Computation de la durée d’une procédure d’examen contradictoire de la situation fiscale personnelle.

Par Thomas Colasson, Fiscaliste.

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Explorer : # contrôle fiscal # durée de procédure # droits du contribuable # prorogation des délais

Conseil d’État, 9e et 10e ss-sect., 23 juin 2014, n° 355705, M. et Mme Da Silva

Saisi d’une demande d’annulation d’un non-lieu prononcé par la Cour administrative d’appel de Paris, le Conseil d’État rappelle les règles de computation de la durée de la procédure d’examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de l’article L. 12 du livre de procédure fiscale.

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Le Conseil d’État confirme qu’en principe, les délais de prorogation de la procédure se cumulent entre eux. Néanmoins, il en va différemment lorsque plusieurs de ces délais courent de manière concomitante.

Par ailleurs, la haute juridiction précise qu’il y a lieu de distinguer chacune des années vérifiées pour le calcul des délais de prorogation.

L’arrêt précise enfin que le délai nécessaire à l’administration pour obtenir les relevés de compte de la fille d’un couple de contribuables, alors que celle-ci n’est plus rattachée au foyer fiscal de ses parents, ne peut être pris en compte pour proroger la durée de la procédure d’examen contradictoire de la situation fiscale personnelle.

1. Contexte : La procédure de l’ESFP encadrée dans le temps.

L’article L. 12 du livre de procédure fiscale (LPF) définit l’examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP) comme le contrôle de la cohérence entre d’une part, les revenus déclarés, d’autre part, la situation patrimoniale, la situation de trésorerie ainsi que les éléments de train de vie des membres du foyer fiscal. Cet examen a pour objectif de vérifier la sincérité et l’exactitude de l’ensemble des revenus. Il se matérialise par un examen des déclarations faites par le contribuable par comparaison aux informations portant sur la situation économique de celui-ci.

Compte tenu du caractère particulièrement intrusif de l’ESFP, les contribuables faisant l’objet d’une telle procédure bénéficient de garanties spécifiques venant s’ajouter aux garanties de droit commun existantes en matière de contrôle fiscal. Parmi ces garanties spécifiques, l’article L.12 du LPF alinéa 3 prévoit que, sous peine de nullité de l’imposition, un ESFP ne peut s’étendre sur une période supérieure à un an à compter de la réception de l’avis de vérification.
Cette durée est portée à deux ans en cas de découverte en cours de contrôle d’une activité occulte ou, lorsque la procédure de communication par l’autorité judiciaire de renseignements à l’administration fiscale a été mise en œuvre dans le délai initial d’un an.

En outre, le législateur a prévu au sein de ce même article la prorogation de cette durée maximale dans quatre cas :

- le premier cas correspond au délai excédant les deux mois initialement prévus à l’article L. 16 A du LPF accordé, le cas échéant, au contribuable pour répondre à une demande d’éclaircissements ou de justifications ;

- il s’agit, en deuxième lieu, du délai de trente jours prévu par le second alinéa de l’article L. 16 A pour permettre au contribuable de répondre à une mise en demeure aux fins de compléter une première réponse jugée insuffisante ;

- le troisième cas correspond au délai nécessaire à l’Administration pour obtenir les relevés de compte lorsque le contribuable n’a pas usé de sa faculté pour les produire dans un délai de soixante jours à compter de la demande de l’Administration ;

- enfin, le quatrième cas est lié à la période nécessaire pour recevoir les renseignements demandés aux autorités étrangères lorsque le contribuable a disposé de revenus à l’étranger ou provenant directement d’une source étrangère.

2. Une interprétation stricte de la loi et protectrice des droits du contribuable.

L’arrêt du 23 juin 2014 apporte des précisions sur la position adoptée par le Conseil d’État quant à la durée de la procédure de l’ESFP.

En l’espèce, l’administration fiscale a adressé aux époux Da Silva des notifications de redressement relatives à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales. Cette notification est intervenue à l’issue d’un examen contradictoire de leur situation fiscale portant sur les années 1998, 1999 et 2000.

