Ainsi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a-t-il eu l’occasion de préciser que la signature électronique d’un marché suppose celle de l’acte d’engagement et non pas simplement le fichier zip qui le contient (TA Toulouse, ord. réf., 9 mars 2011, Sté MC2I, n° 1100792) et la Cour administrative d’appel de Bordeaux de rappeler avec bon sens que les dispositions impératives du règlement de consultation devaient être respectées (CAA Bordeaux, 31 mars 2011, Cne du Lamentin, n°10BX01752) tandis que le juge administratif de Nancy estime qu’un candidat ne peut mettre en cause une plate-forme de dématérialisation qui n’aurait pas présenté les caractéristiques d’un réseau informatique accessible de façon non discriminatoire alors qu’il n’a pas fait appel à l’assistance hotline pour résoudre cette hypothétique difficulté (TA Nancy, 20 janvier 2011, SA EGT, n° 1100005).
Suivant la logique des petits pas si chère à Jean Monnet et Robert Schuman, le Conseil d’Etat devait naturellement être saisi de ces problématiques. Et il le fût tout à fait récemment, dans une affaire dont il convient de bien repréciser les faits.
Par un avis d’appel public à la concurrence publié le 22 décembre 2011, le département des Hauts-de-Seine a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un marché à bons de commande portant sur des « prestations d’assistance à maîtrise d’œuvre, maîtrise d’ouvrage et d’architecture pour la mise en œuvre de la feuille de route des systèmes d’information et acquisition d’une solution d’architecture associée ».
Trois groupements ont présenté une candidature. A l’issue de l’ouverture des plis, il a été demandé, le 2 mars 2012, à l’ensemble des candidats de compléter leurs candidatures par l’intermédiaire de la plate-forme de dématérialisation des marchés publics du département avant le 9 mars. Lors de la réunion d’ouverture des compléments de candidatures, il a été constaté que seuls deux des candidats avaient répondu à la demande de pièces complémentaires. La commission d’appel d’offres a dès lors déclaré la candidature du groupement n’ayant pas apporté les compléments demandés comme étant incomplète. En outre, à la suite de l’examen des offres des deux autres candidats, elle, a, conformément aux dispositions des articles 58-III et 59-III du Code des marchés publics, déclaré la procédure infructueuse ; les offres ayant été considérées comme inacceptables au sens des dispositions de l’article 35-I-1° dudit code.
La collectivité a par conséquent décidé de lancer une procédure négociée sans publicité préalable et avec mise en concurrence conformément au dernier alinéa de l’article 35-I-1° avec les deux candidats dont la candidature avait été agréée et ayant soumis des offres respectant les exigences relatives aux délais et modalités formelles de présentation des offres.
Le groupement empêché de participer à la négociation a sollicité le juge des référés précontractuels en vue d’obtenir l’annulation de l’ensemble de la procédure d’appel d’offres ouvert initiale et de la décision du 10 avril 2012 par laquelle la commission d’appel d’offres du département des Hauts-de-Seine a écarté sa candidature. Le requérant soulevait différents motifs dont l’un retiendra particulièrement l’attention. Il soutenait en effet que le rejet de son offre reposant sur l’absence de réponse à un courrier de demande de complément, qui lui avait été adressé par courrier dématérialisé du 2 mars 2012 était entaché d’erreur de fait dès lors qu’il n’avait jamais réceptionné ce courrier et qu’il y avait donc ici un manquement flagrant aux obligations de mise en concurrence propre à justifier la saisine du juge des référés.
Celui-ci accueilli favorablement l’argument. Dans une ordonnance du 16 mai 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise explique ainsi que s’il résulte bien de l’instruction « que le département des Hauts-de-Seine justifie avoir envoyé au groupement requérant la demande de pièces et de renseignements pour compléter sa candidature le 2 mars 2012 à 11h01 par courriel, via sa plate-forme dématérialisée » et que ce courriel est parvenu sur le serveur technique, il ne ressort pas en revanche des pièces du dossier que « la société mandataire du groupement ait reçu sur sa boîte mail l’indication selon laquelle un document le concernant pouvait être consulté sur la plate-forme de dématérialisation des marchés publics du département ».
