Application de la jurisprudence Danthony à la procédure de retrait d’un permis de construire.

Par Antoine Louche, Avocat.

10183 lectures 1re Parution: Modifié: 4.94  /5

Le respect, par l’autorité administrative compétente, de la procédure prévue par les dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, constitue une garantie pour le titulaire du permis que le maire envisage de retirer. De même, la notification au bénéficiaire du permis d’un recours administratif formé par un tiers ou par le Préfet agissant dans le cadre du contrôle de légalité contre ce permis, ne saurait disposer l’autorité compétente en matière d’urbanisme de respecter la procédure contradictoire instaurée par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000. Ainsi, la décision de retrait prise par le maire est illégale s’il ressort de l’ensemble des circonstances de l’espèce que le titulaire du permis a été effectivement privé de cette garantie.

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En l’espèce, le maire de la commune de Luc-en-Provence avait délivré, le 20 octobre 2006, un permis de construire pour la réalisation d’une maison individuelle.

Toutefois, le préfet du Var a formé une demande de retrait à l’encontre de cet arrêt de permis de construire au motif que le plan de prévention des risques d’inondation en cours d’élaboration classait le terrain assiette du projet en zone de fort aléa, rendant ce dernier inconstructible.

Le maire a fait droit à cette demande et a retiré le permis délivré par arrêté en date du 12 février 2007.

Le pétitionnaire a alors formé un recours en annulation à l’encontre de ce dernier arrêté.

Par jugement en date du 6 novembre 2009, le Tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête.

L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement et en a obtenu l’annulation ainsi que de l’arrêté de retrait par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 24 novembre 2011.

La commune de Luc-en-Provence a alors formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.

La Haute Assemblée a tout d’abord rappelé qu’en application des dispositions du premier aliéna de l’article 24 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, il appartient à l’autorité administrative compétente pour adopter une décision individuelle entrant dans leur champ de mettre elle-même la personne intéressée en mesure de présenter des observations.

Les juges du Palais Royal ont alors apporté une nouvelle précision en matière de retrait de permis de construire.

Ainsi en pareille hypothèse, la notification au bénéficiaire de ce permis d’un recours administratif formé par un tiers ou par le préfet agissant dans le cadre du contrôle de légalité contre ce permis ne saurait tenir lieu du respect, par le maire, de la procédure prévue par les dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, soit le respect du principe du contradictoire.

En effet, on voit mal comment un recours gracieux, fût-il engagé par le représentant de l’État, dans le cadre de son contrôle de légalité, pourrait dispenser l’autorité compétente en matière de permis de construire de respecter le principe du contradictoire, en invitant le pétitionnaire à former ses observations, lorsqu’elle entend procéder au retrait du permis délivré.

Dans une très récente décision, le Conseil d’État a rappelé que le maire ne se trouve pas en situation de compétence liée pour retirer un permis de construire, lorsque ce dernier est conduit à porter une appréciation des faits [1].

La Cour d’appel de Lyon avait déjà pu juger de la sorte en 2012 dans un cas similaire à celui étudié, le maire ayant fondé son retrait de permis de construire sur le risque d’inondation auquel était exposé la parcelle assiette du projet [2].

Ce retrait ne pouvant être fondé que par l’illégalité de l’autorisation délivrée [3].

La décision procédant au retrait du permis devant elle-même être motivée [4].

En outre, ce retrait ne peut intervenir que dans le délai de trois mois suivant la délivrance du permis conformément aux dispositions de l’article L. 424-5 du Code de l’urbanisme [5].

En l’espèce, si le pétitionnaire a bien été destinataire du recours gracieux du préfet et avait pu former des observations, ce dernier n’avait pas été informé par la commune de son intention de procéder au retrait du permis de construire.

Ainsi, le principe du contradictoire est interprété strictement par la Haute Assemblée, c’est à l’autorité qui a délivré le permis et qui entend le retirer d’informer le pétitionnaire de cette volonté et de la faculté qu’il a de former des observations sur ce point.

Cette décision opère donc au moins en creux, un nouveau recul de la théorie de la connaissance acquise [6].

En outre, par cette décision, le Conseil d’État a fait application du principe qu’elle a dégagé dans sa jurisprudence Danthony de 2011 [7].

Aux termes de cette dernière «  (…) si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie (...) ».

Cette espèce constitue donc un nouveau cas d’extension de la jurisprudence Danthony, après son application à l’adoption d’un plan local d’urbanisme [8], de désaffectation d’un chemin rural [9] ou de communication du dossier administratif d’un agent public [10].

A ce titre, la Haute Assemblée indique que le respect, par l’autorité administrative compétente, de la procédure prévue par les dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, constitue une garantie pour le titulaire du permis que le maire envisage de retirer.

Ainsi, la décision de retrait prise par le maire est illégale s’il ressort de l’ensemble des circonstances de l’espèce que le titulaire du permis a été effectivement privé de cette garantie.

Faisant application du principe qu’il venait d’étendre à la procédure de retrait d’un permis de construire, le Conseil d’Etat a censuré pour erreur de droit l’arrêt rendu par la Cour administrative de Marseille.

En effet, cette dernière n’a pas recherché si dans les circonstances particulières de l’espèce, et notamment compte tenu des observations du pétitionnaire, si ce dernier avait été effectivement privé de la garantie prévue par la loi de 2000.

L’affaire a été renvoyée à la Cour administrative d’appel de Marseille.

Cette décision marque donc un réel et nouveau renforcement du principe du contradictoire en matière d’urbanisme et des droits et garanties dont dispose le pétitionnaire lorsque l’autorité compétente entend retirer le permis de construire qu’elle a délivré.

Référence : CE, 24 mars 2014, Commune de Luc-en-Provence, n°356142 ; CE, 26 février 2014, Commune du Castellet, n°356571 ; CAA Lyon, 10 avril 2012, SCI LCF, n°11LY01845 ; CE, 17 mars 2004, SCI Rivière, n°241804 ; CE, 23 avril 2003, Société Bouygues Immobilier, n°249712 ; CE, 13 février 2012, Association société protectrice des animaux de Vannes, n°356617 ; CE, 4 août 1905, Martin, n°14220 ; CE, ass., 23 décembre 2011, Danthony, n°335033 ; CE, 17 juillet 2013, SFR, n°350380 ; CE, 20 novembre 2013, n°361986 ; CE, 31 janvier 2014, n°369718

Antoine Louche,
Avocat associé chez Altius Avocats
www.altiusavocats.fr

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Notes de l'article:

[1CE, 26 février 2014, Commune du Castellet, n°356571

[2CAA Lyon, 10 avril 2012, SCI LCF, n°11LY01845

[3voir notamment en ce sens CE, 17 mars 2004, SCI Rivière, n°241804

[4voir notamment en ce sens CE, 23 avril 2003, Société Bouygues Immobilier, n°249712

[5voir notamment en ce sens CE, 13 février 2012, Association société protectrice des animaux de Vannes, n°356617

[6voir notamment en ce sens CE, 4 août 1905, Martin, n°14220

[7CE, ass., 23 décembre 2011, Danthony, n°335033

[8CE, 17 juillet 2013, SFR, n°350380

[9CE, 20 novembre 2013, n°361986

[10CE, 31 janvier 2014, n°369718

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