HISTORIQUE
La création de la Commission Européenne a suivi quatre ans plus tard, le 18 mai 1954.
Il faudra encore attendre presque cinq ans pour qu’ai lieu la première élection des membres de la Cour Européenne des Droits de l’Homme par l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe.
La première session de l a Cour aura lieu du 23 au 28 février 1959 alors que la Cour ne sera solennellement installée que le 20 avril 1959, à l’occasion de la célébration du dixième anniversaire du Conseil de l’Europe.
En automne 1959, la Cour procède à l’élection de son Président, Lord Arnold Duncan Mc NAIR, citoyen britannique, qui assura la Présidence de la Cour de 1959 à 1965.
Suit à l’adoption de son règlement le 18 septembre, la Cour peut enfin rendre son premier arrêt ; le 14 novembre 1960 dans l’affaire Lawless contre Irlande qui est une affaire dans laquelle un membre présumé de l’IRA se plaignait d’avoir été détenu dans des conditions contraires à la Convention européenne de Droits de l’Homme.
Il convient de rappeler que ce premier arrêt était un arrêt statuant sur les exceptions préliminaires et questions de procédure qui avaient été soulevées tant par la Commission que par le Gouvernement irlandais, partie mise en cause.
A la suite dudit arrêt, le Président de la Chambre avait par ordonnance du même jour, fixé au 16 décembre 1960 le terme du délai dans lequel les Délégués de la Commission avaient à déposer leur mémoire, et au 5 février 1961 le terme du délai pour le dépôt du contre-mémoire du Gouvernement irlandais.
L’audience publique a eu lieu à Strasbourg les 7, 8, 10 et 11 avril 1961 et l’arrêt sur le fond a été rendu le 1 juin 1961, arrêt qui fut un arrêt de rejet, et qui estimait qu’en la cause les faits constatés ne révélaient pas, de la part du Gouvernement irlandais, une violation des dispositions de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
En 1998, la Nouvelle Cour a été installée.
Enfin, 48 ans plus tard, soit le 18 septembre 2008, la Cour rendait son 10 000e arrêt.
Quant-à la décision la plus récente publiée le 23 décembre 2010 par la Cour sur la base HUDOC, est l’affaire CHAVDAROV c. BULGARIE, du 21 décembre 2010, qui est également un arrêt de rejet.
Il ne faut cependant pas se leurrer, le fait que le 10 000ème arrêt a été rendu après 48 ans d’existence, ne signifie pas que la Cour est peu saisie.
Outre le fait que la saisine est de plus en plus fréquente, il convient de rappeler l’élargissement constant du Conseil de l’Europe au fil des années qui est passé de 10 pays à l’origine, à 47 Etats membres.
En effet, au début du troisième trimestre 2010, 145 à 150 000 requêtes étaient pendantes devant la Cour alors que fin 2009, ce chiffre s’élevait à 119 000 affaires.
Il est dès lors évident que la Cour frôle l’asphyxie et qu’il fallait d’urgence trouver une solution.
Il faut néanmoins préciser que la Cour rejette entre 85 et 90 pour cent des requêtes. La Cour a ainsi mis en place un filtrage d’une grande efficacité.
Il est dès lors vital, en cas de saisine de la Cour, de rédiger la requête avec soin pour espérer pouvoir passer le filtrage, bien que le franchissement de cette étape ne préjuge en rien de la solution qui sera adoptée par la Cour.
Le filtrage avait d’ailleurs fait l’objet d’un colloque le 10 septembre 2010, à la Cour de Strasbourg.
Il faut en retenir, du moins sans le domaine de la recevabilité, q’un certain nombre de d’éléments ont changé suite à l’adoption des protocoles 14 et 14 bis dont l’objectif était de trouver une solution pour désengorger la Cour avec notamment un nouveau critère de recevabilité qui est celui du préjudice peu important subi par la victime.
Par ailleurs, il faut souligner l’apparition du juge unique, l’émergence de nouvelles compétences pour les comités de trois juges et une modification dans la composition des chambres qui pourront éventuellement être composées de cinq juges au lieu de sept.
