Comment remettre in bonis une entreprise en liquidation judiciaire.

Par Benoît Deltombe, Avocat.

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Explorer : # liquidation judiciaire # redressement judiciaire # droit des entreprises # procédure civile

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Analyse : Périclès (495-429 avant notre ère) écrivait :

« Il n’est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage ».

Si le bonheur est, en France, au troisième millénaire, tel qu’il était en Grèce, voici vingt-cinq siècles, j’ai l’honneur de solliciter qu’il vous plaise bien vouloir scanner cet arrêt afin de l’intégrer dans votre documentation, le publier et le diffuser auprès de vos (é) lecteurs, abonnés et adhérents, enfin, le communiquer à vos services juridiques afin qu’ils le mettent en application.

Hormis une poignée de spécialistes, la sphère politico-médiatique ne connaît que la justice pénale ; un ou plusieurs hommes politiques, un ou plusieurs journalistes sont-ils invités à débattre de justice, pendant 10.000 heures s’il le faut, ils ne débattront que de justice pénale, jamais ils n’épuiseront le sujet : la justice des honnêtes gens échappe à leur entendement.

A l’inverse, la principale préoccupation du citoyen de base est l’économie, notamment sa conséquence en matière d’emploi, à savoir le chômage.

C’est dire, par conséquent, que si une décision judiciaire, certes inaccessible à la sphère politico-médiatique, a une incidence en matière d’emploi, elle concerne au premier chef le citoyen de base.

Cette observation préliminaire s’inscrit dans le contexte très particulier que constitue le fonctionnement de nos institutions : la France est certes un Etat de droit, mais elle-même, à ma connaissance, est le seul Etat au monde qui soit un triple Etat de droit.

Dans la trilogie des frères WACHOWSKI, reprenant la métaphore de PLATON, il est donné au héros de passer du monde apparent au monde réel, la matrice.

Or, aujourd’hui, il existe trois référentiels :

a) Le premier référentiel est celui du 21 mars 1804, date de promulgation du Code Civil, c’est celui de la Justice, hormis, comme en l’espèce, à la Cour de Cassation.

Certes, les magistrats prennent en considération les lois actuelles, qu’ils considèrent comme nées dans un cadre exclusivement national. Dit ainsi, c’est surprenant, mais on le touche du doigt à l’audition du rapport prescrit, en début d’audience, par les articles 785 et 910 du Code de Procédure Civile.

En effet, quand des moyens tirés du droit communautaire ou de la Convention Européenne des droits de l’homme sont invoqués dans les conclusions, ils sont repris au rapport, sans herméneutique.

Pour autant, quand les conséquences en résultant sont exposées dans sa plaidoirie par l’avocat, celui-ci peut se voir interpellé par la juridiction, ce qui entraîne, pendant la suite de ladite plaidoirie, la relecture par les magistrats des conclusions, pour constater que les moyens articulés y figurent.

Certes, quand la décision est rendue, un mois plus tard, celle-ci reprend les moyens invoqués pour dire et juger n’y avoir lieu à leur mise en œuvre, à l’instar du schéma classique du droit international public, lequel n’oblige que les Etats, non les particuliers.

Symétriquement, quand un arrêt rendu par la Cour Européenne des droits de l’homme sanctionne une décision française, celui-là, se propageant comme la foudre, est commenté sous le manteau, mais aussitôt oublié, cage de Faraday oblige.

b) Le deuxième référentiel est celui du 25 mars 1957, date de signature du Traité de Rome, complété par celui de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009.

Ce référentiel est celui du Parlement, ce qui se conçoit, puisqu’aussi bien les deux tiers des lois et règlements sont des transpositions de Directives communautaires.

c) Enfin, le troisième et dernier référentiel est celui du 2 octobre 1981, date de ratification par la France de l’actuel article 34 de la Convention Européenne des droits de l’homme, c’est-à-dire le droit de requête individuelle : tout justiciable, après avoir épuisé les voies judiciaires de droit interne (Tribunal, Cour d’Appel, Cour de Cassation), peut, dans un délai de six mois, saisir la Cour de Strasbourg afin de faire contrôler par celle-ci le respect par les autorités nationales de la Convention Européenne des droits de l’homme.

