Vous êtes assis confortablement dans un fauteuil en cuir (un beau cuir), cigare à la main, et vous écoutez les frères Prado qui vous consultent. Ils vous racontent qu’ils se sont portés acquéreurs d’un tableau. Ils ont fait une bonne affaire en achetant en 1990 pour 1 Million d’euros une œuvre présentée alors comme une œuvre d’atelier (mise à prix 10 fois moins), et qui est estimée aujourd’hui (13 ans après) 50 fois plus, car il s’agirait en réalité d’une œuvre de maître. Leur problème c’est que maintenant le vendeur réclame son tableau, il prétend bien sûr que la vente est nulle, en se fondant sur l’article 1110 du Code civil, c’est-à-dire sur l’erreur sur la substance de la chose objet de la convention. Il y aurait alors vice du consentement. Quelles sont les chances d’une telle action et quels seraient les moyens de défense des frères Prado ?
Laissant de côté les problèmes périphériques, authenticité (et non pas valeur), erreur du côté du vendeur et non du côté de l’acheteur, vérité révélée postérieurement à la convention, etc., ce qui vous intrigue c’est que le cas vous rappelle confusément quelques affaires qui ont donné lieu à une jurisprudence. Poussin ou Fragonard, vous ne savez trop. Vous vous souvenez juste d’un TD avec M. Viguier. Vous promettez aux frères Prado de vous occuper de leur cause, et, ceux-ci aussitôt sortis, vous téléphonez à votre ancien chargé de TD. Celui-ci, qui est actuellement à Wall Street, commence par vous demander de lui rappeler le numéro de votre carte de crédit, et aussitôt après que vous lui ayez exposé l’affaire, il vous répond ceci :
« C’est très simple. Il convient, comme toujours dans ce genre de cas, de bien regarder ce qu’a été la conviction des contractants au départ, au moment du contrat, et de la comparer avec ce que l’on a cru ensuite. Il semble que l’on ne sache pas très clairement si au moment de la formation du contrat il y avait doute sur l’authenticité ou certitude quant à l’inauthenticité. De même, aujourd’hui, il n’est pas très sûr qu’il y ait certitude sur l’authenticité plutôt que persistance du doute.
« Or, dans votre affaire, peu importe que postérieurement l’œuvre soit reconnue comme certainement authentique, ou qu’il y ait seulement doute sur l’authenticité. Ce n’est pas la peine de se fatiguer de ce coté. Car tout va dépendre de la conviction du vendeur au moment de la conclusion de la vente.
Croyance initiale en l’inauthenticité
« En effet, dans l’hypothèse où au moment du contrat il y avait certitude (erronée) que l’œuvre n’était pas d’un maître, il y aura vice du consentement dans tous les cas.
« Déjà, à l’évidence, s’il apparaît qu’en réalité le tableau est authentique. Alors il y a, sans difficulté aucune, vice du consentement.
« Mais même si postérieurement au contrat il n’y a qu’un doute cela suffit à vicier le consentement. C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation [1], contre l’avis des juges du fond [2], dans l’affaire Poussin. Le vendeur avait été certain que le tableau n’était pas authentique, ensuite il n’y avait eu qu’un doute. Pour la haute juridiction il suffit que le vendeur ait eu la conviction que le tableau ne pouvait pas être un original pour que la naissance ensuite d’un doute suffise à constituer l’erreur. Le vendeur n’aura donc pas besoin de prouver que l’œuvre est réellement authentique pour montrer qu’il s’était trompé. Et donc, dès lors qu’au départ le vendeur est convaincu que le tableau était une œuvre d’atelier, son consentement sera vicié.
Doute initial sur l’originalité
« Au contraire, si au départ le vendeur avait un doute sur l’originalité de l’œuvre, cela suffit à établir que son consentement n’est pas vicié. Et cela quel que soit, encore une fois, la vérité qui apparaît ensuite.
« C’est l’évidence même lorsque le doute persisterait : doute au moment de la conclusion de la convention, doute ensuite : il n’y a pas d’erreur, pas de vice du consentement.
« Mais même si c’est la certitude de l’authenticité du tableau qui finalement l’emporte en réalité, il n’y aura pas non plus vice du consentement. Du moins est-ce ce que l’on peut déduire d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 12 juin 1985, rendu dans une affaire Fragonard, et que la Cour de cassation n’a pas censuré [3]. En l’espèce l’on avait vendu un tableau « attribué » à Fragonard, et il s’était avéré ensuite qu’il s’agissait bien d’une œuvre du maître. Lorsque l’aléa sur l’authenticité entre dans le champ contractuel plus personne ne peut alléguer l’erreur en cas de dissipation ultérieure de l’incertitude commune. Donc, doute ou certitude postérieurement au contrat, peu importe, l’erreur n’est pas admise dès lors qu’au départ il y a doute.
« En somme, et pour récapituler, si l’on a cru au départ que l’œuvre ne pouvait pas être authentique il y aura nullité de la vente tandis que s’il y avait un doute, non, et les frères Prado garderont leur tableau.
Intime conviction
« Qu’en est-il ? Les acquéreurs du tableau l’ont eux, eux, le doute, et ils ont pris le risque, mais le problème c’est de savoir si le vendeur l’avait, lui.
« A priori les apparences plaident pour le vendeur. Il n’aura aucun mal à montrer qu’il a cru que l’œuvre n’était pas authentique. Elle a été vendue comme une œuvre d’atelier, en plus c’est une erreur excusable puisqu’il a été fort diligent dans ses recherches. Certes, pas le commissaire-priseur, ou l’expert, qui n’a pas contacté M. Thuillier (il y aurait une action contre eux ? Mais est-ce que cela aurait changé qui que ce soit, que Thuillier soit consulté ?)
« Néanmoins la cause des frères Prado n’est peut-être pas désespérée. Ils peuvent soutenir que le vendeur avait en réalité, dans son intime conviction, un doute. A priori, encore une fois, le vendeur était certain de l’inauthenticité, mais dans sa conviction profonde il doutait. C’est l’inverse du cas du Fragonard. En effet, dans cette affaire Fragonard le vendeur était censé avoir accepté l’aléa, mais la Cour de cassation a bien noté [4] que s’il avait pu prouver que son intime conviction était la certitude (erronée) que le tableau n’était pas authentique, cela aurait tout changé, il y aurait eu vice du consentement. Ici c’est l’inverse, les acquéreurs doivent prouver que le vendeur, loin d’être convaincu de l’inauthenticité de l’œuvre (ce qui lui assure la nullité de la vente) en réalité doutait (ce qui écartera l’erreur).
« Ils pourront utiliser la lettre écrite par le commissaire-priseur (si par chance elle peut être versée au dossier l’affaire est gagnée), mais aussi les éléments de fait : la mise à prix qui aurait été la même en cas de doute, un doute qui n’aurait certainement pas été levé, les tergiversations, les expertises successives, etc.
« Bref, voilà les moyens. Quant aux chances, elles sont tout entières suspendues à la force de conviction que vous mettrez dans votre plaidoirie. »
Discussions en cours :
Je suis tellement content pour ces connaissances que j’ai découvertes dans cet arrêt.
Merci maître je suis bassirou wade étudiant à l’université cheikh anta diop de Daka senegal je fais la licence 2 en droit privé
Merci maître pour le commentaire je suis pierre Assiaham étudiant au Togo à l’Université de kara en L2 droit des affaires
ici j’ai pu trouver exactement l’explication entre l’erreur sur la substance et l’erreur sur la qualité incertaine,
merci, cela m’aidera beaucoup pour mon contrôle demain