En d’autres termes, il appert du nouveau critère de recevabilité que la Cour sera parfois contrainte de rejeter une violation flagrante des droits de l’Homme en raison du préjudice peu important subit par la victime et ce au nom de son efficacité.
Il va dès lors de soit que cela peu risquer d’inciter des Etats peu scrupuleux à mettre en place une sorte de marge de tolérance dans sa façon de traiter ses ressortissants.
L’ENJEU DE LA RECEVABILITE DE LA REQUETE
Cet enjeu est devenu majeur.
En effet, il faut souligner qu’aujourd’hui, l’activité annuelle de la Cour est plus importante que l’activité de la Commission Européenne des Droits de l’Homme, qui était la structure précédente, durant les 40 années de l’existence de cette dernière.
Pour continuer à remplir son rôle de gardien des libertés, et à défaut d’une augmentation de ses moyens, la Cour Européenne des Droits de l’Homme doit réussir à trouver un équilibre entre les garanties individuelles et la préservation du mécanisme et la garantie de sa subsidiarité.
1) les rejets systématiques visant à préserver le mécanisme
Un certain nombre de requêtes feront l’objet d’un rejet après un rapide examen. Cela peut sembler choquant au vu de la raison d’être de la Cour mais une simple lecture des motifs de rejets justifie ces rejets.
En effet, il faut savoir que tout un chacun ayant le droit de saisir la Cour, il y aura forcément des saisines fantaisistes.
Il s’agit en premier lieu des requêtes anonymes ; un requérant doit pouvoir être identifié. La requête doit être faite nominativement.
Par contre, il existe une procédure qui permet au requérant d’être uniquement identifiable par la Cour. Il s’agit de la procédure instaurée par les articles 33 et 47 du règlement de la Cour qui permet à tout requérant qui souhaite garder l’anonymat de faire une demande motivée en ce sens au moment où il remplit le formulaire de requête ou le plus tôt possible, si la requête a déjà été déposée. Sa demande doit préciser ‘l’impact qu’aurait sur lui, la divulgation de son identité.
Il appartient ensuite au Président de la Cour de statuer.
Dans les requêtes qui sont systématiquement rejetées, se trouvent également les requêtes abusives ou qui démontrent de la part du requérant, une intention de nuire, un préjudice supposé particulièrement ridicule ou encore une requête insultante.
L’arrêt Bock C. Allemagne 19 janvier 2010 est un exemple particulièrement flagrant de la requête abusive comportant un préjudice particulièrement ridicule (7,99 € pour un salaire de 4500 € )
Sont également rejetées dès le début les requêtes présentant un grief qui a déjà été examiné par une autre instance internationale ainsi que celles qui présentent un grief dit « essentiellement le même » qu’une autre affaire déjà jugée ou tout simplement celles qui comportent les mêmes griefs et les mêmes parties qu’une décision déjà rendue.
Suite à cette première approche, il convient de s’assurer que la requête entre bien dans le champ de la compétence de la Cour ; les rejets pour ce type de motifs ne sont cependant pas significatifs, puisqu’il s’agit d’environ 5 % des requêtes rejetées.
Les rejets les plus significatifs sont ceux qui concernent des requêtes qui entrent dans le champ de la Convention mais pas dans le champ de la violation. Il s’agit là des requêtes manifestement mal fondées, excluant tout doute raisonnable.
Il s’agit là de 70% des rejets, cela va de la requête confuse et mal étayée jusqu’à la non-satisfaction de la décision rendue par le juge interne.
Il y a également le cas de la requête qui va contre la jurisprudence de la Cour ; celle-là sera aussi déclarée irrecevable.
Ce motif de rejet peu sembler peu pertinent, dès lors que d’une certaine façon cela va empêcher tout revirement de jurisprudence de la Cour.
Néanmoins, la jurisprudence n’est pas statique, l’interprétation évolue en fonction des cas et la nption d’épuisement des recours internes a par exemple, fait l’objet d’une évolution certaine dans le temps.
D’autre part, il est évident qu’il faille faire des choix, dès lors q’un examen systématique de toutes les requêtes comme cela se fait en droit interne bloquerait la Cour en moins de 6 mois.
