poste à l’Ambassade de la République démocratique du Congo à Paris. Dans la foulée, les preuves aussitôt rassemblées après les plaintes des victimes avaient été détruites, et notamment les prélèvement ADN susceptibles de caractériser la matérialité des faits dénoncés.

En 1996, c’est le cas de deux adolescents se baladant sur la promenade du Soleil à Menton, renversés par l’Ambassadeur Ramazani Baya du Zaïre et décédés des suites de leurs blessures, qui avait ému. Le diplomate chauffard n’avait passé que 4 heures au commissariat, de son plein gré, avant que son gouvernement ne le rappelle à Kinshasa. Le gouvernement français avait alors demandé au gouvernement zaïrois la levée de son immunité. Face au tollé, l’Ambassadeur Baya avait fini par démissionner de ses fonctions de diplomate, se déliant ainsi de son immunité, et il fut finalement jugé par le tribunal correctionnel de Nice.

En 2002, la France avait adressé une demande identique auprès des autorités mongoles, après un accident causé dans le nord de la France par un chauffeur de l’Ambassade de Mongolie. Les autorités mongoles avaient accédé à cette demande.

Sans intervention des autorités donc, pas de poursuite judiciaire. Frustration des policiers, indignation des victimes, relai des médias, révolte des citoyens. En cause, l’immunité dont bénéficient les auteurs de ces actes et les raisons qui leur permettent d’en bénéficier. Pourquoi ? et surtout comment ?

Le principe et les effets de l’immunité sont régis par un corpus juridique mince : il ne se limite en effet qu’aux dispositions de la Convention de Vienne de 1961 relative aux relations diplomatiques. Le statut qu’offre ce traité aux agents diplomatiques des États signataires ne suscite aucune critique tant l’impérieuse mission qu’ils ont à accomplir exige qu’ils bénéficient de toutes les garanties utiles. Le préambule de la Convention de Vienne dit à ce sujet que « le but desdits privilèges et immunités est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentant des Etats. »

La question devient en revanche source de débats lorsque cette protection bénéficie aux familles des agents diplomatiques qui ne justifient d’aucune qualité ou n’exercent nulle fonction imposant la jouissance d’un tel statut. Celles-ci peuvent alors se sentir libre de s’affranchir de tout principe, jusqu’à commettre ou ordonner que l’on commette des actes répréhensibles contre qui ils souhaitent, et parfois même contre des citoyens de l’État d’accueil.

Les dispositions qui gouvernent le régime de l’immunité dont bénéficient les membres de la famille d’un agent diplomatique sont celles de l’article 37 de la Convention de Vienne. En son premier paragraphe, lesdites dispositions assurent une immunité aux « membres de la famille de l’agent diplomatique qui font partie de son ménage ». Question donc : que signifient « famille » et « ménage » ?

L’étendue de l’immunité apparait mal définie mais se veut en réalité pragmatique en ce qu’elle a vocation à s’appliquer à tous les pays, et ainsi à toutes les cultures qui entendent les notions de famille et de ménage selon des coutumes, des traditions et des législations qui leur sont propres, en dehors de toute considération liée au mariage ou au lien de filiation. L’immunité est ainsi accordée aux proches des agents diplomatiques qui n’exercent aucune fonction de représentation d’un État. Et quand bien même la Convention de Vienne exige que les membres de la famille vivent en ménage avec l’agent diplomatique en fonction, les faits démontent que certains États montrent peu de rigueur quant au respect de cette condition.

Nombreuses sont les familles issues de certains pays, notamment au Moyen-Orient ou en Afrique, qui bénéficient de l’immunité diplomatique sans qu’elles ne vivent en ménage avec un agent diplomatique de leur pays. Et comment une telle situation est possible ? Parce que l’octroi de l’immunité est une prérogative de l’État d’origine du bénéficiaire, l’ « Etat accréditant ». Le pays d’accueil, l’ « Etat accréditaire », n’a d’autre choix que de s’y plier.

Une application appropriée des textes de la Convention de Vienne ne devrait pas aboutir à une telle difficulté. Mais s’agissant d’un traité international assurant une immunité de juridiction aux personnes accréditées, aucun recours judiciaire ne peut être engagé devant les tribunaux. Aucun ajustement jurisprudentiel des notions de « famille » et de « ménage », utile pour apprécier l’immunité conférée par l’État accréditant, ne peut être mis en œuvre. Ceci explique comment les personnes accréditées qui se livrent à des actes réprimés par la loi de l’État accréditaire ne peuvent être retenues et doivent être relâchées après vérification de leur statut par les services de police.

La seule solution prévue par la Convention de Vienne est prévue par les dispositions de son article 9 aux termes desquelles l’État accréditaire peut, « à tout moment et sans avoir à motiver sa décision » informer l’État accréditant qu’une personne accréditée est persona non grata (« personne n’étant pas la bienvenue »). Si l’État accréditant refusait d’exécuter la demande de l’État accréditaire, ou s’il ne s’exécutait pas « dans un délai raisonnable » selon la Convention de Vienne, l’État accréditaire serait alors en droit de ne plus reconnaitre dans son immunité la personne accréditée en cause, ouvrant alors la possibilité d’engager à son encontre des poursuites judiciaires.

En dehors de cette possibilité, la solution mise en œuvre, comme dans les cas des chauffards précités, est celle de l’intervention des autorités de l’État accréditaire pour demander la levée de l’immunité des personnes en cause et ainsi permettre l’engagement de poursuites à leur encontre.

La question ne peut donc se régler autrement que d’État à État, avec des États plus enclin à accéder aux demandes de l’État accréditaire, lorsqu’un de leur ressortissant en bénéficiant s’est livré à des actes réprimés par la loi de l’État accréditaire.

Toutefois, s’il existe des conditions préalables à la mise en œuvre de poursuites contre une personne bénéficiant de l’immunité diplomatique, il est utile de préciser que tout ressortissant de l’État accréditaire qui aurait connaissance ou assisterait à des actes de violences commis par une personne accréditée agirait alors dans son propre intérêt en y faisant obstacle, ou à tout le moins en dénonçant les faits aux services de police.

C’est l’exemple des mauvais traitements commis à l’intérieur d’une chambre d’hôtel contre des domestiques accompagnant les notables étrangers accrédités, et dont la direction de l’hôtel aurait connaissance mais n’agirait pas : la personne bénéficiant de l’immunité pourrait librement quitter le territoire national, laissant le personnel de l’hôtel seul pour répondre de non-assistance à personne en danger, un délit passible d’une peine de 5 ans d’emprisonnement de 75.000 euros d’amende.

Face à des faits divers qui scandalisent l’opinion, il serait utile de revoir les conditions d’octroi de l’immunité découlant des dispositions de la Convention de Vienne, afin d’imposer aux États accréditant l’obligation de justifier les décisions d’octroi de l’immunité diplomatique aux proches des agents diplomatiques.

Réciproquement, il conviendrait que l’État accréditaire puisse écarter les effets d’une immunité qui ne serait pas conforme à l’esprit de la Convention de Vienne, notamment pour toutes les infractions commises en dehors de l’exercice normal de la fonction d’agent diplomatique et qui seraient incompatibles avec la mission effectuée par ce dernier.

Sahand Saber
Avocat au Barreau de Paris
s.saber chez hiro-avocats.com
[Mail-&gt ;contact chez saber-avocat.com]

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