C’est à cette gymnastique intellectuelle qu’est rompue une profession méconnue, celle d’avoué à la Cour, dont le Rapport de la « Commission pour la libération de la croissance française », de janvier 2008, décision 213, prescrivait la suppression sans indemnisation, s’attirant, le 6 février 2008, cette réplique de M. Jacques MYARD, député-maire UMP de MAISONS-LAFFITTE : « Le rapport ATTALI est une imbécillité complète, c’est un tissu de platitudes et même une escroquerie ».

Il existe en effet deux Europes, à savoir, d’une part, l’Union Européenne (27 membres, Traité de Rome du 25 mars 1957) dont l’organe juridictionnel de contrôle est la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE), siégeant à Luxembourg ; et, d’autre part, le Conseil de l’Europe (47 membres, Traité de Londres du 5 mai 1949), dont l’organe juridictionnel de contrôle est la Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH), siégeant à STRASBOURG.

Or, s’il existe un droit de requête individuelle à Strasbourg, à l’inverse, il n’existe pas de droit de requête individuelle à Luxembourg.

C’est dire, par conséquent, que si une règle de droit communautaire (deuxième référentiel) a été violée par une juridiction nationale française, appliquant le droit national (premier référentiel), la seule possibilité de faire sanctionner cette violation est de saisir la Cour de Luxembourg (troisième référentiel) : en d’autres termes, utilisant une rupture dans l’espace-temps, l’on quitte le premier univers en direction du troisième, afin d’atteindre le deuxième univers.

A l’origine, s’agissait-il d’une discothèque exploitée par M. Gilles MENARD, sous la forme de deux structures sociales, à savoir la SCI Château GAILLARD pour les murs de boutique, et la SARL GML LA CHARMILLE pour le fonds de commerce.

Cette discothèque, ayant connu, en raison de la crise économique, une moindre fréquentation, son gérant avait déposé le bilan, le 13 juillet 2007, entraînant, le 17 juillet, un jugement de redressement judiciaire du Tribunal de Commerce du MANS.

La période d’observation avait donné lieu à un jugement du 8 janvier 2008, renouvelant la période d’observation pour une durée de six mois (soit au 8 juillet 2008) avec rappel à trois mois (soit au 8 avril 2008).

Deux états comptables avaient été remis au représentant des créanciers, arrêtés respectivement au 29 février et au 31 mars 2008 : dans le premier état, les prémisses financières, partant, la conclusion étaient franchement mauvaises ; en revanche, dans le second état, l’amélioration de la fréquentation faisant ressortir des prémisses financières, partant, une conclusion nettement meilleures, permettaient de présenter un plan de redressement viable.

Par conséquent, lorsque le gérant des sociétés a reçu, le 9 janvier 2008, lendemain du jugement du 8 janvier 2008, par pli recommandé, du greffe du Tribunal de Commerce, une convocation pour l’audience du 8 avril, il ne s’est pas alarmé, pensant que le dernier état comptable arrêté au 31 mars, et remis au représentant des créanciers le 4 avril, serait validé, permettant de reconduire la poursuite de la période d’observation jusqu’à la validation d’un plan de redressement pour l’audience finale du 8 juillet 2008.

Cependant, lors de l’audience du 8 avril 2008, le gérant a vu le représentant des créanciers remettre aux trois juges du fond, ainsi qu’au Procureur de la République, un document dont le contenu ne lui a pas été communiqué.

Le même gérant a vu, lors de l’audience, le Procureur de la République conclure à la poursuite de la période d’observation, sous condition de se voir fournir des éléments comptables suffisamment probants.

Enfin, le gérant a été invité à quitter la salle d’audience afin de permettre au Tribunal de délibérer.

Or, la salle d’audience présente cette caractéristique qu’elle ne comporte qu’une seule porte, c’est-à-dire que toute personne non sortie par celle-ci a donc nécessairement participé au délibéré.

Une demi-heure après, le gérant était rappelé pour se voir notifier la liquidation judiciaire immédiate des deux sociétés, le jugement étant exécutoire par provision, sans même avoir été signifié, signé, voir simplement rédigé.

