Nul drone n'est censé ignorer la loi. Par Thierry Wickers, Avocat.

Nul drone n’est censé ignorer la loi.

Par Thierry Wickers, Avocat.

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Explorer : # réglementation des drones # télépilotage # sécurité aérienne # infractions et sanctions

D’ordinaire, le principe de la hiérarchie des normes conduit le législateur à intervenir, pour fixer les définitions ou déterminer les principes généraux, avant que le règlement ne vienne compléter le travail législatif. Dans le cas des drones, c’est l’inverse qui s’est passé. Ils ont d’abord fait l’objet de deux modestes arrêtés, pris initialement en 2012, avant d’être révisés, le 17 décembre 2015 (JO du 24/12/2015). Mais la multiplication des drones et de leurs usages, y compris les plus préoccupants, a rendu nécessaire une consécration législative, que réalise l’intervention de la loi n° 2016-1428 du 24 octobre 2016, relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. Les drones sont désormais mentionnés (pas nécessairement sous ce vocable), dans trois codes : le code des transports, le code de la consommation, le code des postes et communications électroniques.

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C’est probablement sa genèse originale qui explique que la loi n° 2016-1428 du 24 octobre 2016 ne comporte pas de définition du drone et que le terme ne figure en définitive que dans le titre de la loi. L’arrêté du 17 décembre 2015, « relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord » expliquait déjà qu’un aéronef télépiloté était un aéronef circulant sans personne à bord, sous le contrôle d’un télépilote. Le drone entre dans la catégorie des aéronefs, dont l’article L. 6100-1 du code des transports précise qu’elle comprend tous les appareils capables de s’élever ou de circuler dans les airs. Il se caractérise par l’absence de toute personne à bord (on peut d’ailleurs se demander pour combien de temps encore, puisque le drone chinois Ehang184 peut transporter un passager).

Alors que le code des transports (L. 6111-1) impose une obligation générale d’immatriculation aux aéronefs, une exception est introduite pour les « aéronefs circulant sans personne à bord et opérés par un télépilote au sens du même article L. 6214-1 », si leur masse n’excède pas 25 kilogrammes (ou s’ils présentent certaines caractéristiques particulières qu’il reviendra au pouvoir réglementaire de définir). Les drones d’une masse de moins de 25 kilogrammes sont seulement soumis à un régime d’enregistrement par voie électronique.
La loi définit aussi un plafond, en dessous duquel le pouvoir réglementaire pourra accorder une dispense d’enregistrement (de sorte qu’il n’y aura ni immatriculation, ni enregistrement pour les drones concernés). Pour bénéficier de la dispense, la masse du drone devra être inférieure ou égale à 800 grammes. Mais il s’agit d’un plafond mobile (à la baisse) et le règlement pourra le descendre encore, s’il le juge bon et si, par exemple, les progrès de la technologie le rendent nécessaires.

La deuxième définition importante que l’on pouvait s’attendre à trouver dans la loi est celle du télépilote, puisque le drone est un aéronef (sans personne à bord) opéré par un télépilote. Dans l’arrêté du 11 avril 2012, le télépilote était défini comme la « personne qui a le contrôle de la trajectoire de l’aéronef télépiloté  ». Cette idée est conservée par la loi, mais elle prend aussi acte du développement des possibilités de vols programmables. Un drone peut se déplacer sous commande manuelle, mais aussi en suivant une trajectoire programmée et fixée à l’avance. Le télépilote est la personne qui contrôle manuellement l’évolution du drone ; mais aussi celle qui programme un vol automatique, en surveillant la trajectoire et en conservant la possibilité d’intervenir en cas de besoin sur la trajectoire. Pour finir, il s’agit aussi de la personne qui a défini à l’avance la trajectoire que le drone va suivre, sans possibilité d’intervention humaine.

C’est en appuyant sur ces concepts, pas entièrement nouveaux, que la loi, conformément à l’objectif annoncé, cherche à renforcer la sécurité à travers plusieurs mesures préventives, ou répressives. Les mesures préventives concernent à la fois les télépilotes et les drones. Le volet répressif consiste en la création de nouvelles infractions.

S’agissant des actions préventives, le législateur s’est préoccupé de la formation et de l’information des utilisateurs de drones, les télépilotes.

La loi pose le principe que le télépilote doit recevoir une formation, lui permettant d’acquérir la maîtrise des évolutions du drone et les connaissances suffisantes des règles de la sécurité et de la navigation aérienne. Il appartiendra au pouvoir réglementaire de déterminer les conditions dans lesquelles l’assimilation de ces connaissances pourra être vérifiée. La loi prévoit qu’un permis (qui comme tout permis pourra être suspendu ou retiré) sera nécessaire pour certaines activités professionnelles et lorsque le drone circule hors la vue du télépilote.

