La vie personnelle des agents publics et le respect des obligations déontologiques.

Par Marc Lecacheux, Avocat.

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Explorer : # déontologie # vie privée # agents publics # sanctions disciplinaires

Le respect de la vie personnelle de toute personne constitue un droit fondamental dans notre droit positif [1].
Pour autant, l’agent public, n’est pas un citoyen comme les autres, il est le représentant de l’état servant l’intérêt général, il est donc un citoyen spécial.
Ainsi en 1927 dans son Précis de droit administratif, le Doyen Hauriou déclarait que le fonctionnaire est un citoyen spécial, non assimilable à un salarié.
Ses libertés sont donc limitées du fait de son statut légal et règlementaire.

Article mis à jour par son auteur en janvier 2024.

-

Il s’agit là d’une donnée qui est souvent négligé par les agents des trois fonctions publiques : les obligations déontologiques s’appliquent non seulement dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions mais aussi en dehors du service.

En premier lieu, il conviendra de revenir sur les obligations déontologiques des agents en dehors de l’exercice des fonctions (I) pour s’interroger sur la sévérité des sanctions disciplinaires prises par l’administration (II).

I) Les obligations déontologiques des agents en dehors de l’exercice des fonctions.

Rappelons tout d’abord que l’agent public a droit au respect de sa vie privée et familiale comme n’importe quels citoyens.

Ainsi Aux termes de l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) susvisée :

« 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

De même l’article 9 du Code civil dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».

Ces articles s’appliquent indifféremment aux salariés du secteur privés et aux agents titulaires et contractuels des trois fonctions publiques.

Néanmoins, il convient d’apporter une nuance à ce principe.

L’agent public n’est pas totalement libre dans sa vie personnelle car l’administration peut lui reprocher des actes ou des comportements commis en dehors du service.

Pour faire une comparaison en droit social, un acte de la vie privée d’un salarié ne peut donner lieu à un licenciement sauf si son comportement rejaillit sur des obligations issues de son contrat de travail [2].

La Cour de cassation vient récemment de réaffirmer solennellement ce principe dans le cadre d’un licenciement pour faute grave d’un salarié.

l’employeur a considéré comme fautive une conversation sur face book présente sur l’ordinateur du salarié absent et trnsamise à l’employeur par le salarié remplaçant.

Laa cour d’appel ayant écarté des débats cette preuve fournie par l’employeur, l’employeur s’étant pourvu en cassation.

La haute juridiction a considéré dans un attendu de principe que :

« La Cour de cassation juge qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un l licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. […] Une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique ne pouvant constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d’être justifié » (Cass ass plen 22 décembre 2023 21-11.330).

Pour ce qui concerne les agents publics, des actes répréhensibles ou non commis dans la sphère personnelle peuvent rejaillirent sur la vie professionnelle des agents publics et par conséquent constitués une faute disciplinaire [3].

Rappelons que contrairement aux sanctions disciplinaires qui sont strictement prévues par des textes, la faute disciplinaire n’est pas définie.

En effet, l’administration n’est pas liée par une décision prise par le juge pénal (indépendance des procédures administratives et pénales).

En d’autres termes, si les constatations des faits établis par le juge pénal s’imposent à l’administration et au juge administratif, l’absence de sanctions pénales n’a aucune incidence sur la répression disciplinaire.

Ainsi, un jugement de relaxe ou d’acquittement peut très bien donner lieu à l’engagement d’une procédure disciplinaire :

« Considérant que, si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force de chose jugée s’imposent à l’administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité » [4].

D’ailleurs, force est de constater que la morale incarnée par les termes de dignité de déconsidération ou de crédibilité du service sont des notions qui ont souvent été employées par l’administration, pour justifier la violation, par l’agent, d’une ou plusieurs obligations déontologiques.

Il est loin le temps où la bonne moralité des agents figurait expressément dans le statut général des fonctionnaires article 16 de l’ordonnance du 4 février 1959 : Nul ne peut être nommé à un emploi public : « S’il ne jouit pas de ses droits civiques et s’il n’est de bonne moralité ».

Aujourd’hui, si ces termes désuets ont disparu, la philosophie générale subsiste à savoir que l’agent public ne doit pas porter atteinte à l’image et à la crédibilité du service public.

Il ne peut donc se comporter ou avoir des agissements de nature à déconsidérer l’administration.

