La police judiciaire à la place du juge d’instruction.

Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.

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Cela devient une habitude redoutable.
En matière de droit pénal des affaires, alors qu’elle se contentait au préalable d’être à son service, la police judiciaire remplace désormais de plus en plus souvent le juge d’instruction.

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Il n’y pas si longtemps que cela toutes les affaires de droit pénal des affaires d’envergure étaient confiées au juges d’instruction à l’issue de la garde à vue policière.

La présence de l’avocat tout au long de la garde à vue [1] ainsi que lors d’une audition libre par la police judiciaire [2] a manifestement contribué à changer les habitudes.

Une garde à vue de 48 heures remplace ainsi dorénavant très régulièrement une instruction qui aurait duré en moyenne une année et demie. Cela coûte moins cher évidemment mais cela se fait assurément aux dépens de l’équilibre de la justice.

Mon client a reçu une convocation par la Police Judiciaire par téléphone.

A son arrivée, le policier le place en garde à vue et, conformément à la loi, l’informe uniquement de « la qualification, la date et le lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ainsi que des motifs mentionnés aux 1° à 6¨° de l’article 62-2 justifiant son placement en garde à vue. »

Je suis appelé quinze minutes plus tard. Je m’entretiens une demi-heure avec lui avant le premier interrogatoire par le policier. Nous pourrons parler à nouveau seuls tous les deux que dans 24 heures.

Mon client a été placé en garde à vue du chef d’abus de bien social et de banqueroute pour les années 2013 et 2014 en qualité de dirigeant de fait.

Dès mon arrivée, le policier en charge du dossier me fait comprendre que l’enquête préliminaire dure depuis de nombreux mois et que mon client est placé en garde à vue en toute fin d’enquête.

Naturellement mon client et moi-même ne connaissons rien des résultats de cette enquête car nous n’avons pas accès au dossier. Les policiers, eux, en revanche maitrisent parfaitement les éléments qu’ils ont pu réunir grâce aux actes qu’ils ont décidés d’accomplir et aux témoignages des personnes qu’ils ont décidé d’interroger.

Dans le cadre de l’enquête préliminaire, préalablement à sa garde à vue, mon client n’a naturellement pas eu son mot à dire. Vivement la saisine du juge d’instruction que mon client ait enfin accès au dossier, puisse formuler des demandes d’actes et apporter tout élément adéquat !

Peine perdue. Le policier m’informe que le procureur lui a laissé entendre qu’un juge d’instruction ne serait pas saisi et qu’un classement sans suite était pour le moins peu probable.

J’assiste à tous les interrogatoires sans connaître le dossier. Bientôt probablement, cet état de fait paraitra être d’un autre temps. Aujourd’hui c’est la réalité de l’avocat en garde à vue.

Bien sûr mon client a le droit de garder le silence mais est-ce son intérêt ? Lui veut montrer son innocence. Il répond à toutes les questions. Pour démontrer que ses réponses correspondent à la réalité, il a besoin de produire de nombreux documents qui sont chez lui, à l’étranger. Il apprend que certaines personnes l’accusent. Il a besoin d’être confronté à ces dernières et que d’autres soient également entendues.

Il a ainsi besoin d’une instruction avant que la décision sur son éventuelle comparution devant un Tribunal correctionnel soit prise. Au bout de 24 heures, la garde à vue est renouvelée. Nous nous entretenons à nouveau une demi-heure.

Mon client est interrogé jusqu’à 2H00 du matin. Toutes les questions paraissent orientées. Je me fais fort de poser les questions qui peuvent amener l’existence de doutes.

J’émets des observations écrites pour faire savoir que mon client désire que soit désigné un juge d’instruction et qu’il souhaite, a minima, avant la fin de l’enquête préliminaire, quelques jours pour pouvoir apporter aux enquêteurs des éléments à décharge.

Peine perdue. Le policier vient d’appeler le procureur. La décision est prise. L’enquête préliminaire est terminée. Mon client ne sortira pas libre à la fin de sa garde à vue. Il passera la nuit au Palais de Justice. Le lendemain matin, il est déféré devant le procureur. La sanction tombe. Il n’y aura pas de juge d’instruction et il comparaitra devant le Tribunal correctionnel dans cinq semaines.