Appel en était interjeté le 14 avril 2008.

Parallèlement, un huissier se rendait, le 10 avril 2008, au greffe du Tribunal de Commerce du MANS, afin de dresser constat de tous les documents relatifs à cette procédure, particulièrement les modalités de la convocation du gérant et du représentant des salariés, les notes d’audience reprenant les conclusions du Procureur de la République, la décision du Tribunal, l’absence de toute motivation de cette décision, ainsi que l’absence au dossier du Tribunal du document remis lors de l’audience par le représentant des créanciers.

Ultérieurement, le jugement était rédigé, signé, puis signifié par acte d’huissier du 30 avril 2008.

Dans la motivation, par conséquent rédigée entre le 10 et le 30 avril 2008, il y était dit que le Procureur de la République avait requis la liquidation judiciaire immédiate.

Or, il apparaissait ainsi une contradiction entre, d’une part, le registre d’audience (ou plumitif) tenu par le greffier lors de l’audience du Tribunal de Commerce, d’autre part, le jugement lui-même, étant observé que, tant le plumitif, que le jugement, sont tous deux des actes authentiques, faisant foi jusqu’à inscription de faux.

Dans les conclusions du 13 octobre 2008, divers moyens étaient articulés.

Par ordre chronologique, le premier était évidemment tiré de l’irrégularité de la convocation du gérant, car, s’agissant d’une liquidation judiciaire sur saisine d’office par le Tribunal, celle-ci n’aurait pu intervenir que sur la base d’une note rédigée par le Président de cette juridiction, note annexée à la convocation.

Cette règle technique découle d’une observation de bon sens : quand un justiciable est convoqué devant un juge, à tout le moins faut-il lui expliquer à quelle sauce il va être mangé.

Or, si le jugement lui-même pouvait être attaqué par d’autres moyens, en revanche, attaquer l’acte introductif d’instance lui-même est beaucoup plus redoutable : en effet, par définition, un acte introductif nul (assignation, convocation, requête) ne peut pas valablement saisir le Juge de première instance.

Or, comme le premier effet de l’appel est l’effet dévolutif, c’est-à-dire qu’il arrache l’entier litige à la compétence du premier juge, pour la transférer à celle du juge d’appel, si, en raison de la nullité de la convocation, le juge de première instance n’a jamais été saisi, il s’ensuit que le juge d’appel ne peut pas être davantage saisi que ne l’avait été le premier juge.

Autrement dit, même si la Cour d’Appel pouvait, non seulement infirmer, mais encore et surtout annuler le jugement, à partir du moment où le premier juge n’avait jamais été saisi, la Cour d’Appel, par conséquent non saisie, ne pouvait pas, à son tour, se saisir d’office : elle ne pouvait qu’annuler l’acte introductif d’instance, le jugement entrepris, constater la nullité de l’entière procédure, constater l’impossibilité pour elle de se saisir d’office, en conséquence, dire et juger n’y avoir lieu de statuer sur le fond et renvoyer la partie la plus diligente à mieux se pourvoir.

En d’autres termes, il fallait tout reprendre à zéro.

C’est précisément la conclusion à laquelle est parvenue la juridiction régulatrice, à savoir une cassation sans renvoi.

L’entière procédure est donc annulée ab initio, les deux sociétés sont remises sous le régime antérieur du redressement judiciaire, en sorte qu’il appartiendra à présent au Tribunal de Commerce d’homologuer, s’il y a lieu, un plan d’apurement du passif, après réouverture de la discothèque.

Si, entre-temps, le fonds de commerce et les immeubles ont été cédés, et s’il se révèle impossible d’annuler la vente, le gérant, le cas échéant, serait fondé à assigner l’Agent Judiciaire du Trésor (AJT) devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS, afin d’obtenir la réparation de son préjudice, au visa de l’article L 141-1 du Code de l’Organisation Judiciaire, lequel dispose :

« L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ».

« Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ».

Il faut, à ce degré de l’exposé, souligner le comportement exemplaire du Ministère Public.

