Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en octobre 2014 en droit de la saisie immobilière.
Dans cette affaire, le débiteur, qui en l’état de la déchéance du terme n’est plus appelé emprunteur mais bel et bien « débiteur » avec toute la connotation négative juridique et psychologique que cela peut comporter, avait pris soin de contester la procédure de saisie immobilière et avait soulevé grand nombre de moyens de fait et de droit à l’encontre de l’établissement bancaire, ce qui avait amené la banque à solliciter plusieurs renvois pour pouvoir répliquer.
Cela s’explique notamment sur un terrain procédural, puisque dans le cadre spécifique de la procédure de saisie immobilière, le débiteur qui ne soulève pas un moyen de fait ou de droit devant le juge de l’orientation ne peux plus le faire par la suite. En effet, il ne peut plus évoquer de moyen nouveau suite à cette audience d’orientation qui joue un véritable rôle de purge.
L’emprunteur malheureux avait notamment contesté les décomptes établis par l’établissement bancaire qui avait cru bon à la fois solliciter la majoration des intérêts et en même temps tirer avantage de la déchéance du terme.
En effet, la banque avait cru bon majorer l’ensemble de ses intérêts, au visa de l’article L.312-22 du Code la consommation tout en prononçant la déchéance du terme.
Or, cette article précise qu’en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur se réserve la possibilité, selon l’article L.312-22 du Code de la consommation, soit d’appliquer une majoration du taux d’intérêt, dans ce cas le taux d’intérêt est majoré de 3 points à compter de la première échéance restée en souffrance jusqu’à la reprise du cours normal des intérêts contractuels, soit d’exiger le remboursement immédiat du solde du capital restant dû, l’emprunteur étant alors redevable dans certains cas, et selon les contrats de prêt, d’une indemnité de résiliation calculée sur la base des sommes restant dues au titre du capital restant dû, ainsi que des intérêts échus non réglés.
Ainsi, il apparaît évident à la simple lecture de cet article du Code de la consommation, protecteur des consommateurs (est-il besoin de le rappeler) qu’il y a deux choix possibles lesquels ne sont pas cumulables, mais bel et bien alternatifs.
Soit la banque sollicite le remboursement immédiat du solde restant dû, ce qui équivaut à une déchéance du terme, soit les intérêts sont majorés jusqu’à la reprise du cours normal des échéances contractuelles.
Or, dans le cas d’espèce, la banque avait adressé deux décomptes erronés, avait à la fois prononcé la déchéance du terme et avait cru bon, en même temps, solliciter la majoration des intérêts.
L’emprunteur avait fait le choix de contester la déchéance du terme, ce qui permet notamment de remettre en question le caractère exigible de la créance de la banque.
L’emprunteur avait aussi fait le choix de contester le bien-fondé des intérêts majorés de ce prêt.
La question qui pouvait se poser était de savoir si la banque pouvait communiquer un nouveau décompte réactualisé et juste, au besoin, après l’audience d’orientation.
Le débiteur avait naturellement contesté ce double choix de l’établissement bancaire.
Dès lors, de deux choses l’une :
Soit l’établissement bancaire maintenait ses intérêts majorés et par conséquent la déchéance du terme n’était pas prononcée et, dans l’hypothèse où la déchéance du terme n’était pas prononcée, l’exigibilité de la créance n’était pas caractérisée rendant impossible la saisie immobilière du bien immobilier ;
Soit, inversement, la déchéance du terme était valable, mais à moment-là il appartenait à l’établissement bancaire de fournir un décompte juste.
Il est bien évident que dans pareil cas, le décompte avec intérêts majorés était particulièrement faux, et … malvenu.
Cependant, les spécificités du droit de la saisie immobilière qui rappelle qu’erreur ne vaut pas compte, de telle sorte qu’une seule erreur de compte ne peut emporter en tant que telle la nullité de la procédure de la saisie immobilière.
C’était sans compter (c’est le cas de le dire) la défense efficace du conseil de l’emprunteur, qui a émis l’hypothèse suivant laquelle les décomptes seraient complètement erronés parce que leur modalité de calcul en tant que tel serait erronée.
Il ne s’agit donc plus d’une erreur de calcul conjoncturelle, mais bel et bien d’une erreur de calcul structurelle qui peut permettre d’envisager obtenir la nullité de la procédure de saisie immobilière.
L’enjeu de la contestation émise par le débiteur était donc important.
C’était malheureusement sans compter (encore…) les particularités procédurales de cette affaire.
