Les accusations mensongères d’un salarié en matière de harcèlement justifient son licenciement disciplinaire.

Par Alina Paragyios, Avocat.

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Explorer : # licenciement # harcèlement # mauvaise foi # faute grave

Selon l’article L.1152-2 du Code du travail :
« Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. »

-

Il en est de même en matière de harcèlement sexuel, et ce, en vertu de l’article L.1153-3 dudit Code du travail.

Autrement dit, l’employeur ne pourra en aucune manière licencier un salarié au motif qu’il a relaté des agissements répété de harcèlement moral ou sexuel. A défaut, le licenciement est nul, selon les articles L.1152-3 et L.1153-4 du Code du travail.

De même, un salarié qui dénonce des faits de harcèlement dont il est lui-même victime, mais dont il s’avère ultérieurement qu’ils ne sont pas démontrés, est également protégé [1].

Une grande protection est ainsi accordée aux salariés témoins ou victimes. Cependant celle-ci ne vaut que pour le salarié de bonne foi.
De ce fait, un salarié de mauvaise foi dénonçant un harcèlement moral pourra être licencié.

La mauvaise foi doit cependant être caractérisée. Ainsi, elle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis [2]. Pareillement, « la mauvaise foi du salarié ne peut être déduite du seul caractère erroné des faits dénoncés » [3].

Ainsi, en l’absence de mauvaise foi, la faute grave ne pourra être retenue [4].

De même, dans un arrêt récent de la Cour de cassation, cette dernière a cassé l’arrêt de la Cour d’appel en disposant que la dénonciation par la salariée de faits de harcèlement moral, visées dans la lettre de licenciement, n’ayant pas été faite de mauvaise foi, l’invocation de ce grief emportait à elle seule la nullité de plein droit du licenciement, et ce, peu important que d’autres motifs aient été invoqués dans ladite lettre de licenciement [5].

Il en a été jugé de même dans un arrêt encore plus récent de la cour d’appel de Colmar du 16 juillet 2013 [6].

De plus, cette solution est compréhensible dans le sens où un salarié victime ne saurait être dissuadé de dénoncer des faits de harcèlement moral seulement par peur de représailles de l’employeur tel que le licenciement pouvant aller jusqu’à la faute grave.
Cependant cette protection trouve ses limites.
Mais alors comment caractériser la mauvaise foi du salarié ?

La mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce [7].
La haute juridiction nous apporte ainsi une définition positive et restrictive.
Néanmoins, l’admission de la mauvaise foi est limitée puisqu’elle se cantonne au mensonge proféré en toute conscience.
Et, la difficulté résidera dans la preuve de la mauvaise foi du salarié car l’employeur devra apporter la preuve des mensonges conscients et délibérés.

Cette conception restrictive de la mauvaise foi permet ainsi de préserver le plus souvent l’immunité légale, en ne faisant céder celle-ci que dans l’hypothèse extrême du mensonge du salarié.
Partant, le salarié dénonçant des faits de harcèlement dont il sait pertinemment qu’ils sont faux s’exposera à un licenciement pour faute grave.
En effet, rappelons que le salarié qui dénonce un harcèlement doit avoir au moins un commencement de preuve, établir certains faits ayant pu lui donner le sentiment qu’il subissait un harcèlement.

Dans le même ordre d’idée, le salarié qui créé de toutes pièces de faux éléments dans le but de faire croire à un harcèlement grâce à une « manœuvre ayant consisté à adresser à son supérieur hiérarchique deux lettre lui imputant faussement des actes de harcèlement moral et à poursuivre en justice, sur le fondement des mêmes accusations, la résolution de son contrat de travail aux torts de son employeur » verra ainsi sa mauvaise foi caractérisée [8].

Autrement dit, l’employeur retrouve son pouvoir de sanction en cas de mauvaise foi du salarié.
Dans un arrêt plus récent encore de la Cour de cassation en date du 6 juin 2012, il avait été considéré que « la salariée avait dénoncé de façon mensongère des faits inexistants de harcèlement moral dans le but de déstabiliser l’entreprise et de se débarrasser du cadre responsable du responsable comptable, la cour d’appel, caractérisant la mauvaise foi de la salariée au moment de la dénonciation des faits de harcèlement, a pu par ce seul motif décider que ces agissements rendaient impossible son maintien dans l’entreprise et constituaient une faute grave ».

