En effet, l’idéal inscrit en règle d’or dans la Constitution du 18 février 2006 de la République démocratique du Congo est de « bâtir au cœur de l’Afrique un État de droit et une Nation puissante et prospère fondée sur une véritable démocratie politique, économique, sociale et culturelle ». Les libertés publiques, en l’espèce la liberté de manifester ou de se réunir pacifiquement en public, sont des droits fondamentaux de l’homme, ils permettent aux citoyens de participer à la vie publique et sont considérés comme primordiaux pour la protection de l’État de droit et de la démocratie.
L’État de droit
L’État de droit s’oppose à un État de police, un État où règne l’arbitraire, le bon vouloir du prince. L’État de droit se définit très simplement comme « la soumission de l’État au droit » [2]. Hans Kelsen définit cette notion comme un « État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée » [3]
L’objectif de l’État de droit consiste à encadrer et à limiter, grâce à un ensemble de normes juridiques hiérarchisées, le pouvoir de l’État.
Les normes juridiques constituent entre elles un ordre cohérent et hiérarchisé : les plus détaillées viennent préciser les plus générales, mais ne peuvent les contredire. Cette organisation hiérarchisée, du sommet vers la base, permet de déterminer le niveau de détail adapté à chaque norme afin d’éviter de tout inscrire dans les normes supérieures. Ainsi, l’ensemble des règles est ordonné et permet d’assurer le respect des droits et libertés des citoyens. En effet, une norme ne peut méconnaître toutes celles qui lui sont supérieures. Ainsi, une décision administrative doit respecter les lois, les traités internationaux et la Constitution [4]
En République démocratique du Congo, la Constitution est au sommet pyramidal des normes juridiques, suivie des accords et traités internationaux dûment ratifiés, des lois, des actes ayants force de loi, des règlements nationaux, des édits, des actes administratives et réglementaires provinciaux puis de la coutume et la jurisprudence. La Constitution est la loi suprême de l’État. Aucune clause d’un traité ou d’un engagement international ne peut lui être contraire, c’est pourquoi, si le gouvernement congolais conclut un traité ou souscrit à un engagement international comportant un élément contraire à la Constitution, le traité, en droit interne, ne pourra produire aucun effet tant que la Constitution n’aura pas été révisée [5]
L’État de droit ne peut être conçu sans une justice indépendante, celle-ci nullement sans une séparation équilibrée des pouvoirs. Une justice indépendante est donc inhérente à un État de droit, l’existence des juridictions indépendantes, compétentes qui appliquent à la fois le principe de légalité, qui découle de l’existence de la hiérarchie des normes, et le principe d’égalité, qui s’oppose à tout traitement différencié des sujets de droit [6].
Le juge doit donc, à ce titre, faire un usage impartial, sincère et correct du droit. Ainsi on attend de lui qu’il n’utilise pas sa fonction d’interprétation, de jugement à des fins politiques. Le juge constitutionnel est le gendarme de l’État de droit, il est observé par le peuple et peut, éventuellement être sanctionné par le peuple. C’est ce qui ressort de la compréhension du prescrit de l’article 64 de la Constitution qui accorde à tout citoyen congolais « le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui exerce le pouvoir en violation de la Constitution ». Il faut un gendarme pour surveiller le gendarme.
Restriction des libertés publiques
Dans plusieurs villes du pays, les mois de mai, juin et septembre 2016 étaient particulièrement mouvementés, marches, villes mortes, meetings, enlèvements et arrestations.
Outils des répressions politiques, l’Agence Nationale des Renseignements (ANR) et la Garde Républicaine (militaires chargés de la sécurité présidentielle) usant souvent des méthodes barbares, semblables à Staatssicherheit [7], respectant des ordres illégaux des dirigeants politiques, pourchassent et arrêtent les militants des droits humains et les opposants au régime en place. L’État de droit supposé, qu’on se le dise, laisse peu à peu place à un État visiblement totalitaire.
Le rapport préliminaire de l’enquête du Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de l’homme (BCNUDH) sur les violations des droits de l’homme lors des manifestations du 19 et 21 septembre 2016 à Kinshasa a documenté 53 personnes tuées dont 7 femmes, 2 enfants et 4 policiers ; 143 personnes blessées et plus de 299 personnes arrêtées illégalement. Selon les informations recueillies dans ce rapport, les principaux auteurs de ces actes attentatoires aux droits humains sont les agents de la Police Nationale congolaise, ainsi que les militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et de la Garde républicaine. Le BCNUDH a constaté « l’usage excessif de la force et la large utilisation d’armes létales lors d’opérations de gestion de foule » [8]
Les violations des droits fondamentaux de l’homme ci-haut inventoriés ont conduit rapidement à la réduction encore plus stricte de l’exercice des droits civils et politiques en République démocratique du Congo : brouillage temporaire des Radio Okapi et Radio et Télévision Belge Francophone (RTBF), coupure totale du signal émetteur de Radio France Internationale (RFI). A Kinshasa, Lubumbashi et autres grandes villes du pays, sans égard à la Constitution, le droit de manifester et de se réunir en public sont simplement interdits.