A titre exemple, dans le memento des obligations déontologique au ministère de la justice il est rappeler aux agents concernant le respect du principe de dignité : « J’adopte un comportement responsable y compris en dehors du travail. Je suis attentif à celui-ci dans le cadre professionnel et le cadre privé afin de ne pas jeter le discrédit sur les fonctions que j’exerce ».

De même, pour les instituteurs, au début du XXème siècle, le code soleil (nom d’un guide écrit par Joseph Soleil publié à partir de 1923) :

« (…) l’instituteur à l’obligation de se montrer particulièrement sévère pour lui-même (…) et qu’il est impossible que pour toute sa vie privée ne soit pas l’illustration de la leçon de morale ou de civisme qu’il donne à l’école (…) » [5].

On retrouve l’obligation de dignité ou de correction des agents en dehors de leur fonction dont le caractère sanctionnable est évalué en fonction de sa gravité, de la publicité ou des fonctions (enseignants, policiers, magistrats, médecins, infirmières).

Notons enfin que cette obligation s’applique non seulement aux agent titulaires et stagiaires, contractuel mais aussi à des candidats postulant à un concours [6].

Notre sujet s’impose d’autant plus que l’apparition d’internet et des réseaux sociaux à profondément changer la séparation entre la vie privée et vie professionnelle notamment en ce qui concerne les devoir de discrétion, de neutralité et de réserve imposée aux agents publics.

A ce titre, le devoir de réserve de l’agent public, s’applique aussi hors de l’exercice des fonctions :

« Le Président de la République a mis fin aux fonctions de sous-préfet de Saintes exercées par M. A, administrateur civil détaché en qualité de sous-préfet ; qu’il ressort des pièces du dossier que ce décret a été pris à la suite de la publication, le 13 mars 2008, sur un site internet, d’un article portant la signature de M. A intitulé Quand le lobby pro-israélien se déchaîne contre l’ONU » [7].

En effet, si les libertés d’opinions (déclaration des droits de 1789, préambule de la constitution de 1956) et d’expression sont garanties aux agents publics.

L’utilisation généralisée des réseau sociaux par les agents dans la sphère privée, peut être un exercice périlleux dès lors qu’il exprime la haine les frustrations de certains agents vis-à-vis d’autres agents, du service public ou de la politique gouvernementale.

Pour l’administration, Il s’agit d’éviter que les opinions personnelles ou religieuses ne mettent en cause la réputation ou la neutralité du service ou qu’elles ne violent ouvertement le principe d’impartialité et de neutralité des agents publics [8].

Pour illustrer ce propos, une jurisprudence récente nous donne un exemple d’une sanction disciplinaire infligée, par l’administration, à un agent public pour violation de son obligation de réserve.
Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’un ensemble de propos tenus en dehors du service et de nature à jeter le discrédit sur l’administration et à perturber le fonctionnement du service [9].

II) Des sanctions disciplinaires parfois sévères.

Si des actes répréhensibles graves commis dans la sphère privée peuvent être sévèrement sanctionnés par l’administration, il est des cas où l’homme dans ses faiblesses et ses erreurs doit être traité avec mansuétude.

Ainsi, les magistrats administratifs examinent, fort heureusement, le contexte humain qui entourent ces affaires où la faiblesse humaine doit prévaloir sur la logique froide des textes.

Ainsi, le juge contrôle l’existence matériels des faits puis si ces faits sont constitutifs d’une faute et enfin l’examen de la proportionnalité entre la faute et la sanction [10].

Ainsi, conformément à la jurisprudence Dahan [11], le juge administratif assure désormais un contrôle normal de la légalité des sanctions infligées aux agents publics comme l’a récemment rappelé le juge administratif [12].

Voici des exemples jurisprudentiels pour illustrer notre propos :

Concernant des comportements sentimentaux jugés inappropriés par l’administration :
- Ainsi, dans un arrêt récent du 6 mars 2018, la CAA a considéré que les dialogues à caractères sexuels sur face book entre un cuisiniers et un élève d’un lycée ne justifiait pas une sanction de révocation proposé par le Président Conseil de Général eu regard au défaut de publicité et du comportement des deux protagonistes et une absence d’atteinte à la réputation du lycée [13].
- L’animatrice d’un centre de rééducation professionnelle qui a entretenue des relations avec un stagiaire fragile psychologiquement, confirmation d’une longue suspension en lieu et place d’une demande de révocation par l’administration [14].
- Annulation de la sanction de mise à la retraite d’office frappant un professeur en disponibilité voulant faire échapper une jeune prostituée entrée irrégulièrement sur le territoire, dont il était amoureux, à un réseau de prostitution [15].

