Les enjeux juridiques du prélèvement d'organes sur le donneur à coeur arrêté (DDAC III). Par Vincent Ricouleau, Avocat.

Les enjeux juridiques du prélèvement d’organes sur le donneur à coeur arrêté (DDAC III).

Par Vincent Ricouleau, Avocat.

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Explorer : # prélèvement d'organes # donneurs décédés à cœur arrêté # consentement du donneur # Éthique médicale

Les prélèvements d’organes répondent à un statut juridique particulier, sous l’égide de l’Agence de Biomédecine. Celle-ci a autorisé le prélèvement d’organes sur le donneur à coeur arrêté. Cette pratique est très encadrée et va susciter un certain nombre de questions.

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Les organes (reins, lobes de foie) et les tissus (moelle osseuse…) proviennent notamment de donneurs vivants. Mais la source essentielle des greffons en France vient des donneurs décédés à cœur battant dit en mort encéphalique. Une autre catégorie de donneurs est le donneur décédé à cœur arrêté. (DDAC)

Cette catégorie de donneurs à cœur arrêté est spécifique car un processus intentionnel d’Arrêt des Thérapeutiques Actives (ATA) détermine leur évolution vers la mort, ce qui n’est pas le cas pour les autres catégories de donneurs.

L’Académie de Médecine a, à l’unanimité, approuvé en 2007 cette extension de catégorie de donneurs, déjà admise aux USA et dans certains pays européens.

L’article R.1232-4-1 du Code de la santé publique énonce que les prélèvements d’organes sur une personne décédée ne peuvent être effectués que si celle-ci est assistée par ventilation mécanique et conserve une fonction hémodynamique.

Mais il précise aussi que les prélèvements des organes figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, pris sur proposition de l’Agence de la Biomédecine, peuvent être pratiqués sur une personne décédée présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant.

L’arrêté du 1 août 2014 précise les organes pouvant être prélevés sur une personne décédée présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant. Il s’agit du rein, du foie et du poumon.

L’agence de Biomédecine a mis fin au moratoire décidé en mars 2007.

Elle autorise à partir du mois d’octobre 2014, dans le cadre d’un plan de deux ans et sous condition du respect strict de la loi du 22 avril 2005, de l’avis du Comité Consultatif National d’Ethique d’avril 2011, d’un protocole conforme à l’article R.1232-4-2 du code de la santé publique, le prélèvement des organes sur les donneurs décédés après arrêt cardiaque.

Ces donneurs sont appelés précisément donneurs décédés à cœur arrêté de la classe III de la classification de Maastricht, c’est-à-dire DDAC III.

La classification de Maastricht de 1995, fondamentale, régit les prélèvements d’organes.

La classe I concerne les personnes qui font un arrêt cardiaque en dehors de tout contexte de prise en charge médicalisée et pour lesquelles le prélèvement d’organes ne pourra être envisagé que si la mise en œuvre des gestes de réanimation de qualité a été réalisée moins de trente minutes après arrêt cardiaque.

La classe II concerne les personnes qui font un arrêt cardiaque en présence de secours qualifiés, aptes à réaliser un massage cardiaque et une ventilation mécanique efficaces mais dont la réanimation ne permettra pas une récupération hémodynamique.

La classe III concerne les patients pour lesquels une décision d’un arrêt de traitements en réanimation est prise en raison de leur pronostic.

C’est la seule classe où un processus décisionnel détermine la mort.

La classe IV concerne les personnes qui ont un arrêt cardiaque inopiné lors de la réanimation d’un donneur en mort encéphalique.

Les patients éligibles

Il pourrait s’agir de patients dans le coma par anoxie cérébrale, de patients cérébrolésés avec mauvais pronostic neurologique. Certains avancent les traumatisés crâniens avec contusions bilatérales et symétriques du tronc cérébral, les patients avec hématome du tronc cérébral, hématome profond avec destruction du thalamus homolatéral, avec hémorragies extra-ventriculaires massives.

Le cas des patients en état pauci-relationnel et en état végétatif

Les patients en état pauci-relationnel (minimally conscious state ou MCS) et les patients en état végétatif, soignés dans des unités prévues par la circulaire du 3 mai 2002, unités incluant un projet de soins et un projet de vie, sont a priori exclus.

Concernant les patients de la classe III, la décision d’arrêt ou de limitation des traitements doit être indépendante de la possibilité du don d’organes.

Le processus du prélèvement ne doit en rien accélérer le décès.

L’équipe de réanimation met fin au traitement par une décision collégiale de l’équipe avec un médecin extérieur et la famille.

Le défunt doit avoir au maximum 60 ans.

L’article L.1232-1 du Code de la santé publique rappelle que le prélèvement d’organe sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques.

Les lois du 29 juillet 1994 et du 6 août 2004, l’article 16 du Code civil, la décision du Conseil Constitutionnel relative à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine (D.C du 27 juillet 1994), l’article 5 de la Convention Européenne sur les Droits de l’homme et la Biomédecine, ont conforté les principes d’inviolabilité et de non-patrimonialité du corps humain.

Les principes de gratuité du don, d’anonymat du don, de prohibition de la publicité, de sécurité sanitaire (loi du 6 août 2004), de biovigilance, de sélection clinique du donneur et du receveur, s’appliquent.

Le consentement du donneur

Le prélèvement peut être pratiqué dès lors que le patient n’a pas fait connaître de son vivant son refus. Une autorisation écrite pour les majeurs incapables et l’accord des parents pour les mineurs est nécessaire.

