L’objectif était de pallier une incertitude censée paralyser le recrutement : ne pas connaître à l’avance le coût exact d’un licenciement considéré comme abusif. Les plus optimistes pariaient même sur une baisse du nombre de procès puisqu’un plus grand nombre de litiges se seraient réglés à l’amiable, le montant maximal de l’indemnité étant connu à l’avance.
D’emblée, on pourrait défendre l’idée que le coût d’un contrat de travail ne se résume pas à un risque devant les prud’hommes. Et avant de parler de la peur d’embaucher en raison du coût d’un éventuel licenciement, c’est du coté du carnet de commandes des entreprises et du coût d’une nouvelle embauche qu’il faut se tourner.
Plus concrètement, si on regarde le risque judiciaire auquel sont exposées les entreprises qui ont besoin de réduire leurs effectifs, on voit qu’il est en réalité très limité et que le contentieux du licenciement porte surtout sur des ruptures des contrats de travail liés à la personne du salarié et non à la situation de l’entreprise. En 2013, plus de 50.000 salariés ont été licenciés chaque mois, les licenciements pour un motif économique ne représentaient « que » 16.000 par mois en moyenne et le taux de recours contre ces licenciements est très faible, en dessous de 3 %...
Pour construire son barème, le gouvernement s’était appuyé sur une étude du ministère de la Justice montrant que l’indemnisation moyenne pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est de 24.089 €, soit 10 mois de salaires, moyenne qui grimpe à 29.424 € pour une entreprise de plus de 10 salariés.
Les plafonds prévus dans l’avant-projet de loi pour une ancienneté entre 2 et 5 ans (6 mois de salaire) ainsi qu’entre 5 ans et moins de 10 ans (9 mois de salaire) étaient donc proches de la pratique indemnitaire actuelle des Conseils de prudhommes (CPH).
En revanche, les deux derniers plafonds applicables aux salariés ayant une ancienneté d’au moins 10 ans étaient bien inférieurs aux pratiques actuelles et même en deçà de ce que prévoyait le barème de la loi Macron. Le plafond était de 12 mois de salaire pour les salariés ayant une ancienneté entre 10 ans et moins de 20 ans et de 15 mois pour les salariés ayant une ancienneté d’au moins 20 ans, là où ils peuvent aujourd’hui obtenir au moins 24 mois d’indemnité.
Cette limitation n’aurait pas été dénuée d’efficacité car les salariés âgés et donc ceux qui sont susceptibles d’avoir le plus d’ancienneté, sont ceux dont le taux de recours au CPH a le plus augmenté ces dernières années. Néanmoins, elle n’aurait pas touché la cible initiale car si le frein psychologique à l’embauche lié aux incertitudes sur le coût de la rupture du contrat de travail se trouve surtout chez les PME, le gain réalisé en cas de condamnation aurait profité aux grandes entreprises. Le montant des indemnités payées par les entreprises de plus de 300 salariés est souvent bien supérieur, 29.000 € en moyenne contre 11.000 € pour les entreprises comptant moins de 10 salariés.
Pour autant, ce barème aurait eu une portée limitée car si l’indemnisation du licenciement injustifié avait été plafonnée, toutes les autres demandes restaient librement fixées par le juge au vu des éléments produits par les parties. Ainsi, en cas de licenciement nul en raison d’une discrimination ou de nullité d’un licenciement économique, le juge continuait de prononcer la réparation intégrale du préjudice.
Des effets pervers étaient même à craindre puisque l’entreprise n’échappait pas à un risque d’instrumentalisation d’un salarié habile qui, après une mésentente avec son employeur, faisait valoir la nullité de son licenciement au motif qu’il aurait subi des faits de harcèlement avec, à la clef en cas de succès, une réparation déplafonnée. Et dans la foulée, rien ne l’empêchait de multiplier les demandes pour trouver de nouvelles sources d’indemnisation telles que les heures supplémentaires non rémunérées, la validité du forfait jour ou l’égalité de traitement. Contrairement aux espoirs des uns et aux craintes des autres, il subsistait un aléa judiciaire important voire renforcé.
Rien de tout ça ne devrait se produire car, après concertation avec les partenaires sociaux, le gouvernement a annoncé qu’il renonçait à cette mesure et à la place qu’il allait … publier un décret permettant la mise en œuvre du barème indicatif crée par la loi Macron, oublié de tous, et en profiter pour revaloriser le barème existant devant le bureau de conciliation depuis 2013 et qui, lui, n’est jamais appliqué car très bas, accordant généreusement 10 mois de salaire à un salarié licencié après 25 ans ancienneté.
On peut regretter que deux interrogations pourtant fondamentales n’aient pas été résolues au terme de ce premier épisode de la refonte de notre Code du travail.
Celle de savoir s’il est opportun de chercher par tout moyen à uniformiser l’indemnisation des licenciements jugés abusifs, faisant comme si tous les licenciements étaient identiques, qu’il s’agisse d’un licenciement disciplinaire pour faute grave, d’une procédure de reclassement maladroitement menée par un PME dans le cadre d’une inaptitude ou d’un licenciement économique dans le cadre d’un PSE au sein d’une grande entreprise.
Également, les raisons d’une justice du travail aussi difficilement acceptée avec un taux d’appel de plus de 60 % et des taux de confirmation des jugements qui sont très nettement inférieurs à celui constaté pour les appels des autres juridictions, phénomène qui contribue à une justice lente et aléatoire, préjudiciables à toutes les parties.
En résumé, une tempête dans un verre d’eau car on peut douter de l’effet d’un barème indicatif, et un brouillard épais empêchant toute discussion sérieuse sur des sujets autrement plus significatifs et structurants tels que le renversement de la hiérarchie des normes.