Ces situations humaines délicates sont sans communes mesures avec, des sanctions disciplinaires infligées à des agents publics pour des comportements d’une extrêmes gravités (violences physiques et ou sexuelles) commis dans un cadre privé [16].

De même, on peut comprendre la sévérité de l’administration dans le cas où les agents utilisent les moyens humains et matériels mis à disposition par le service public à des fins personnelles :
- C’est ainsi le cas de l’utilisation, par un agent, de la messagerie électronique de l’administration pour faire du prosélytisme sectaire [17].
- C’est aussi plus classiquement l’utilisation de matériels appartenant à la collectivité pour en faire un usage exclusivement personnel [18].
- « … Qu’à la supposer même établie, une telle pratique ne saurait en aucune façon justifier l’utilisation par un agent communal à des fins personnelles et sans autorisation de matériel ou de produits appartenant aux services municipaux ; qu’ainsi, les faits reprochés à l’intéressé constituaient une faute passible d’une sanction disciplinaire ».

Le cas aussi de fréquentations sociales douteuses. Ainsi, la sanction de révocation d’un sous brigadier de police qui a hébergé chez lui un jeune adolescent, de moins de 16 ans, en fugue, au lieu de le conduire auprès d’un service de police compétent et que « l’intéressé a pour habitude d’entretenir des relations privées avec des individus défavorablement connus de la justice » [19].

Marc Lecacheux, Avocat

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Notes de l'article:

[1Article 9 Code civil, L1121-1 du Code du travail.

[2Cass civ 27 mars 2012 10-19915 : licenciement d’un personnel naviguant pour consommation de produit stupéfiant.

[3CE 24 juin 1988 n°81244 Mr C.

[4Ex : CE 14 avril 1995 n°116278 CH de Tourcoing.

[5Chap. II : la vie privée de l’instituteur.

[6Ex : concours de l’ENM, CE 10 juin 1983 Mulsant et Raoult.

[7CE, 23 avril 2009, G., Rec., n° 316862.

[8Exemples topiques : CE 15 octobre 2003 n°244428, 19 févr. 2009, B., T., n° 311633.

[9CAA de Versailles n°19VE03416 28 juin2021.

[10CE 26 juillet 1978 n°93715 Mr V, CE 9 juin 1978 Lebon.

[11CE Ass 13 nov 2013 M. Dahan.

[12CAA de Versailles 3 février 2002 n°21VE00207.

[13CAA de Nancy 6 mars 2018 16NC01756.

[14CE 27 avril 2011n°332452.

[15CAA de Marseille 10 novembre 2009 n°07MA03132.

[16CE 18 juillet 2018 n°401527 agression sexuelle sur mineurs par un professeur dans un cadre privée.

[17CE 15 octobre 2003 244428.

[18CAA de Bordeaux 2 juillet 2002 n°98BXN 02058, ville d’Albi.

[19CE 13 juin 1990 112997.

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Discussions en cours :

  • Bonjour,

    Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre article, toutefois au fil de votre (II), dans le cadre du contrôle que réalise le magistrat administratif vis à vis de la sanction disciplinaire, vous avez indiqué qu’il s’agissait juridiquement d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Cependant depuis l’arrêt Dahan de 2013, ne s’agit il pas juridiquement d’un contrôle de proportionnalité ?

    En attente de votre réponse pour éclairer mon interrogation,

    Respectueusement.

    • par marc lecacheux , Le 28 décembre 2022 à 16:50

      Il est vrai que le juge administratif exerce depuis 2013 un contrôle normal sur les sanctions disciplinaires infligées aux agents publics.

      J’ai trouvé des arrêts récents qui confirment la jurisprudence DAHAN.

      C’est pour cette raison que j’ai modifié mon article.

      Merci pour vos observations.

  • par Claire , Le 14 novembre 2022 à 10:57

    Bonjour,

    Sauf erreur, le contrôle exercé par le juge administratif sur la proportionnalité de la sanction est une contrôle normal et non un contrôle de l’EMA comme vous l’indiquez.

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