Médiation : To be ou not to be ? Par Françoise Housty et Pierrette Aufrière, Médiatrices.

Médiation : To be ou not to be ?

Par Françoise Housty et Pierrette Aufrière, Médiatrices.

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Explorer : # médiation # déontologie # législation # conflits

Pas qu’une question d’humeur mais bien une question de fond : être Médiateur ou ne pas l’être ?
Faire de la Médiation ou faire de l’indifférencié amiable – telle est la question du jour...

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Les Modes Amiables de Règlement des Différends intéressent le législateur au point qu’une floraison de textes intervenus particulièrement depuis 2016, introduisent la Médiation comme un recours possible dans l’ensemble des branches du Droit.
Assurément nous nous en réjouissons ; aveuglément nullement pour celui qui se lance dans une lecture approfondie de ces textes. Sans revenir sur chacun d’eux (Article de fond paru à l’AJ Famille juin 2016 p 324 et à paraitre dans AJ Famille mars 2017) l’essentiel est de noter un amalgame déjà dénoncé, fort préjudiciable, d’avec des fonctions connexes telles que la conciliation et l’expertise sans préjudice de l’avocat ou du notaire ...

Entre la rédaction d’acte, les pouvoirs d’instruction et la remise d’un rapport, la même cohorte législative s’ébranle et poursuit sa route toujours guidée par ce même paradoxe : favoriser la médiation tout en s’en méfiant.

Pour dernier exemple, l’article 18 du décret du 27 décembre 2016 relatif à l’aide juridique en son chapitre IV intitulé « De l’aide à la médiation » qui stipule en son article 118-10 en particulier :
« Dès lors que l’une des parties à la médiation bénéficie de l’aide juridictionnelle, une rétribution est versée par l’État au médiateur, en cas de médiation ordonnée par le juge ou en cas de saisine du juge aux fins d’homologation d’un accord intervenu à l’issue d’une médiation conventionnelle. »

Une belle avancée… mais le texte poursuit :
« Cette rétribution est versée après transmission par le médiateur au juge d’un rapport de présentation exposant les termes de l’accord et permettant à ce dernier d’apprécier l’importance et le sérieux des diligences accomplies. »
... termes auxquels s’ajoute de surcroît l’option seconde de présenter au juge le résultat d’une médiation conventionnelle en le saisissant aux fins d’homologation et percevoir ainsi l’indemnité correspondante.

1. Une question : To be or not to be ?

Médiation ou pas médiation ?

- Que le législateur exprime un souci de qualité des médiations judiciaires est très compréhensible. La communauté des médiateurs par la voix des associations et/ou fédérations s’en préoccupe en préférant des formations plus longues que quelques 40 heures intégrant la connaissance des éléments y compris judiciaires permettant d’asseoir une posture spécifique de médiateur.

- Cependant que le législateur exprime à ce point une suspicion et un besoin de contrôle voyant dans le médiateur un auxiliaire autorisant une supervision du rapport remis au juge - possiblement différent du contenu de l’accord - et des diligences accomplies favorisent une confusion réelle avec d’autres Modes Alternatifs de Règlements des Conflits (notons qu’il ne s’agit en rien de contester le pouvoir du Juge de l’homologation chargé de vérifier l’adéquation des termes d’une entente aux dispositions d’Ordre Public et de la sauvegarde de l’intérêt des personnes).

- Or à ce stade la sémantique MARD ou MARC reprend toute son acuité et l’articulation entre le processus de médiation et la procédure judiciaire se colorera de couleurs différentes selon le choix.

La démarche législative et réglementaire est d’autant plus surprenante que les fondamentaux de la Médiation, ceux qui la rendent performante même en situation de haute intensité conflictuelle, ceux qui font d’elle un formidable outil de paix sociale, s’énoncent en trois principes : impartialité, confidentialité et indépendance.
Ces trois principes déontologiques sédimentent la communauté des Médiateurs qui sont pour la grande majorité, porteurs d’une éthique tendant vers l’agir communicationnel (Jurgen Habermas : Théorie de l’agir Communicationnel – Ed Fayard).

En l’état des textes, l’exercice de la médiation devient alors délicat, le médiateur se faufilant entre ce qu’il veut faire, de la médiation, pour éviter ce que le texte lui impose mais qu’il ne veut pas faire, rompre ses obligations déontologiques.
Et selon nous, il ne suffit pas que diverses circulaires ou dépêches (AJ- médiation - note GDS - Dépêche médiation -2017-01-20 tenant aux précisions de l’article 118-10 alinéa 2 déjà cité), viennent éclairer la lecture du texte en relativisant la remise au juge d’un rapport, pour lever toutes difficultés et toutes confusions. Le paradoxe s’installe et réduire la Médiation à un traitement négocié du litige ne peut que soulever le mécontentement des métiers du Droit et au-delà du justiciable qui reste attaché à la justice et à la valeur symbolique du Droit.

Pourtant le législateur reste sourd aux suppliques des médiateurs, aux commentaires d’auteurs éminents exhortant le législateur à penser et à concrétiser sans ambiguïté, un statut du médiateur.

2. Un choix s’impose alors : To do or not to do ?

Faire de la Médiation ou ne pas en faire ?

