Les récents problèmes rencontrés par de grandes sociétés emblématiques, comme
Renault ou France Telecom, rappellent avec fracas aux entreprises l’importance de l’enjeu
du harcèlement moral.
De fait, ce thème est devenu une donnée de plus en plus critique
pour les managers et les DRH, confrontés à un renforcement accru de cette notion. Tout a
commencé en 2002, lorsque le Code du travail propose une première définition : le
harcèlement concerne des agissements répétés ayant pour objet ou effet une dégradation
des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié,
d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Aussi
imprécise qu’elle soit, cette ébauche de codification apporte une première nouveauté. Le
harcèlement peut ne pas être intentionnel. Au-delà du cas facilement identifiable du
« pervers narcissique » est désormais posée la question du mode de fonctionnement de
l’entreprise, qui peut engendrer de la pression, du stress et donc, dégénérer parfois
inconsciemment en harcèlement. Ce n’est donc plus seulement l’individu qui est en cause,
mais aussi l’entreprise, son organisation et ses méthodes de management.
Dans cette même lignée, un arrêt de la Cour de Cassation du 21 juin 2006 a souligné la
nécessité de la prévention. En l’espèce, une association avait dû payer des indemnités à ses
salariés, pour la simple raison que leur directeur les avait harcelés, alors même qu’aucune
faute ne pouvait être reprochée à l’employeur. Le fait que ce directeur ait été licencié dès
que ces agissements ont été découverts n’a en rien influé le jugement : l’entreprise ne doit
pas seulement mettre fin à des actes de harcèlement, mais aussi éviter qu’ils adviennent.
Moralité, l’employeur est désormais tenu envers le salarié à une obligation de résultat et
non plus de moyens en matière de harcèlement. Le devoir de prévention des employeurs va
donc très loin.
En 2008, la Cour de Cassation décide de renforcer son contrôle et d’harmoniser les
pratiques des différentes cours d’appel en étendant son contrôle à la qualification même du
harcèlement moral.
Fin 2009, la Cour de Cassation a rendu une nouvelle série d’arrêts mettant en cause les
méthodes de management des entreprises dans la survenance de cas de harcèlement en
dehors de toute intentionnalité. Parmi les nouveautés, le harcèlement ne doit pas
nécessairement être lié à une détérioration de l’état de santé du salarié pour être avéré. Si
une dépression nerveuse participe effectivement à la définition du harcèlement, elle n’est
pas nécessaire pour la caractériser.
Il y a quelques jours encore, la Cour de Cassation a affirmé que le harcèlement moral
pouvait être reconnu, indépendamment de sa courte durée (1 mois seulement dans le cas
d’espèce).
Ce n’est pas tout. En dehors du cadre légal et jurisprudentiel, des accords
interprofessionnels sont intervenus. Après l’accord national interprofessionnel sur le stress
au travail signé le 2 juillet 2008, un accord sur le harcèlement et la violence au travail a vu
récemment le jour, reflétant la volonté des organisations représentatives de couvrir toutes
les situations possibles visant à transposer en droit national une directive européenne sur la
violence au travail. Cet accord a été signé par les cinq principaux syndicats français. En plus
de souligner la nécessité de mettre en place des procédures pour éviter, prendre en charge
et gérer ce type situations, il recense toutes les situations possibles (abus, menaces,
humiliations délibérées et répétées, mais aussi incivilités, absence de respect...). Cette
notion a par ailleurs été élargie, puisque le harcèlement peut désormais provenir aussi de
tiers (autre salarié, subalterne, client…) pour être caractérisé.
Enfin, en octobre 2009, en réaction à la vague de suicides touchant France Telecom et
Renault, le ministre du Travail, Xavier Darcos a annoncé la mise en place d’un plan
d’urgence de lutte contre le stress au travail imposant aux entreprises de plus de 1000
personnes de mettre en place un dispositif de prévention des risques psycho-sociaux (stress)
avant le 1er février 2010 .
Pour toutes ces raisons, les directions générales doivent prendre davantage en
considération le problème du harcèlement, qui doit être traité par des procédures
formalisées préétablies et rigoureusement suivies. Quelques exemples. Sensibilisés et
formés à cet enjeu, les managers doivent savoir faire la différence entre émulation et
harcèlement. La plainte d’un collaborateur auprès de sa DRH doit par ailleurs déclencher une
enquête interne immédiate. Enfin, les directions elles-mêmes doivent mettre en place une
veille juridique active sur cet enjeu, dont le cadre légal et réglementaire est loin d’être
encore stabilisé. Pour les entreprises, le harcèlement ne peut donc plus être ignoré et doit
être traité de façon proactive et préventive. Il en va du bien-être de leurs salariés, mais aussi
de leur propre sécurité juridique.
Constance Bouruet Aubertot,
Avocate associée chez Péchenard et associés
http://www.pechenard.com/