Au titre de l’année 1999, l’administration fiscale a prolongé la durée de la procédure de l’ESFP en y ajoutant le délai imparti au contribuable pour compléter sa réponse à une demande d’éclaircissements ou de justifications ainsi que le délai nécessaire à l’Administration pour recevoir les renseignements demandés ou obtenir les relevés de compte non produits par le contribuable dans le délai imparti. Or, pour l’année 1999, ces deux délais se chevauchaient.

Par ailleurs, au titre de l’année 2000, l’Administration a prolongé la durée de l’ESFP du délai nécessaire à l’Administration pour obtenir les relevés de compte de la fille majeure des époux Da Silva alors même que celle-ci n’était plus rattachée à leur foyer fiscal au titre de cette année.

Les époux Da Silva ont saisi le Conseil d’État après que la Cour administrative d’appel de Paris a rejeté leur requête. Les juges du Palais Royal annulent l’arrêt de la cour d’appel de Paris en ce qui concerne les années 1999 et 2000. L’affaire est renvoyée à la Cour administrative d’appel.

Le Conseil d’État répond ainsi aux demandes des requérants concernant l’articulation de ces différents délais de prolongation de l’ESFP (a) tout en apportant des précisions nécessaires sur la computation de la durée de la procédure (b).

a) L’articulation des différents délais de prolongation.

Le Conseil d’État rappelle, qu’en principe, le délai imparti au contribuable pour compléter sa réponse à une demande d’éclaircissements ou de justifications se cumule avec le délai nécessaire à l’administration pour recevoir les renseignements demandés ou bien obtenir les relevés de compte non produits par le contribuable dans le délai imparti.

Le Conseil d’État précise cependant qu’il en va autrement lorsque ces délais courent de manière concomitante. Le délai d’un an prévu par l’article L. 12 du LPF n’est alors prorogé qu’à concurrence du nombre de jours pendant lesquels ces délais ne se recouvrent pas.

Cette position est constante depuis 2009 [1] et trouve sa justification dans le fait que ces procédures d’investigation, toutes deux nécessaires au contrôle, n’ont pas le même objet pour l’Administration. Cette solution apporte une garantie au contribuable quant à la durée de la procédure et apparaît conforme à la volonté du législateur.

b) La computation année par année.

La Haute Juridiction dit explicitement qu’il y a lieu de distinguer chacune des années vérifiées pour le calcul des délais de prolongation. Cette précision est importante car elle ne se déduit pas directement de l’article 12 du LPF et peut s’avérer très profitable au contribuable comme cela est le cas en l’espèce.

Par ailleurs, la haute juridiction précise que le délai nécessaire à l’administration pour obtenir les relevés de compte de la jeune femme majeure, alors que celle-ci n’est plus rattachée au foyer fiscal de ses parents, ne peut être pris en compte pour proroger la durée de la procédure d’ESFP.

La computation des délais supplémentaires, année par année, a des conséquences concrètes. En l’espèce, la fille des requérants était rattachée au foyer fiscal de ces derniers au titre de l’année 1999, mais elle ne l’était plus au titre de l’année 2000. Or, la Cour d’appel, en ne distinguant pas la situation de ces deux années, a méconnu, pour l’année 2000, la garantie de l’article L. 12 du LPF limitant à un an la durée de l’ESFP. Conformément à l’article précité, cette erreur doit conduire à la nullité de l’imposition pour l’année concernée.

L’appréciation stricte des garanties de l’ESFP faite par le Conseil d’État s’avère protectrice des droits du contribuable et obligera l’Administration fiscale à la plus grande rigueur dans la computation de la durée de l’ESFP. Les conseillers devront désormais s’assurer que la situation de leur client n’a pas évolué durant la période contrôlée et que l’Administration s’est livrée à une computation rigoureuse en distinguant les années contrôlées.

Thomas Colasson
Fiscaliste

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Notes de l'article:

[1CE, 8e et 3e ss-sect., 11 déc. 2009, n° 300733, M. et Mme Lebard ; CE, 8e et 3e ss-sect., 11 oct. 2012, n° 346691, min c/ Malycki Edwards

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