Devant le Tribunal, le Procureur a conclu à la poursuite de la période d’observation, ce qui s’induisait, eu égard à l’exploitation du mois de mars, justifiée le 4 avril et expliquée oralement par le gérant lors de l’audience du 8 avril.

Devant la Cour d’Appel, le Procureur Général, s’il a sollicité l’application de la loi, a surtout, pour le respect du principe contradictoire, communiqué le document qui avait été remis, lors de l’audience du 8 avril, par le représentant des créanciers au Procureur de la République.

Il s’est alors avéré que, par une erreur de classement, bien compréhensible lors de travaux de photocopie effectués le matin de l’audience, les prémisses de la situation comptable au 29 février 2008 avaient été agrafées par erreur au plan prévisionnel du 4 avril 2008, c’est-à-dire celui résultant de la situation comptable au 31 mars.

Cette erreur de classement et agrafage expliquait la légitime interrogation du Tribunal, ne parvenant pas à comprendre comment une situation comptable catastrophique pouvait déboucher sur un plan prévisionnel optimiste.

Enfin, devant la Cour de Cassation, l’Avocat Général, aujourd’hui membre du Parquet, mais précédemment Juge du fond, en l’espèce Conseiller à la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation, formation spécialisée en matière de procédure civile, a vraisemblablement eu un rôle déterminant dans la décision prise par la juridiction régulatrice.

Une particularité de l’arrêt ci-joint est que la Cour de Cassation avait été saisie de cinq moyens successifs, chacun se fondant sur des dispositions, tant du droit national (premier référentiel), que de la Convention Européenne des droits de l’homme (troisième référentiel).

En d’autres termes, il était clair, au vu du mémoire ampliatif, que, si les sociétés demanderesses au pourvoi n’étaient pas entendues, le débat se poursuivrait automatiquement à STRASBOURG.

C’est par conséquent ainsi que la juridiction régulatrice, saisie de cinq moyens successifs, a statué uniquement sur la base du premier moyen, encore, pris en sa première branche (absence de motivation sur saisine d’office), omettant par conséquent la seconde branche du même moyen, à savoir l’absence d’effet dévolutif de l’appel consécutive à la nullité de la convocation en justice.

Examinons à présent les quatre derniers moyens, abandonnés, comme surabondants, par la Cour de Cassation :

- le deuxième moyen, à savoir l’absence de publicité des débats, est un classique méconnu : à elle seule, elle permettrait de faire annuler la totalité des jugements de procédure collective, tant en matière de redressement, que de liquidation judiciaire ;

- le troisième moyen, appuyé par des attestations, est tiré de la participation du Ministère Public au délibéré du Tribunal. A cet égard, la jurisprudence de la CEDH, ayant déjà donné lieu à un arrêt de la première Chambre, frappé d’un recours devant la Grand’ Chambre, recours actuellement en cours d’instruction (affaire MEDVEDYEV, requête n° 3394/03), est un moyen extrêmement solide ;

- le quatrième moyen est tiré de la contradiction entre le plumitif et le jugement. A l’origine, le constat d’huissier était destiné à démontrer l’absence de motivation du jugement, ce qui aurait entraîné une cassation automatique ;

- enfin, le cinquième et dernier moyen, pris en ses deux branches successives, se fonde sur la contradiction de motifs de l’arrêt cassé, eu égard à la situation comptable et au plan prévisionnel pour les mois de février et mars 2008, au classique visa de la dénaturation d’une pièce de fond (première branche) et de documents comptables complémentaires justifiant tout à la fois d’une augmentation des recettes et d’une diminution des dépenses (seconde branche).

Le tout, sans même évoquer le lapsus ordinationis, commis lors de l’audience du Tribunal, et révélé lors des débats d’appel.

Il s’avère donc que le chômage, principale préoccupation de nos concitoyens, n’est pas étranger à ce qui, précisément, crée l’emploi, à savoir les entreprises. Avant de créer de nouvelles entreprises, encore faut-il conserver celles qui existent, c’est-à-dire permettre à celles connaissant des difficultés passagères de se rétablir, afin de ne liquider que celles dont la situation est irrémédiablement compromise.

B. DELTOMBE
Avocat

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