Une équipe d’experts des droits de l’homme des Nations Unies et de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme congolaises notamment l’Association africaine de Droits de l’Homme (ASADHO) et la Voix des sans-voix (VSV) ont dénoncé cette interdiction et l’ont qualifié, à juste titre d’ailleurs, d’anticonstitutionnelle.
En République démocratique du Congo, la liberté de manifestation ou de réunion publique est prévue et garantie dans la Constitution, l’article 26 proclame clairement que : « la liberté de manifestation est garantie. Toute personne a droit à la liberté d’expression, ce droit implique, poursuit-elle, la liberté d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image » (Article 23).
Le gouvernement congolais a, en sus, ratifié plusieurs traités et accords internationaux relatifs aux Droits humains et aux libertés fondamentales et a intégré ces droits et libertés dans le corpus juridique interne. Ainsi : l’article 20 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme déclare : « toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association ». Le Pacte international relatif aux Droits civils et politiques consacre la liberté d’expression et précise en son article 19 que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Toute personne a droit à la liberté d’expression ».
Pour toutes les manifestations organisées sur les voies publiques ou en plein air, l’article 26 de la Constitution impose aux organisateurs « d’informer par écrit l’autorité administrative compétente ». Aucune autre formalité administrative n’est requise. L’autorité saisie n’autorise, ni n’approuve la tenue de la manifestation publique, elle est simplement informée.
Il va sans dire que l’article 4 du décret-loi n°196 du 29 janvier 1999 qui prévoyait l’autorisation préalable, ne pouvait, depuis la promulgation de la Constitution par le Président de la République, produire d’effets juridiques. Ce, sur base de l’article 221 de la Constitution qui dispose : « pour autant qu’ils ne soient pas contraires à la présente Constitution, les textes législatifs et réglementaires en vigueur restent maintenus jusqu’à leur abrogation ou leur modification ».
La circulaire n°002/2006 du 29 juillet 2006 relative aux réunions et manifestations publiques renchérit que : « les dispositions de la Constitution et de la loi électorale sus évoquées consacrent le principe d’information ou de la déclaration préalable et annulent celui de l’autorisation préalable prévu par le Décret-loi n°196 du 29 janvier 1999 portant réglementation des manifestations et réunions publiques ».
Mais dans la pratique, très souvent, la Constitution est malmenée. L’autorité administrative saisie ignore les dispositions constitutionnelles et préfère, pour des considérations politiques, ne pas appliquer la norme suprême.
Les services des sécurités
Lors des manifestations publiques, au cas où il y a débordements ou troubles graves, la Police intervient pour rétablir l’ordre. Elle peut, de manière exceptionnelle, si elle n’arrive pas à maîtriser les manifestants, faire appel à l’armée.
La Police Nationale congolaise est, aux termes de l’article 182 de la Constitution et de l’article 5 du décret-loi n°002/2002 du 26 janvier 2002, une force chargée de veiller à la sécurité et à la tranquillité publique, de maintenir et de rétablir l’ordre ainsi que de la protection rapprochée de hautes autorités. Mais très souvent, lorsqu’il s’agit de maintenir ou de rétablir l’ordre, singulièrement lors des manifestations ou réunions publiques voire même privées, on constate, aux cotés des agents de la Police Nationale congolaise, une forte présence des agents de la Garde Républicaine et de l’Agence Nationale de Renseignements. Leur présence injustifiée présage des arrestations et détentions illégaux.
Les membres de la Garde Républicaine n’ont pas d’autorité légale pour procéder à des arrestations, mais en réalité ils arrêtent des centaines de personnes, aussi bien des civils que des militaires. Le rapport préliminaire de BCNUDH en fait une démonstration suffisante.
Tout compte fait, les autorités politico-admnistratives congolaises en bafouant les règles substantielles de l’État de droit, idéaux cardinaux de la Constitution du 18 février 2006, ramène la République démocratique du Congo à des années lumière de la démocratie et la rapproche vertigineusement à un État policier.
Il est sans nul doute que la restriction drastique de l’espace politique, la répression brutale des libertés publiques, d’une part et la volonté toujours persistante des partis politiques de l’Opposition et des mouvements citoyens d’exiger, à partir du 19 décembre 2016, le départ du Président Kabila, d’autre part risquent dans un proche avenir de plonger le pays dans un état d‘urgence de fait. Nous invitons, à cet effet, la mouvance présidentielle et le Rassemblement de l’Opposition d’agir en toute responsabilité, le chaos ne profitera à personne.