Or la Médiation appréhendée comme un MARD susceptible d’être utilisée par le juge ou préférée en amont de toute action en justice par le justiciable, doit s’accompagner du strict respect de son essence même : la faculté de s’entendre avec l’Autre pour solutionner une situation tensionnelle grâce à la reprise d’un dialogue facilité par l’installation d’un cadre spécifique et rigoureux ; cadre que tient le médiateur et dans lequel sont posés en pierres angulaires les principes déontologiques d’impartialité, de confidentialité et d’indépendance insufflant ainsi par la liberté et le respect réciproque retrouvés, un échange constructif pour le futur après que le cas échéant, les personnes aient pu conscientiser leur propre responsabilité.

Concluons donc en avançant que malheureusement si l’intention du législateur est bonne, nous sommes bien contraints de constater que loin « d’aider la médiation », les textes poursuivent dans l’appauvrissement du concept et dans ce qui fonde l’efficacité de la médiation.

Alors nous l’écrivons à nouveau : Justice et Médiation ni ne s’opposent, ni n’empiètent l’une sur l’autre et ni ne se comparent. Chacune dans sa fonction originelle un processus pour l’une, une procédure pour l’autre, œuvre pour un même but : rendre ou restaurer une justice éclairée favorisant pour le futur, une bonne compréhension du vivre ensemble.

Françoise HOUSTY
Juriste – Médiateur
Président fondateur de l’AMMP et
du Centre méridional de Médiateurs DACCORD
DR ANM Midi-Pyrénées

Pierrette AUFIERE
Avocat Honoraire
Médiateur
Président fondateur du Centre de Médiation Patrimoniale Toulouse
Membre de l’ANM et de DACCORD

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  • par Alain , Le 24 mars 2017 à 17:51

    Très bon article.

    Le travail d’un médiateur et la médiation ne se jaugent pas à la quantité de travail ni à la durée des réunions, aux nombres de courriers, ni même à l’aboutissement d’un accord. Ce qui compte est l’apaisement des parties, le renouement du dialogue et de l’écoute entre elles.
    La fin du conflit n’est pas nécessairement un objectif à court terme ; elle intervient souvent plus tard, quelques fois par la signature d’un compris auquel le médiateur ne devrait pas être rédacteur, partie, ni caution.

    Politiques, parlementaires et magistrats font souvent la confusion entre médiateur et conciliateur, médiateur et arbitre/juge, médiateur et expert. Le public ignorant les prend même pour des médiums !
    Les nombreux "médiateurs" institutionnels et ceux intervenant au sein de corporation, syndicat ou société (anciennement service après-vente ou service consommateur ou service qualité), saisis par voie électronique, jugeant sur dossier ou donnant des avis, sont les parfaits exemples de cette confusion. Pour ces derniers on peut même douter de leur indépendance et de leur impartialité, vis à vis de leur employeur ou des intérêts qu’ils peuvent avoir.

    Certes la médiation n’est pas vraiment réglementée, des débats sur un code de déontologie et des diplômes sont en cours de réflexion, mais attention à ne pas dévoyer par ce biais ce rôle / fonction qui existe depuis l’antiquité et soudainement si d’actualité.

    Pour mémoire :
    Indépendance, neutralité et impartialité sont les maître mots des médiateurs.
    Confidentialité est la clef de la médiation.
    Une certaine liberté du processus mené par des médiateurs formés (et payés) devrait être garantie, car face à la variété des situations, de la nature humaine, le médiateur doit s’adapter et utiliser tous les outils dont il dispose pour assister les parties en conflit à s’en sortir.

  • Dernière réponse : 14 mars 2017 à 17:27
    par VANLERBERGHE ML, médiatrice , Le 10 mars 2017 à 14:21

    Le processus de médiation doit désormais, par la volonté des institutions étatiques, intégrer l’organisation judiciaire.

    La médiation et le médiateur font figure d’électron libre dans l’univers structuré de l’organisation judiciaire, faute pour la médiation et les médiateurs d’être, organisés, réglementés, structurés.

    Le processus doit-il craindre une intégration par absorption ou par acquisition ?

    Ces deux questions sont effectivement essentielles pour l’avenir de la médiation.

    Elles méritaient d’être approfondies.

    Voilà qui est fait et avec talent.

    • par Marie-José CHAUMONT , Le 14 mars 2017 à 17:27

      A la lecture du texte, qui définit ce "rapport de présentation exposant les termes de l’accord et permettant à ce dernier d’apprécier l’importance et le sérieux des diligences accomplies", j’observe qu’il convient d’en faire une application stricte, qui ne viole en rien la déontologie du médiateur et notamment l’obligation de confidentialité.

      Ainsi, il semble possible de limiter ce rapport aux indications suivantes : les dates des courriers échangés, réunions et/ou apartés, ainsi que les résultats obtenus faisant l’objet de l’accord. Ces mentions permettent d’établir les diligences accomplies sans trahir la confidentialité.

  • par hamon , Le 14 mars 2017 à 14:46

    Cela concerne les personnes bénéficiaires de l’aide juridictionnelle qui risquent de se trouver exclues de ce type de processus....

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