Dans ces conditions, rien ne permet techniquement, estime le juge, d’établir que le requérant avait bien reçu le courriel en cause. Or, poursuit-il, il « incombait à la personne publique, dans le respect du principe d’égalité entre les candidats de s’assurer que le mail était bien parvenu sur la boîte mail de la société ou, à tout le moins, de lui réexpédier le message contenant l’information qu’un document la concernant pouvait être consulté sur la plate-forme de dématérialisation ». Et d’annuler l’ensemble de la procédure (TA Cergy-Pontoise, ord. réf., 16 mai 2012, Sté Columbus Consulting et autres, n° 1203587).
Saisi, le Conseil d’Etat sanctionne ce raisonnement et donne raison au Conseil Général du 92 dans une décision toute récente, qu’il convient d’éclairer par la lecture des conclusions du rapporteur public Bertrand Dacosta (cité par Emmanuelle Maupin dans une chronique du 24 septembre dernier, http://www.achatpublic.info/actualites/info-du-jour/2012/09/24/reception-des-mels-le-pouvoir-adjudicateur-doit-il-etre-diligent).
Ce dernier s’appuie sur la lettre de l’arrêté du 14 décembre 2009 relatif à la dématérialisation des procédures des marchés publics et notamment son article 5 suivant lequel le dépôt des candidatures transmises par voie électronique donne lieu à un accusé de réception indiquant la date et l’heure de réception. « En revanche, cette obligation d’accusé réception n’existe pas pour les pièces transmises par le pouvoir adjudicateur. En l’espèce, le règlement de la consultation indiquait l’adresse électronique de la plateforme pour télécharger le guide d’utilisation. L’article 3.7 du document précise le fonctionnement de la messagerie sécurisée avec accusé réception. Le destinataire reçoit un mél l’informant qu’un message est disponible sur la plateforme. Un clic sur le message et un accusé réception est envoyé au pouvoir adjudicateur, détaille le rapporteur public. Mais tant qu’il n’y a pas eu de clic, poursuit-il, le courriel est considéré comme n’ayant pas été retiré. Mais la personne publique ne sait pas pourquoi : soit l’entreprise s’est abstenue de retirer le message, soit le courriel n’est pas parvenu. En l’espèce, il y a des éléments qui ne présentent aucune contestation. Le département a envoyé le mél mais aucun accusé réception n’a été généré ». Pour le rapporteur, si la personne publique peut alors se rapprocher du candidat, « sortir de son ignorance », il n’en a pas l’obligation. La comparaison avec la lettre recommandée avec accusé de réception tombe à point nommée et ne souffre guère de contestation en droit.
La Haute juridiction suit son rapporteur en indiquant qu’on ne pouvait imposer au département de s’assurer que les candidats avaient effectivement pris connaissance du message tendant à compléter la candidature, alors qu’en « qu’en vertu du guide d’utilisation de la plate-forme dématérialisée imposé aux candidats par le règlement de la consultation, le département devait seulement, pour inviter les candidats à compléter leur candidature, leur adresser, à l’adresse électronique indiquée par eux, un message d’alerte les invitant à se rendre sur cette plate-forme pour prendre connaissance des compléments d’information demandés et y répondre ». La preuve de la diligence du département et de l’arrivée du message sur le serveur de la messagerie de la société écartée étant rapportée par la société gestionnaire de la plate-forme de dématérialisation, « le département des Hauts-de-Seine a pu régulièrement estimer que le dossier de candidature des sociétés membres du groupement demeurait incomplet et rejeter en conséquence leur candidature » (CE, 3 oct. 2012, Sté Columbus Consulting, n° 359921).
Une solution qui séduira les personnes publiques à n’en pas douter, et un peu moins leurs partenaires privés.
Quelques textes importants :
Arrêté du 15 juin 2012 relatif à la signature électronique dans les marchés publics
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000026106275&dateTexte=&categorieLien=id
Arrêté du 14 décembre 2009 relatif à la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021496020&dateTexte=&categorieLien=id
Arrêté du 28 août 2006 pris en application du I de l’article 48 et de l’article 56 du code des marchés publics et relatif à la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics formalisés
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000270601&dateTexte=&categorieLien=id
Jurisprudence citée :
CE, 3 oct. 2012, Sté Columbus Consulting, n° 359921
http://www.juricaf.org/arret/FRANCE-CONSEILDETAT-20121003-359921
CAA Bordeaux, 31 mars 2011, Cne du Lamentin, n°10BX01752
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000023853265&fastReqId=1139520804&fastPos=1