Donc commet une faute grave justifiant son licenciement le salarié qui dénonce de façon mensongère des faits inexistants de harcèlement moral dans le seul but de déstabiliser l’entreprise et de se débarrasser d’un collègue (en l’espèce, le cadre responsable du département comptable), ce qui établit sa mauvaise foi.

Une décision dans le même sens a été rendue récemment par la Haute juridiction le 28 janvier 2015.

Dans cette affaire, une salariée avait été licenciée pour faute grave, en raison d’accusations mensongères de harcèlement à l’encontre d’un supérieur hiérarchique. Cette dernière invoquait la nullité de son licenciement.
Partant, la Cour d’appel a constaté que le harcèlement moral n’était pas établi.
En effet, d’une part, le syndrome anxio-dépressif dont souffrait la salariée était insuffisant à caractériser une situation de harcèlement moral, faute de constatations médicales antérieures au licenciement.

D’autre part, les seuls faits qui pouvaient laisser présumer l’existence d’un harcèlement étaient justifiés par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement.
Cependant, l’absence de harcèlement moral ne suffisait pas à justifier son licenciement pour faute grave.

Donc, si l’employeur a pu, dans cette espèce, user de son pouvoir de sanction, c’est parce qu’il s’est avéré que ladite salarié avait dénoncé des faits inexistants, sans, qui plus est, citer de faits précis et datés, ni même fournir de pièces à l’appui de ses allégations :
« Mais attendu que la Cour d’appel, qui a estimé que le harcèlement allégué n’était pas constitué, relève, pour retenir la faute grave de la salariée et rejeter ses demandes, que celle-ci a dénoncé à l’encontre de son supérieur hiérarchique, de façon réitérée, de multiples faits inexistants de harcèlement moral ne reposant, pour la grande majorité d’entre eux, sur aucun élément et dont elle s’est d’ailleurs avérée incapable de préciser la teneur, qu’il s’agisse des faits ou des propos dénoncés, s’en tenant à des accusations ayant pu être portées par simple légèreté ou désinvolture mais d’accusations graves, réitérées, voire calomnieuses et objectivement de nature à nuire à leur destinataire ainsi qu’à l’employeur, accusé de laisser la salariée en proie à ce prétendu harcèlement en méconnaissance de son obligation d’assurer sa sécurité et de préserver sa santé ; qu’elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision » [9].

Il en résulte ainsi que si un salarié peut dénoncer des faits délictueux commis dans l’entreprise et dont il est témoin ou victime, il ne saurait se prévaloir d’une impunité s’il porte des accusations mensongères et destinées à nuire à l’employeur ou à un collègue. Il risquera alors une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave, voire lourde si l’intention de nuire est établie ; et le cas échéant, des poursuites pénales pour dénonciation calomnieuse conformément aux articles 226-10 à 226-12 du Code pénal.

Cette solution, dans la continuité de la jurisprudence, est somme toute logique. Partant, le présent arrêt ne fait que compléter et préciser une construction jurisprudentielle déjà abondante.

Me Alina PARAGYIOS
Cabinet A-P, Avocats au Barreau de Paris
http://www.cabinet-ap.fr

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Notes de l'article:

[1Cass. Soc., 10 mars 2009, n°07-44.092 ; Cass. Soc., 19 octobre 2011, n°10-16.444.

[2Cass. Soc., 10 mars 2009, n°07-44.092.

[3Cass. Soc., 27 octobre 2010, n°08-44.446.

[4Cass. Soc., 27 janvier 2009, n°07-43.257.

[5Cass. Soc., 13 février 2013, n°11-28.339.

[6CA Colmar, 16 juillet 2013, n°12/00603.

[7Cass. Soc., 7 février 2012, n°10-18.035.

[8Cass. Soc., 18 février 2003, n°01-11.734.

[9Cass. Soc., 28 janvier 2015, n°13-22.378.

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 14 juin 2018 à 15:08
    par Marquis , Le 2 février 2017 à 09:17