J’assiste le lendemain à l’audience du juge des libertés et de la détention pour qu’il soit statué sur un éventuel contrôle judiciaire. A ma grande surprise, et c’est pour moi une première, le juge des libertés avoue à mon client qu’il ne connait pas le dossier. Pourquoi n’a-t-il pas pris le temps pour cela. ? Il faut dire que nombre de pièces, et celles que nous avions amenées avec mon client en début de garde à vue, ne sont de toutes les façons curieusement pas insérées dans le dossier pénal mais placées sous scellé. Naturellement les scellés ne sont pas amenés au Palais.

La décision tombe. Mon client doit consigner sous trois semaines une somme importante et n’a pas le droit de quitter la France sans autorisation quand bien même il habite là-bas.

Devant le juge des libertés j’avais résumé la situation : le parquet avait voulu que mon client comparaisse à l’audience sous cinq semaines, sans qu’il y ait d’instruction et sans qu’il n’ait eu la possibilité, avant la prise de décision de sa comparution devant une juridiction de jugement, d‘apporter auparavant des éléments à décharge.

Pourquoi un tel acharnement à éviter le contradictoire et le juge d’instruction avant la comparution devant le Tribunal correctionnel ?

Une évidence s’impose. Une garde à vue de 48 heures, sans connaissance du dossier ne saurait remplacer pour une personne gardée à vue les droits d’une personne mise en examen lors d’une instruction judiciaire. Il incombe aux tribunaux d’empêcher cette restriction des droits de la défense en faisant droit à nos demandes de nullité, en relaxant les personnes prévenues dans ce conditions ou en renvoyant l’affaire devant un juge d’instruction.

Jean-Baptiste Rozès

Avocat Associé

OCEAN AVOCATS

www.ocean-avocats.com

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[1loi n°2011-392 du 14 avril 2011

[2loi n° 2014-535 du 27 mai 2014

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Discussions en cours :

  • This development is a nightmare for France and its democracy and its freedom. This is how things work in Germany. The entire procedure from police to state prosecutor to first judge first court appelate court in Germany is to avoid the evaluation by an independent judge. In the name of acceleration and cost reduction German philosophy which is anti freedom arrives in France. Please read my comments here on village justice I need some time to translate this with case studies in French you all will be shocked what is Germany and how France will look like. This French is translated automatically sorry I can’t write in French only read and speak.

    Ce développement est un cauchemar pour la France et sa démocratie et sa liberté. C’est ainsi que les choses fonctionnent en Allemagne. L’ensemble de la procédure, de la police au procureur de l’Etat à la première cour de première instance d’appel de la cour en Allemagne est d’éviter l’évaluation par un juge indépendant. Au nom de l’accélération et de la réduction des coûts, la philosophie allemande anti liberté arrive en France. S’il vous plaît lire mes commentaires ici sur la justice de village J’ai besoin de temps pour traduire cela avec etudes de cas en français vous sera choqué ce qui est l’Allemagne et comment la France ressemblera. Ce français est traduit automatiquement désolé Je ne peux écrire en français que lire et parler.

  • par Koronidou , Le 29 décembre 2015 à 17:59

    Accélérer la procédure de la phase préalable au procès pénal, en contournant l’interrogatoire (juge d’instruction) et le remplaçant par celui de la police judiciaire et la pratique de la garde à vue de 48 heures, ne pourrait avoir lieu sans conséquences perturbantes pour la balance de la justice.

    Et si la raison est, en effet, le raccourcissement du processus, quels sont les actes criminels qui appartiennent à cette catégorie ? Les plus « doux » ou tous ? Et ça amènera progressivement à l’abolition de l’institution de l’interrogatoire (par le juge d’instruction) en assimilant le rôle de ces deux "pratiques" tout en réduisant, d’une part, les coûts économiques de la procédure, mais sans tenir compte, d’autre part, des coûts impliqués par la violation des droits de la personne poursuivie ?