En effet, dans cette procédure, l’affaire avait été renvoyée à plusieurs reprises devant le juge de l’orientation, notamment à des audiences en date du 18 janvier 2013 et du 22 mars 2013.
Or à cette audience du 22 mars 2013, l’affaire avait été évoquée et le juge a mis en délibéré pour une décision à venir au 3 mai 2013.
Cela s’est déroulé ainsi à cette audience où tant le conseil de l’emprunteur que de l’établissement bancaire étaient présents et le conseil de l’emprunteur avait acté que l’affaire avait été mise en délibéré au 3 mai 2013, celui-ci avait d’ailleurs rendu compte en ces termes à son client.
Dès lors, il était clairement acquis que l’affaire était donc en délibéré.
Par conséquent, l’audience d’orientation était passée et devait jouer son rôle de purge.
Toutefois, et contre toute attente, par un curieux concours de circonstances et par une communication de pièces qui a été faite au 2 mai 2013, l’établissement bancaire a pris soin d’adresser de nouvelles écritures au juge et au conseil du débiteur, avec, surtout, un nouveau décompte.
Lequel établissement bancaire était même allé jusqu’à informer le 2 mai 2013 au soir le conseil de l’emprunteur que l’affaire avait été renvoyée au 3 mai 2013 et n’avait pas fait l’objet d’un délibéré.
Le conseil de l’emprunteur souligne notamment qu’aucune correspondance officielle du greffe du juge d’exécution n’a été adressée tant par courrier papier que par message RPVA, qu’il n’y avait eu aucun renvoi à cette audience, et que l’affaire avait bien été mise en délibéré.
Or, il est clairement acquis par la jurisprudence qu’aucune autre argumentation, en fait ou en droit ou tout autre moyen de fait ou de droit, ne peut être évoquée postérieurement à l’audience d’orientation qui s’était donc tenue aux yeux de l’emprunteur le 22 mars 2013,
Par voie de conséquence un dépôt de conclusions postérieur, sans avoir obtenu l’accord des emprunteurs aux fins de réouverture des débats et donc parfaitement irrégulier et irrecevable.
La jurisprudence rappelle notamment, conformément à l’arrêt de la Cour de cassation, 2ème chambre civile de janvier 2013, que :
« Mais attendu que c’est par une exacte application des articles 6 et 12 du décret du 27 juillet 2010, devenu l’article R311-5, R311-11 du Code des procédures civiles et d’exécution que la Cour d’appel a retenu dès lors que le Juge d’exécution n’était pas tenu de relever d’office le déplacement du délai pour assigner, que le moyen invoquant cette cause de caducité du commandement était irrecevable pour avoir été formulé après l’audience d’orientation ».
La même jurisprudence vient consacrer ce principe, 2ème chambre civile, Cour de cassation, mars 2010, dans lequel la Cour rappelle : « attendu qu’à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, sauf disposition contraire, être formée après l’audience d’orientation à moins qu’elle ne porte sur les actes de procédure postérieurs à cette date ».
Dès lors, non seulement l’établissement bancaire ne peut déposer, a postériori, de nouvelles conclusions.
Surtout le Juge se doit de relever d’office l’irrecevabilité des écritures de l’établissement créancier, ce qu’il n’a malheureusement pas fait.
Dès lors, il est bien évident que les écritures rectificatives de l’établissement bancaire fournissant des nouveaux décomptes consistaient en une nouvelle demande, juste cette fois-ci, ne pouvait donc qu’être jugée recevable.
Or, après investigation du conseil des emprunteurs, il est apparu que sur les bordereaux d’audience établis par le juge et son greffier le 22 mars 2013, que du blanco correcteur avait été posé à plusieurs reprises et que le D de « délibéré » avait été transformé en R de « renvoi ».
Ainsi le conseil de l’emprunteur met en exergue que ce correcteur apparaît très nettement sur l’original du rôle et que par conséquent, il y a bel et bien une irrecevabilité procédurale car pour des raisons que l’emprunteur ignore, le juge a décidé de faire une réouverture des débats, en accord avec l’établissement bancaire, sans que pour autant le débiteur saisi en soit avisé et n’ait plus qu’à être mis devant le fait accompli.
Est-il besoin de dire ce qui n’est pas dit ?
L’emprunteur a frappé d’appel cette décision en considérant qu’effectivement la procédure de saisie immobilière étant particulièrement attentatoire au droit de la propriété, et au titre des sacro-saints principes de procédure civile, le contradictoire et la spécificité procédurale du droit de la saisie immobilière devait l’emporter sur une éventuelle pratique visant à réouvrir les débats chaque fois que l’établissement bancaire le sollicite.