    Mon mari a été victime d’une plainte pour harcèlement moral et sexuel et agressions sexuelle par une de ses collaboratrices par vengeance personnelle de peur de ne pas évoluer dans son entreprise. Cette collaboratrice a porté plainte auprès de l’inspection du travail pour harcèlement moral et sexuel et dans le même temps auprès de la police pour agression sexuelle. Suite à une garde à vue puis une confrontation, il s’est avéré que cette collaboratrice avait menti et inventé une histoire d’agression montée de toute pièce.
    En janvier 2016 le tribunal de Lille a émis un avis de classement, L’examen de cette procédure ne justifiant pas de poursuites pénales au motif que l’infraction ne paraissait pas suffisamment constituée ou caractérisée pour rassembler des preuves suffisantes. Suite à cela mon mari a déposé plainte pour dénonciation calomnieuse. Convoquée par la police, sa collaboratrice XXX est passée aux aveux en novembre 2016 en confirmant qu’elle avait tout inventé et a reçu comme sanction du tribunal de Lille en janvier 2017 un rappel à la loi.
    Le parquet lui a rappelé son comportement fautif, lui a expliqué les peines risquées et a exigé d’elle qu’elle s’engage à ne plus commettre d’infractions ! La sanction me paraît bien légère au regard de la gravité de ses mensonges !!! Après un an de procédure, cette collaboratrice est toujours en poste dans l’entreprise malgré la décision du tribunal ; elle n’a recu a ce jour aucune sanction de la part de son employeur comparé à mon mari qui, en plus de sa garde à vue, a eu une mis à pied disciplinaire, a été convoqué un entretien préalable à la mesure de licenciement pour faute, sans évoquer la douleur de se retrouver si injustement coupable de faits inventés de toute pièce !
    Qui doit informer l’employeur qu’il a le droit m de licencier XXX pour faute grave sachant que ses accusations mensongères sont réellement prouvées et sa mauvaise foi confirmée ? L’employeur a toujours tendance à être frileux lors de licenciement !!!
    La justice et l’employeur devraient punir plus fermement ces fausses victimes qui saccagent en un rien de temps la vie d’un homme et de sa famille par leurs mensonges odieux et graves !

    • par Barbara , Le 3 décembre 2017 à 09:35

      Au sein de l’entreprise ds laquelle je travaille nous avons eu un collège qui a porté plainte pour harcèlement moral contre le patron avec la connivence d un psychiatre afin d obtenir un dossier d inaptitude par la médecine du travail ce qui lui a permis de récupérer des indemnités conventionnelles et ne pas démissionner .. dans ce cas là il serait parti sans argent et n aurait pas eu droit au chômage .. l inaptitude c est une façon détournée pour récupérer de l argent du patron et bénéficier des prestations de chômage.. du coup le patron n embauche plus et ferme la boîte .. merci à ce genre de collègue procédurier qui nous Envoie par leur méchanceté au chômage .,
      en fait les petits patrons ne sont pas armés pour se défendre .. je reconnais que nous salariés sommes hyper protégés et très facile grâce aux conseils d internet de porter plainte tels que harcèlements ..moral ou attouchement sexuel ou faute grave ..
      l employe sans moral et surtout vénal à toutes ses chances de mettre son patron dans le chao et de lui faire fermer sa boite ..

    • par Melba , Le 14 juin 2018 à 15:08

      Bonjour,
      je suis tombée sur votre post en cherchant désespéramment sur le net comment faire valoir les droits des hommes dénoncés à tort dans le cadre du travail. Mon mari est accusé d’avoir tenu il y a près d’un an des propos "pornographiques" sur son lieu de travail, notamment à propos de l’affaire Weinstein. Il a été convoqué par les RH du service dans lequel il travaillait alors, et jugé présumé coupable, sans pouvoir se défendre ni connaître le nom de la personne qui l’accuse !
      Il se souvient toutefois d’une discussion avec des collègues (dont 1 femme) à ce sujet. Même s’il reconnaissait que l’affaire Weinstein avait permis de libérer la parole et de faire condamner des agresseurs sexuels jusqu’alors impunis, Il réprouvait le procédé #Balance ton porc, qui pouvait être la porte ouverte à des dénonciations calomnieuses et fallacieuses. Il avait alors lancé : "pourquoi pas aussi #Balance ta truie" pour dénoncer certaines femmes mal-intentionnées qui n’allaient pas manquer de surfer sur l’affaire pour se poser en victime et régler leurs comptes (jalousie, avances repoussées, monnayer des indemnités de départ plutôt que de démissionner). Bien mal lui en a pris, le voilà pris au piège qu’il craignait voir se refermer sur un autre et attend maintenant de savoir si des sanctions vont être prises contre lui. S’il ne dit mot en attendant de voir la suite sans se battre, il reconnait implicitement sa culpabilité ; et s’il proteste pour faire valoir que son nom, son honneur et sa réputation sont bafoués, cela fera des vagues et mettra sa carrière et son avancement en péril, alors même qu’il vient d’intégrer un nouveau service du groupe. Quoi qu’il arrive, le mal est déjà fait et la suspicion dans les esprits. Comment se défendre ?

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