Arrêt Rose B / JFG Networks : sur la responsabilité hébergeur / éditeur, les contenus illicites et les conditions de l’article 809 CPC.

Par Antoine Cheron, Avocat.

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Explorer : # responsabilité hébergeur # contenus illicites # liberté d'expression # notification

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 4 avril 2013 rappelle l’absence d’obligation pour l’hébergeur de retirer des contenus qui ne sont pas manifestement illicites.

CA Paris, 4 avril 2013, Rose B / JFG Networks

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En l’espèce, la réalisatrice du film « La Rafle » a assigné la société JFG Networks pour avoir refusé de supprimer un article contenant des propos outrageants à son égard, alors qu’elle lui avait demandé au préalable de le retirer.

Après avoir été déboutée de ses demandes par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris, la demanderesse a interjeté appel de la décision.

La Cour d’appel, sans surprise, déboute la demanderesse de ses prétentions et confirme l’ordonnance de référé.

Pour motiver sa décision, elle considère que les propos contenus dans l’article ne sont pas manifestement illicites au motif qu’ils entrent dans le champ de la liberté de critique et d’expression sans dégénérer en abus.

Cet arrêt nous donne l’occasion de faire le point sur les obligations pesant sur l’hébergeur et les conditions de mise en œuvre de sa responsabilité.

Le statut de l’hébergeur est juridiquement prévu par la loi du 21 juin 2004 dite LCEN. A l’inverse de l’éditeur qui est pleinement responsable des contenus stockés sur son site internet, l’hébergeur bénéficie d’un régime de responsabilité atténué.

L’article 6-I-2 de la LCEN justifie ce régime de responsabilité favorable à l’hébergeur par le fait que ce dernier joue un rôle passif dans la mise en ligne des informations stockées sur son site. Autrement dit, il se contente de mettre à disposition un service de communication au public en ligne sans gérer lui-même la transmission de ces informations.

La jurisprudence a d’ailleurs mis en œuvre cette disposition à plusieurs reprises en retenant que l’absence de contrôle (TGI Paris, 29 mai 2012) [1] ou de possibilité de contrôle (TGI Nanterre, 9 février 2012) [2] des informations stockées sur son site permet à un opérateur de se prévaloir de la qualité d’hébergeur.

Dès lors que le prestataire est qualifié d’hébergeur, comme c’était le cas en l’espèce, il bénéficie du régime de responsabilité atténué prévu par la LCEN.

La mesure de la responsabilité de l’hébergeur trouve son siège à l’article 6-I-2 de ladite loi. Cet article dispose que les hébergeurs ne peuvent pas voir leur responsabilité engagée s’ils « n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

Cette disposition doit être combinée avec l’article 6-I-7 de la LCEN, lequel rappelle l’absence d’obligation générale de surveillance pour les hébergeurs des informations figurant sur leur site.

Il doit donc être porté à la connaissance de l’hébergeur l’existence d’un contenu illicite sur son site internet.
Pour ce faire, il incombe à l’ayant droit de lui adresser une notification respectant les formes prescrites par l’article 6-I-5 de la LCEN. Cette notification constitue un préalable obligatoire pour pouvoir engager la responsabilité de l’hébergeur (Cass. 1ère civ, 12 juillet 2012, Sté Goofle France et a. c/ Sté Bac Films).

Si l’hébergeur ne retire pas ce contenu, deux hypothèses doivent être distinguées.

Si ce contenu est manifestement illicite et lui apparaît comme tel, l’hébergeur aura tout intérêt à ne pas refuser de retirer le contenu, au risque de voir sa responsabilité engagée.
La jurisprudence retient, à ce titre, que l’hébergeur n’est responsable que s’il a connaissance d’un contenu manifestement illicite (CJUE, 12 juillet 2011, aff. C-324-09), mais il ne peut pas saisir préventivement le juge pour que soit jugé de ce caractère (TGI Paris, 6 décembre 2010 [3]).

Cependant, si ce contenu ne lui apparaît pas manifestement illicite, sa responsabilité ne pourra pas être engagée. Il faudra que le Juge constate le caractère manifestement illicite du contenu.

En effet, dans une décision du 10 juillet 2004, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions de l’article 6-I-5 de la LCEN ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’aurait pas retiré une information « dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge  » ( décision du Conseil constitutionnel du 10 juillet 2004, n°2004-496).

Cette décision a deux apports : d’une part, elle exige, pour engager la responsabilité de l’hébergeur, que le contenu ne soit pas simplement illicite mais manifestement illicite ; d’autre part, elle précise que l’hébergeur n’a pas à se substituer au Juge pour apprécier si le contenu présente ce caractère illicite.

La qualification du contenu est particulièrement importante puisqu’elle constitue la clé de voûte de la responsabilité de l’hébergeur.

Ainsi, lorsque le Juge considère que le contenu n’est pas illicite, comme c’est le cas en l’espèce, l’hébergeur n’aura aucune obligation de le retirer et ne pourra pas voir sa responsabilité engagée.
A contrario, lorsque les magistrats qualifient le contenu de « manifestement illicite », il incombera à l’hébergeur de retirer le contenu litigieux en ligne, à défaut de quoi sa responsabilité pourra être engagée.

En considérant que ce contenu n’est pas illicite dans cette espèce, la Cour rappelle que la responsabilité de l’hébergeur ne peut pas être mise en œuvre au seul motif que le prestataire a refusé de retirer un contenu présent sur son site. La LCEN ne peut donc pas servir de fondement et de justification pour supprimer des contenus, aussi dérangeants soient-ils, dès lors qu’ils s’inscrivent dans le sillage de la liberté d’expression.

Cette décision doit être rapprochée d’une ordonnance rendue le 4 avril 2013 par le Juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris dans une affaire opposant H&M à Youtube et Google. Elle fait écho à l’arrêt commenté en retenant que l’hébergeur n’est pas fautif de ne pas avoir retiré les contenus signalés dans la mesure où il ne lui appartient pas d’apprécier si ces vidéos étaient diffamatoires et si elles constituaient une contrefaçon de la marque.

En outre, elle précise que la contrefaçon « à la supposer constituée, n’égale pas forcément trouble manifestement illicite ». Cette solution est bien heureuse puisqu’elle fait une distinction là où l’arrêt d’appel commenté opère une confusion entre « trouble manifestement illicite », condition à l’action en référé sur le fondement de l’article 809 du Code civil, et le caractère « manifestement illicite » du contenu, condition à la responsabilité de l’hébergeur sur le fondement de l’article 6-I-2 de la LCEN.

En conclusion, bien qu‘il ne pèse aucune obligation sur les hébergeurs de retirer des contenus qui ne sont pas manifestement illicites, ces prestataires doivent rester vigilants. Cette solution n’est en rien une prime à la passivité. Les hébergeurs ne pourront pas se retrancher derrière cette position jurisprudentielle pour s’abstenir de retirer de leur site un contenu qui leur apparaît effectivement illicite, au quel cas leur responsabilité pourra être engagée.

Antoine Cheron

ACBM Avocats

acheron chez acbm-avocats.com

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Notes de l'article:

[1RLDI, juin 2012, n°2795

[2RLDI, mai 2012, n°274, note V.Varet

[3RLDI, février. 2011, n°2231

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