    Plus précisément, étant donné que pendant la phase d’examen (enquête) préliminaire l’accès au dossier est interdit, pour que l’enquête se déroule librement et sans obstacles, c’est quand même la préparation de la défense devant le Tribunal Correctionnel qui s’entrave.
    Ne perdons pas de vue que lorsque la poursuite n’a pas encore dépassé la phase de la procédure d’audition, le Procureur peut modifier l’acte d’accusation en raison de nouvelles données. Évidemment, la possibilité de rassembler de nouveaux éléments s’élimine dans le cas que la phase de l’interrogatoire par le juge d’instruction se contourne.

    Il s’agit, par conséquent, d’une question qui mérite une attention particulière et même une intervention du Législateur pénal français, dans le cas que, comme l’auteur de l’article très justement propose, les Tribunaux ne restreignent ou entravent pas cette tactique.

  • par Kalogeropoulou , Le 7 décembre 2015 à 22:18

    L’ article illustre clairement les problèmes émergents du remplacement –dans la plupart des cas- du juge d’instruction par la police judiciaire, pratique qui influence non seulement la défense de la personne soupçonnée mais aussi le vrai but de l’ instruction, qui est la chasse de la vérité.
    Il existe d’ une part la volonté étatique d’accélérer la procédure judiciaire afin de diminuer son coût et d’ autre part les conséquences de cette accélération sur les droits fondamentaux des personnes soupçonnées.
    La police judiciaire connait bien comment réaliser une enquête et concentrer des éléments à charge, mais est ce qu’ elle a les connaissances du droit nécessaires pour apprécier ces éléments ? Est elle en position d’ être impartiale et indépendante ?
    Le placement en garde à vue, le temps limité pour l’entretien entre l’avocat et son client avant l’ interrogatoire, l’ ignorance de la personne convoquée des résultats de l’ enquête préliminaire, l’ interdiction d’ accès au dossier, l’ ignorance du dossier par le juge des libertés constituent des multiples limitations posées aux personnes suspectées d’ être entendues par le juge d’ instruction.
    Nous pouvons constater que la justice contemporaine est désorientée. Je partage alors l’ avis de Monsieur Rozès selon lequel “il incombe aux tribunaux d’empêcher cette restriction des droits de la défense” et il faut ajouter que cette pratique met en danger la création d’ une justice non seulement aveugle mais aussi sourde.

  • par Maria Drymaki , Le 6 décembre 2015 à 22:45

    La protection de la présomption d’innocence et le droit de la défense des prévenus sont des droits fondamentaux de la justice pénale, lesquels doivent être protèges. Lors de la garde à vue, le suspect doit avoir pleine connaissance de la nature des poursuites dont il fait l’objet ainsi que le contenu de son dossier. En conséquence, il doit avoir le droit de demander du délai suffisant de s’adresser à son avocat et préparer sa défense, de proposer de témoins, de nommer des experts et en général d’apporter tout élément adéquat.
    La suppression du juge d’instruction peut causer la violation de ces droits fondamentaux puisque celui garantisse l’équilibre de la loyauté de l’enquête et les droits constitutionnels des suspects.
    Même si la police judiciaire prend la place du juge d’instruction, la procédure devrait être confie à un juge indépendant qui aurait le contrôle du déroulement d’une procédure équitable en respectant dans tous le cas le secret des enquêtes de la police judiciaire.

  • par Foteini Zampati , Le 6 décembre 2015 à 22:19

    L’article de Jean Baptiste Rozé ,avocat, pose une question se la police judidiaire peut être replacé le juge d’instuction avec la meme résultat
    La police judiciaire de plus en plus remplace une instuction dans 48 heures de la guarde en vie qui in autre événement aurait duré en moyenne une annéé et demie se un juge d’instuction fait la recherche judiciare
    Mais il travail de la police presente quelques incovéntients au comparaison du travail du juge d’instruction
    La personne chi est une guarde en vue par la police non a possibilité de connaitre les résultas de l’ enquête parce que non a accès au dossier
    A mon avis je suis d’accord avec l’ avocat-collègue Jean Baptiste Rozé parce que l’ accusé non utilise touts les droits chi a à sa disposition

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