Dans un premier temps le 8 février 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation, après avis de la deuxième chambre civile, a posé la pierre de cette révolution. Dans cet arrêt, la cour a fait tomber la Bastille.
Par cet arrêt, qui a fait l’objet d’une notice de la cour afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté possible, la cour a permis au juge de l’exécution, sinon imposé puisqu’il doit le faire d’office, de se prononcer sur le caractère abusif de la clause de déchéance du terme du contrat de prêt immobilier dont le non remboursement est à l’origine de la procédure de saisie immobilière objet de la saisine du juge de l’exécution.
La Cour de cassation a alors posé une exception, historique, au principe de l’autorité de la chose jugée.
Cette solution a été confirmée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 13 avril 2023.
Dans un second temps, car une révolution se fait en plusieurs temps, la première chambre civile de la Cour de cassation a, dans deux arrêts rendus le 22 mars 2023, considéré abusives toutes clauses de déchéance du terme ne laissant pas au débiteur un délai raisonnable pour régulariser sa situation d’impayés, sanctionnant une clause ne prévoyant aucun délai, et une clause ne laissant qu’un délai de 8 jours.
Enfin, le 19 mai 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré qu’un délai de 15 jours n’était pas raisonnable, déclarant la clause prévoyant ce délai, abusive et réputée non écrite, venant alors décapiter la royauté des contrats de crédits immobiliers commercialisés en France depuis 40 ans.
En effet, la très grande majorité des contrats de crédits immobiliers souscrits par les emprunteurs contiennent ce type de clauses de déchéances du terme, lesquelles sont donc abusives et réputées non écrites.
Il convient de préciser que peu importe que la banque ait ou n’ait pas appliqué la clause en question pour que la clause abusive soit réputée non écrite.
Quelles conséquences ?
Jusqu’à présent, lorsqu’une banque, après un ou plusieurs impayés de l’emprunteur, prononçait la déchéance du terme, le contrat de prêt immobilier étant constaté par un acte authentique établi chez un notaire et ayant force exécutoire, la banque faisait délivrer à l’emprunteur un commandement de payer valant saisie immobilière puis assignait l’emprunteur devant le juge de l’exécution à une procédure d’orientation, laquelle se soldait par une vente du bien immobilier, vente dont le fruit servait à couvrir tout ou partie de la créance de la banque et des frais (importants) de la procédure de saisie.
A présent, comme l’illustre l’arrêt rendu le 5 septembre 2024 par la Cour d’appel de Paris dans un dossier de la BNP Paribas dans lequel la clause de déchéance du terme a été déclarée abusive (délai de 15 jours), la créance de la banque est cantonnée au montant des échéances impayées au moment du prononcé de la déchéance du terme, en l’espèce 1.519,32 euros (la créance de la banque selon le juge de l’exécution en première instance était d’un montant de 135.949,62 euros), et la procédure de saisie immobilière est alors jugée disproportionnée, ce qui justifie l’annulation du commandement de payer valant saisie vente délivré.
L’annulation du commandement de payer valant saisie vente anéantit l’effet interruptif de prescription et, la procédure en cause ayant été assez longue, la banque est à présent hors délai pour agir en paiement contre l’emprunteur.
Cette solution pourrait s’appliquer à un très grand nombre de procédures de saisies immobilières actuellement en cours.
Une autre solution, moins sévère pour la banque, serait envisageable, et consisterait pour la banque à agir non plus dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière mais devant le juge du fond afin de voir prononcer la résolution judiciaire du contrat (la Cour de cassation, dans son avis du 11 juillet 2024, ayant rejeté la possibilité pour la banque de formuler une demande en paiement devant le juge de l’exécution).
Néanmoins, dans ce cas de figure, il faudra dans un premier temps que la banque ait respecté le délai de deux ans pour agir en paiement. Dans un second temps, l’emprunteur aura peut-être eu le temps de régulariser sa situation, ayant disposé d’un délai cette fois raisonnable, ou pourra, en justifiant de sa situation, solliciter auprès du juge un délai de grâce de 24 mois pour rembourser sa dette, le contrat n’étant pas nécessairement résilié.
Cette situation présente l’avantage de laisser une chance à l’emprunteur défaillant de sauver son bien immobilier par la préservation du contrat de prêt immobilier.
La conséquence majeure de cette révolution est que le nombre de ventes de biens immobiliers par adjudication va considérablement diminuer.
En revanche, les sociétés de recouvrement de créances, spécialisées dans le rachat de créances anciennes (du type Eos France, Intrum, 1640 Finance, Iqera, MCS & Associés, Cabot Financial France, Cabot securisation (Europe) Limited, ou encore les fonds communs de titrisations Credinvest, Foncred, Hugo Creance, Absus…) vont être confrontées, eu égard à l’ancienneté des créances constituant leurs portefeuilles respectifs, aux exceptions de forclusion et prescription, véritable coup de massue.