Cependant le plafond mobile des 800 grammes trouve aussi ici à s’appliquer. Les télépilotes des drones qui entrent dans cette catégorie seront dispensés de toute formation particulière. Il n’est pas question d’imposer une formation aux propriétaires de drones de loisirs. Du coup, puisque l’obligation de formation n’est pas générale, la loi introduit une disposition, dans le code de la consommation, pour s’assurer de ce que tous les télépilotes, sans exception, seront informés du contenu de la réglementation. Le fabricant (ou l’importateur) du drone aura l’obligation de fournir une notice d’information rappelant les principes de la législation applicable et les règles d’utilisation à respecter. En cas de vente d’un drone d’occasion, c’est sur le vendeur que pèsera cette obligation d’information.

Toujours au titre des mesures préventives, la loi s’intéresse aussi aux drones eux-mêmes et aux équipements qu’ils doivent comporter pour limiter les risques inhérents à leurs déplacements.

Les équipements énumérés par la loi sont :
- un dispositif de signalement lumineux, qui améliorera la visibilité du drone,
- un dispositif de signalement électronique ou numérique, qui permettra de le localiser,
- un dispositif de limitation de capacités, pour qu’il évolue dans l’espace aérien qui lui est réservé aux conditions imposées,
- un dispositif de signalement sonore, qui se déclenchera pour signaler que le drone a échappé au contrôle de son télépilote et que ses évolutions ou sa trajectoire ne sont plus maîtrisés.

La présence du dispositif de limitation de capacités fait donc du drone un objet connecté doté d’une intelligence juridique : sa programmation lui permettra (à lui et à son télépilote) de se conformer à la loi. La réglementation est « embarquée » à bord du produit, dont elle fait partie.
Voilà donc une application d’un nouvel adage juridique en gestation : bientôt, nul objet connecté ne sera censé ignorer la loi. Bien mieux, le respect de la loi sera inscrit dans ses « gênes », ou au moins dans son cerveau artificiel.

Un délai est laissé aux constructeurs pour se conformer à ces nouvelles exigences, dont l’entrée en vigueur est retardée (au 1er juillet 2018 ou même au 1er juillet 2019, selon les dispositifs et les catégories de drones).

On retrouve ici, une fois encore, le plafond mobile des 800 grammes. Les drones dispensés de posséder des dispositifs de sécurité seront nécessairement des drones de moins de 800 grammes, le pouvoir réglementaire étant libre de prévoir un seuil encore plus bas. Le pouvoir réglementaire pourra également prévoir des exceptions ciblées, en faveur, par exemple, des drones se déplaçant dans un cadre agréé ou dans des zones particulières).

La loi comporte aussi un volet répressif. Lorsqu’un drone est mis au service de la commission d’une infraction principale, aucune incrimination particulière n’est nécessaire pour en poursuivre le télépilote. Les dispositions nouvelles ont pour objet de créer une infraction spécifique, lorsque le drone est utilisé irrégulièrement, sans pour autant être utilisé dans le cadre d’une activité délictueuse. En outre, le législateur introduit dans le code des transports, une sanction accessoire à certaines infractions.

L’article L. 6211-4 du code des transports prévoit que le survol de certaines zones du territoire français peut être interdit pour des raisons d’ordre militaire ou de sécurité publique dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. L’emplacement et l’étendue des zones interdites sont définis par l’autorité administrative. Le code des transports érige déjà en infraction pénale, punie de six mois d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende (article 6232-2) le fait pour un pilote de survoler, par maladresse ou négligence, une de ces zones interdites. Le même texte prévoit des peines d’un an d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende, pour le pilote qui s’engage ou se maintient au-dessus d’une de ces mêmes zones interdites, ou pour des infractions connexes.
Le nouvel article 6232-12 reprend à l’identique les dispositions de l’article 6232-2, en les adaptant au fait que le drone évolue sans pilote, mais sous la responsabilité d’un télépilote. La référence à l’article 6211-5, existant dans l’article 6232-2 n’est évidemment pas reprise (elle prévoit l’obligation pour le pilote qui n’a pas respecté une interdiction de survol de gagner au plus vite l’aérodrome le plus proche).

L’article 6232-13 introduit une peine complémentaire spécifique aux drones, en permettant au tribunal qui sanctionne un télépilote en application de l’article 6232-12, d’ordonner la confiscation du drone utilisé pour le survol illicite. La même possibilité est ouverte au tribunal, lorsque le télépilote est condamné pour mise en danger de la vie d’autrui par application des dispositions de l’article 223-1 du code pénal.

Sur le chemin de la construction d’une législation spécifique aux drones, la loi du 24 octobre 2016 marque donc une étape importante. La loi renvoyant sur plusieurs points à de futurs décrets, leur parution constituera l’étape suivante.

Il ne faut pas non plus perdre de vue qu’une législation communautaire est en gestation. Jusqu’à présent, l’Union européenne n’était habilitée à légiférer en matière de drones que lorsque leur poids dépassait 150 kgs, les drones plus légers étant soumis aux seules législations nationales. Le futur règlement européen concernera tous les drones, sans exception.

Thierry Wickers, Avocat associé

Ancien Président du CNB et de la Conférence des bâtonniers, ancien bâtonnier de Bordeaux

http://www.exeme-avocats.com/

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