L’ensemble de ces critères a pour objectif de protéger le mécanisme de la Cour.
2) les rejets du fait de la subsidiarité de la Cour.
En tout premier lieu vient le critère de l’épuisement des voies de recours internes.
Ce critère est à l’origine de 10% des rejets.
Cependant, concernant le recours interne, Il faut rappeler que ce recours doit exister, être effectif et disponible.
Du point de vue procédural, les recours doivent être faits conformément à la procédure existante et dans les délais et le grief doit être indiqué de suite. Il peut cependant être soulevé en substance.
Enfin, la première lettre ou la requête qui articule suffisamment les griefs doit arriver à la Cour dans les 6 mois, soit du lendemain de la décision querellée soit de la notification si elle est prévue dans la loi interne.
13 % des rejets viennent du fait que le requérant a épuisé des recours qu’il n’avait pas à épuiser, ce qui a rendu sa requête tardive.
Le recours doit ensuite être effectif. C’est à dire qu’il doit être possible et offrir des chances raisonnables de succès.
Enfin, ce recours doit être disponible, c’est à dire que la personne doit pouvoir l’exercer dans des conditions raisonnables et ce recours doit pouvoir avoir des chances d’aboutir dans des délais acceptables.
Lorsqu’un gouvernement invoque l’existence du recours effectif et disponible, c’est à lui de prouver que ce recours existe et qu’il répond aux critères fixés par la Cour.
3) Le nouveau critère du protocole 14
Ce nouveau critère permet à la Cour de rejeter la requête dès lors que le requérant n’a subit aucun préjudice important.
Ce nouveau critère implique cependant que l’absence d’examen de la requête sur le fond ne soit pas contraire aux droits garantis par la Convention et ses Protocoles, et que le bien–fondé de cette requête ait été examiné de façon adaptée par une juridiction interne.
Nul doute que ce nouveau critère fera couler beaucoup d’encre.
Dans la décision Adrain Miahi Ionescu C.Roumanie rendue le 1er juin 2010, soit le jour même de l’entrée en vigueur du Protocole n° 14, la Cour a écarté une requête au motif que le préjudice subi par le requérant n’est pas « important ». Elle applique ainsi pour la première fois le nouveau critère de recevabilité introduit à l’article 35 § 3 par le Protocole n° 14 à la CEDH. Il s’agissait en l’espèce d’un routier dont le préjudice était d’un montant inférieur à 100 euros.
En fait il s’avère que le préjudice et notamment son importance, prend un caractère central dans le cadre de l’appréciation de la recevabilité.
LE PREJUDICE POINT CENTRAL EN MATIERE DE RECEVABILITÉ
La nature du préjudice doit s’apprécier sous tous ses aspects ; le préjudice matériel ou monétaire d’un coté et de l’autre les enjeux subjectifs du litige.
Enfin, il faut rappeler ce qui semble être une évidence, mais pour pouvoir actionner la Cour, il faut bien entendu être victime de violation de la Convention, mais il faut que l’Etat irrespectueux de la Convention soit adhérent à la Convention Européenne des droits de l’Homme.
Le statut de victime du requérant
En effet, il faut que la victime ait le statut de victime pendant toute la durée de la procédure.
La perte du statut de victime va poser un réel problème de recevabilité.
Il faut cependant savoir qu’une mesure favorable au requérant ne suffit en principe pas à enlever la qualité de victime au requérrant. Il faut de plus que l’Etat concerné ait reconnu et réparé la violation
L’état concerné doit avoir reconnu la violation des droits du requérant
L’Etat qui s’est rendu coupable de la violation doit reconnaître ses torts bien qu’en pratique ce soit relativement rare.
Il arrive par contre de plus en plus souvent que l’état répare mais ne reconnaît pas la violation des droits du requérant
Dans l’affaire Labita C. Italie (6 avril 2000, requête N°26772/95) M. Labita s’était plaint de mauvais traitements dans une prison Italienne et notamment de tortures et autres traitements dégradants.