Malheureusement, la Cour d’appel ne suit pas l’emprunteur sur cette thèse, qui est à même de malmener le principe d’indépendance et d’impartialité du magistrat, et ce dernier rejette l’argumentation de l’emprunteur.
La Cour reprend l’argumentation suivant laquelle :
« Les emprunteurs exposent que la banque a déposé des conclusions faisant état d’un nouveau décompte postérieurement à l’audience d’orientation qui s’était tenue le 22 mars 2013, indiquant que l’affaire avait été mise en délibéré au 3 mai 2013.
Cependant la Cour considère que l’examen de l’audience du 22 mars 2013 dément cette allégation. Il apparaît en effet que l’affaire a été reportée et non mise en délibérée au 3 mai 2013, sous la mention incident impayé. À cette dernière date, elle a été reportée à nouveau plusieurs fois de loin en loin, au 20 septembre 2013, 6 décembre 2013, 21 février 2014 pour être en dernier lieu retenue à l’audience du 21 mars 2014 et mise en délibéré au 23 mai 2014.
Toutes les conclusions déposées jusqu’à cette dernière date étant donc régulièrement admises, en sorte que le moyen n’est pas fondé et donc est donc écarté ».
Il est regrettable que la Cour ne dénonce pas elle-même cet incident ou cette pratique procédurale, permettant à l’établissement bancaire d’avoir les coudées franches dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière.
En outre, l’emprunteur avait non seulement contesté l’ensemble des intérêts majorés présentés dans le décompte de l’établissement bancaire, mais avaient également sollicité la nullité pour inexactitude du taux effectif global qu’assortissaient les prêts en question.
Là encore, la Cour brille par une sévérité sans faille puisque celle-ci soutient que si plusieurs conclusions ont été prises par l’emprunteur, et circularisées en ce sens, la Cour rappelle que le prêt souscrit date du 2 novembre 2007 et que la prescription quinquennale aurait été acquise au motif pris que les écritures tendant la nullité de la stipulation des intérêts ont été déposées le 7 novembre 2012, soit postérieurement à l’expiration du délai de prescription acquise dès le 2 novembre 2012.
Dès lors, la prescription étant acquise.
Toutefois, c’est omettre que dans le cadre de cette procédure, l’emprunteur avait subodoré des risques de nullité de la procédure de saisie immobilière, et que par là-même l’impossibilité pour lui de voir perdurer sa demande d’annulation de clause de stipulation des intérêts.
Il avait parallèlement à cette procédure engagé une deuxième action au fond, devant le Tribunal de grande instance compétent, pour faire annuler la clause de stipulation des intérêts du prêt, de telle sorte que l’action était bel et bien engagée dans les délais légaux.
Par conséquence, l’action et la contestation émise était parfaitement recevable.
C’est aussi sans compter que les moyens de contestations en défense ne sont pas prescriptibles….
Dès lors, la Cour était parfaitement en mesure de prendre acte de la recevabilité de cette demande aux fins d’annulation de la clause de stipulation des intérêts et de trancher par conséquent cette question importante, tant sur le point juridique que sur le point économique.
Il est bien évident que si le bien doit être vendu, faut-il encore qu’il le soit au juste prix afin que l’emprunteur ne soit pas laminé par des intérêts frais et accessoires importants qui l’empêcheraient de récupérer quelque boni que ce soit sur le prix de vente.
Cette décision est contestable à bien des égards.
Il n’est donc pas toujours aisé d’être emprunteur face à l’établissement bancaire.
Bien au contraire, c’est un véritable parcours du combattant que doit mener l’emprunteur, afin de défendre ses intérêts en soulevant tous les moyens de fait et de droit à leur portée.
Qu’ils se rassurent, ces moyens sont nombreux. Ils doivent les opposer sans faille à l’établissement bancaire, quel qu’il soit.
Cela semble d’autant plus juste que les juges se doivent d’être les gardiens des libertés individuelles et protéger autant, si ce n’est plus, les droits des emprunteurs et des consommateurs que le droit des établissements bancaires.
Il est bien regrettable de constater que bien souvent dans le cadre des contentieux qu’ils engagent, les établissements bancaires sa cantonnent à exiger un paiement de leurs anciens clients (les débiteurs..) sans rendre compte eux-mêmes des nombreuses obligations qui pèsent sur eux (déchéance du terme, obligation d’information, de conseil, de mise en garde, TEG juste, rupture abusive de concours….).