Des patients conscients peuvent demander l’arrêt de la ventilation mécanique dont ils dépendent. Le principe d’autonomie implique le devoir d’information du médecin. La question est de savoir comment le patient DDAC III, conscient, est informé.

Le refus du don d’organes peut être exprimé par tout moyen, notamment par une déclaration au Registre National Automatisé des refus de dons d’organes, géré par l’Agence de la Biomédecine.

L’article R.1232-6 du Code de la santé publique énonce en effet que toute personne majeure ou mineure âgée de 13 ans au-moins peut s’inscrire sur le registre afin de faire connaître qu’elle refuse qu’un prélèvement d’organes soit opéré sur son corps après un décès soit à des fins thérapeutiques, soit pour rechercher les causes du décès, soit à d’autres fins scientifiques, soit dans plusieurs de ces 3 cas.

Si la volonté du défunt est inconnue, le médecin doit recueillir auprès des proches leur éventuelle opposition au don d’organes. L’arrêté du 27/02/1998 prévoit la saisine du procureur de la république sans autre précision si la famille ne peut être jointe

Les proches sont informés de la nature des prélèvements effectués et de leur finalité.

Le facteur temps

Après la décision d’arrêt des soins, l’équipe médicale débranche le patient. Elle dispose d’un délai de 5 minutes entre l’arrêt du cœur et le début des opérations de prélèvement. Les équipes ont trois heures pour prélever les organes.

La temporalité de la mort

La question se pose de savoir quel protocole adopter lorsque le patient ne décède pas dans le temps requis pour sauvegarder le greffon potentiel.

Le temps moyen au terme duquel survient la mort des patients en réanimation, candidats pour les prélèvements après arrêt cardiaque, serait de cinq heures, après le retrait des traitements de support vital.

Cette durée dépasse les 90 minutes, voire le temps d’ischémie chaude requis pour le prélèvement et la préservation de la qualité des organes.

Les médecins ont l’interdiction d’accélérer le processus induisant l’arrêt cardiaque [1]

La nature et la qualification du niveau de soins au patient pendant ce laps de temps, pose problème. Nutrition et hydratation peuvent être considérées comme un traitement ou un soin de base, l’objectif étant de respecter le principe de non-maléficience. Le médecin doit informer les proches de la réelle difficulté de prédire le moment de l’arrêt cardiaque après extubation.

La règle du donneur mort

La règle est celle du donneur mort, le critère étant l’irréversibilité de la mort. La mort intervient dans un processus de withdrawing, exigeant la certitude du pronostic, dont dépendra l’Arrêt des Thérapeutiques Actives (ATA).

La causalité de l’arrêt cardiaque est variable. (mort encéphalique suite à l’extubation, hypoxémie, hypotention…)

Le constat de la mort et ses critères

L’article L.1232-4 du Code de la santé publique précise que les médecins qui établissent le constat de la mort d’une part et ceux qui effectuent le prélèvement ou la greffe d’autre part, doivent faire partie d’unités fonctionnelles ou de services distincts.

L’article R.1232-1 du Code de la santé publique énonce que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort repose sur trois critères :

- une absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée
- une abolition de tous les réflexes du tronc cérébral
- une absence totale de ventilation spontanée.

En complément des trois critères cliniques de l’article R.1232-1 du Code de la santé publique, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :

- Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et a-réactifs, effectués à un intervalle minimal de 4 heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de 30 minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation
-  Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait l’interprétation.

Le procès-verbal de la mort

Lorsque le constat de la mort est établi pour une personne présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure de ces constats.

Le procès-verbal est établi et signé par un médecin répondant à la condition mentionnée à l’article L.1232-4 du Code de la santé publique.

La restauration du corps

L’article L.1232-5 du Code de la santé publique énonce que les médecins ayant procédé à un prélèvement ou à une autopsie médicale sur une personne décédée sont tenus de s’assurer de la meilleure restauration possible du corps.

Le rapport du Comité Consultatif National d’Ethique sur le débat public concernant la fin de la vie vient d’être remis.

Les Etats Généraux [2] et les conférences de citoyens [3], ont montré la nécessité d’adapter les lois du 4 mars 2002 et du 22 avril 2005.

Le rapport du CCNE évoque le droit à la sédation profonde tout en insistant sur les risques d’une sédation terminale. Le principe de non-obstination déraisonnable et du maintien artificiel de la vie posé par l’article L.1110-5 du Code de la santé publique reste l’objectif.

Les débats sur l’application de la loi du 9 juin 1999 visant à garantir à toute personne dont la situation le requiert le droit d’accès aux soins palliatifs pourraient être relancés, concernant la fin de vie du patient DDAC III, notamment si celui-ci ne décède pas dans le temps requis pour un don d’organes après l’Arrêt des Thérapeutiques Actives et l’extubation.

Le rapport du CCNE rappelle l’importance des directives anticipées (avec inscription sur la carte vitale) enregistrées dans un fichier informatique national des directives anticipées, et contraignantes pour les soignants. Il rappelle aussi l’importance de désigner une personne de confiance. La procédure du recueil du consentement du DDAC III serait ainsi facilitée.

Autant de questions juridiques et éthiques en perspective, relancées par la fin du moratoire de l’Agence de Biomédecine concernant les prélèvements d’organes sur les patients DDAC III. Nul doute que cette pratique suscitera de nouvelles discussions dans un contexte de débat aussi riche sur la fin de vie.

Vincent Ricouleau
Professeur de droit -Vietnam -
Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières -
Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d\\’évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5)

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Notes de l'article:

[1article 38 du code de déontologie médicale, article 295 du code pénal.

[2article L.1412-1-1 du code de la santé publique

[3article L.1412-3-1 du code de la santé publique

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