Isabel Marant Diffusion / iOffer : place de marché en ligne, protocole et process de lutte contre la contrefaçon.

Par Antoine Cheron, Avocat.

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Explorer : # contrefaçon # protocole d'accord # responsabilité des hébergeurs

Le TGI de Paris a rendu le 20 juin dernier une intéressante ordonnance dans le cadre d’une affaire relative à la vente de produits contrefaisants sur un site Internet. Il s’agit de l’homologation par le juge d’un protocole de transaction intervenu entre les demandeurs et défendeur à l’action en contrefaçon. Peut-être s’agit-il d’une voie à explorer pour sortir de l’incertitude dans laquelle est placé l’hébergeur d’un site internet quant à son statut ?
(TGI de PARIS, Ordonnance du 20 juin 2013 ; IM DIFFUSION et autres c/ iOffer Inc.)

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En l’espèce, Isabel Marant qui est créatrice de collections de mode et titulaire de certains droits patrimoniaux portant sur ses marques déposées avait assigné le site internet iOffer.com pour contrefaçon de marque le 14 juin 2012. Le site iOffer qui se définit comme un marché en ligne permettant aux utilisateurs d’acheter, vendre et négocier des produits, s’était vu reprocher la mise en ligne d’annonces et matériaux faisant référence à la marque du groupe Isabel Marant.

Cependant, grâce à sa politique contre la contrefaçon et la démonstration auprès du groupe I. Marant de sa volonté de désactiver immédiatement les annonces litigieuses, iOffer a pu entrer en discussions avec Isabel Marant afin de trouver une solution pacifique au contentieux. C’est ainsi qu’au mois de mai 2013, des conclusions en désistement d’instance, accepté par iOffer, ont été déposées par Isabel Marant, en même temps qu’une demande d’homologation d’un protocole d’accord intervenu entre les parties.

Le Tribunal a fait droit à ces demandes dans une ordonnance du 20 juin 2013 à laquelle est annexé le protocole transactionnel. Le Tribunal indique que la transaction a été conclue au visa de l’article 2044 du Code civil. Il s’agit d’un acte qui exige pour sa validité entre autres conditions, des concessions réciproques des parties en présence. Quelles ont été en l’espèce les motivations des parties pour la conclusion d’un protocole transactionnel ?

1- Le contenu du protocole transactionnel

Dans la mesure où le groupe I.Marant est le mieux placé pour constater et localiser les emplacements des annonces contrefaisantes, il est convenu à l’article 1er du protocole que le site iOffer donne accès à un mandataire désigné par le groupe I.Marant à son interface sur Internet. iOffer fournit pour ce faire un identifiant et un mot de passe. Cette procédure permettra au groupe I.Marant de procéder par lui-même au retrait de toute annonce qu’il considère comme portant atteinte à ses droits.

iOffer précise que le groupe I.Marant devra néanmoins respecter sa politique d’identifications confidentielles que les règles de la CNIL imposent à tout opérateur sur internet. Par ailleurs, en conséquence de la libre intervention sur le site iOffer, I.Marant sera seule responsable des suppressions effectuées.

Pour garantir I.Marant de la non publication d’annonces faisant référence à sa marque, iOffer a également mis en place deux alertes portant sur « Isabel Marant » et « Marant » afin que le groupe I.Marant soit régulièrement informé par email des nouvelles annonces comprenant ces mots clés.

2- Les motivations du recours à la transaction

Le recours à un protocole d’accord peut avoir été motivé par le désir de se prémunir contre la jurisprudence actuelle et foisonnante en matière de responsabilité des opérateurs des services de communication au public en ligne.

• Incertitudes du côté de l’opérateur technique ou hébergeur

Il est reconnu par la CJUE que l’exploitant d’une place de marché en ligne peut engager sa responsabilité pour contrefaçon du fait de la vente en ligne de produits contrefaisants par des personnes qui y sont inscrites (CJUE, 12 juill. 2011, aff. C-324/09, L’Oréal et a. c/ eBay). Cependant, en principe, l’article 14 de la directive du 8 juin 2000 exonère ces sites de toute responsabilité en leur qualité de simple hébergeur pour les informations qu’ils stockent.

Toutefois selon la jurisprudence de la CJUE, la responsabilité pour contrefaçon du site peut être retenue lorsque ce site a joué un rôle actif. Nous sommes en présence d’un rôle actif lorsqu’il est « de nature à conférer au site une connaissance ou un contrôle des données relatives aux offres émanant des utilisateurs  ». Ainsi, lorsque le site intervient pour la rédaction, la mise en valeur de l’annonce ou l’optimisation de sa présentation, il joue un rôle actif et peut par conséquent voir sa responsabilité retenue.

En outre, même en l’absence de rôle actif, le site n’est pas épargné pour autant par une probable mise en cause de sa responsabilité, s’il a eu connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité des offres à la vente en cause. Ainsi, il sera susceptible d’être sanctionné si ayant eu cette connaissance il n’a pas « promptement agi » pour retirer les données de son site ou en rendre l’accès impossible (CJUE, 12 juillet 2011 C-324/09, L’Oréal c/ eBay).

Si par ailleurs l’on prend en considération le fait que la notion de promptitude constitue bien souvent une notion à géométrie variable, on peut mesurer dès lors tout l’intérêt que représente pour un site de marché en ligne, la conclusion d’un accord, comme en l’espèce, avec le titulaire de la marque. En effet, le protocole d’accord signé précise que c’est I.Marant qui procède au retrait des annonces litigieuses et sous sa responsabilité.

• Incertitude du côté du titulaire des droits patrimoniaux

En ce qui concerne le demandeur à l’action en contrefaçon, il a également intérêt à conclure un accord de ce type dans la mesure où lui aussi peut souffrir des fluctuations de la jurisprudence en matière de protection de ses droits en présence de produits contrefaisants sur Internet.

En effet, il suffit par exemple de rappeler la jurisprudence sur la forme que doit revêtir la notification du contenu illicite prévue à l’article 6.1.5 de la LCEN du 21 juin 2004. Or, il apparaît que la jurisprudence n’est pas définitivement fixée en ce domaine.

Ainsi, dans un récent arrêt de la 1re Chambre civile de la Cour de cassation, il a été considéré qu’une notification adressée par le producteur d’un film à Dailymotion ne répondait pas aux exigences de l’article 6.1.5 de la LCEN pour la raison que le constat d’huissier de justice identifiant les contenus illicites n’était pas joint (Civ.1re, 17 février 2011 n°09-67.896).

Mais l’inconvénient majeur reste, pour le titulaire des droits patrimoniaux, l’obligation d’adresser à chaque nouvelle mise en ligne, une notification régulière, seule manière pour le responsable du site « de prendre effectivement connaissance du caractère illicite de la nouvelle mise en ligne afin d’agir promptement pour la retirer ou en rendre l’accès impossible » (1re Chambre civile 12 juillet 2012 N°11- 15.165 Google et Auféminin c/ MX).

Dans ces conditions, signer un accord avec le site de marché en ligne permettant d’assurer par son propre mandataire le retrait des annonces litigieuses du site concerné présente tous les gages de l’efficacité.

Antoine Cheron

ACBM Avocats

acheron chez acbm-avocats.com

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