Le gouvernement Italien n’avait pas fait d’enquête approfondie, bien au contraire, l’enquête avait fait preuve d’une redoutable inertie pour éviter que les gardiens de la prison mis en cause et responsables de ces mauvais traitements soient identifiés.
Le gouvernement Italien avait alors tenté de faire juger que monsieur Labita avait perdu la qualité de victime dès lors que la Cour de Palerme lui avait accordé des dommages intérêts du fait de ces mauvais traitements.
La Cour a néanmoins estimé que monsieur Labita n’avait pas pu perdre la qualité de victime dès lors que l’Etat n’a pas fait procéder à une enquête approfondie, n’avait pas reconnu la qualité de victime de monsieur Labita et s’était simplement contenté de l’indemniser. Ce faisant monsieur Labita n’avait pas pu perdre le statut de victime et la Cour a condamné l’Italie pour violation de l’article 3.
En fait la reconnaissance explicite de la qualité de victime par l’Etat est très rare. Cela avait eu lieu dans l’arrêt Freimanis et Lidums contre Lettonie, mais les autres circonstances de l’arrêt ont fait que malgré cette reconnaissance, la Cour a néanmoins condamné la Lettonie.
Par contre, l’arrêt Acchour c.France du 11 mars 2004 est un exemple de cas dans lequel l’Etat , en l’occurrence la France avait reconnu en substance la qualité de victime du requérant, ceci en changeant sa réglementation. Les autres circonstances de l’arrêt avaient néanmoins amené la France à se faire condamner.
L’Etat concerné doit avoir réparé la violation
Toujours dans l’affaire Freimanis c. Letonnie, la Létonnie avait certes reconnu la qualité de victime au requérant et ce explicitement, par une décision d’une juridiction interne, mais n’avait pas réparé le préjudice résultant de la violation de la Convention.
Le degré de contrôle de la reconnaissance et de réparation
Du point de vue de la reconnaissance de la violation du droit protégé
Le contrôle de la Cour est devenu moins strict en matière de reconnaissance du statut de la victime par l’Etat concerné. Dans l’arrêt Eckle C. Allemagne (15 juillet 1982) la Cour exigeait une reconnaissance expresse de la violation des droits du ou des requérants en précisant « De ce qui précède, il ressort qu’aucune des juridictions compétentes n’a reconnu expressément une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). »
Au fil du temps cette exigence est devenue moins stricte et la Cour accepte aujourd’hui une reconnaissance en substance de la violation des droits du requérant.
Il faut souligner que la reconnaissance explicite de la violation, telle qu’elle avait eu lieu dans l’affaire Freimanis c. Lettonie est rarissime
Du point de vue de la réparation
Le contrôle de la réparation est par contre, très strict.
Toujours dans l’affaire Leimanis, alors que le gouvernement Letton avait reconnu expressément la violation des Droits du requérant, l’absence notamment de réparation du préjudice avait néanmoins amené la Cour à condamner la Lettonie.
Par ailleurs, la Cour exige que la réparation soit raisonnable comme dans l’arrêt Tews C Austria 30 novembre 1999 et qu’elle ait un caractère adéquat et approprié : arrêt Cataldo C. Italie 3 juin 2004 ;
En définitive, pour avoir une chance de voir sa requête aboutir, il convient de prendre en compte l’ensemble des critères de recevabilités mis en place pour franchir la première étape.
Il est cependant rappelé que la recevabilité ne préjuge en rien de la suite qui va être accordée à la requête.
Si 85 à 90 % des requêtes sont déclarées irrecevables, cela ne signifie pas que les 15 à 10 % restant vont obligatoirement déboucher sur un arrêt de condamnation.
En tout état de cause, il ne faut jamais hésiter à consulter la jurisprudence de la cour sur le HUDOC qui est le site gratuit et en ligne de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et qui publie notamment l’intégralité des arrêt et surtout à se défaire de sa vision de juriste national dès lors que la Cour rend des décisions concernant 47 Etats qui ont des systèmes juridiques aussi différents que les systèmes de Droit Roman ou la Common Law.
Cathy NEUBAUER
Avocat